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UE730 - L'Antiquité de la Renaissance. 4.


Lieu et planning


  • 54 bd Raspail
    54 bd Raspail 75006 Paris
    Salle A03_35
    annuel / hebdomadaire, mardi 17:00-19:00
    du 6 décembre 2022 au 13 juin 2023
    Nombre de séances : 24


Description


Dernière modification : 13 juillet 2022 14:01

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Philosophie et épistémologie
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Philosophie
Aires culturelles
Europe
Intervenant·e·s
  • Pierre Bouretz [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Centre des savoirs sur le politique : recherches et analyses (CESPRA)

Le titre donné pour la quatrième fois au séminaire s’attache à l’idée selon laquelle on pourrait importer de l’histoire de l’art à celle de la philosophie une formule d’Aby Warburg selon laquelle « chaque époque a la Renaissance de l’Antiquité qu’elle mérite ». Un imprévu de la recherche a fait que la troisième saison est remontée très en amont de la période envisagée, pour être consacrée en entier à Dante. On prendra le temps de rappeler les raisons de ce déplacement et de proposer une synthèse de ses résultats. 

Disons déjà qu’il n’en découle pas une reconfiguration de la période : Dante ne préfigurait pas plus la Renaissance qu’il n’accomplissait le Moyen Âge. C’est pourtant de lui que l’on pourra repartir afin de reprendre le fil de l’enquête, en s’attachant à sa réception dans les premières générations de l’humanisme. On verra celle-ci très ambivalente chez Pétrarque, avec toutefois un point clair qui concerne l’usage des langues. Admirateurs plus sereins ainsi que l’avait été Boccace, les représentants de l’humanisme civique continueront de reprocher à Dante de n’avoir pas écrit sa Comédie en latin, tout en étant embarrassés par une théorie impériale qui heurtait leurs convictions républicaines. 

En reprenant ces questions de langage, de politique mais aussi de modes de vie, on pourra se réinstaller au cœur du sujet, dans un milieu de poètes, d’artistes et de philosophes qui considéraient que leur époque serait un « âge d’or » s’ils parvenaient à produire de la nouveauté en restaurant l’Antiquité. Latine seulement pour un temps, leur Renaissance deviendrait aussi grecque par la redécouverte des textes et leur traduction. On reviendra donc vers l’acteur décisif de cette opération en philosophie : Marsile Ficin, médiateur du platonisme, mais aussi de l’hermétisme ; traducteur, commentateur, mais aussi auteur d’une Théologie platonicienne et de traités sur la lumière ; figure centrale d’une sociabilité philosophique qui rayonnait au-delà de la Florence des Médicis, mais aussi protagoniste de controverses concernant théories et usages de l’astrologie et de la magie. On pourra alors se demander si la philosophie de la Renaissance reproduit une tension interne à celle de la fin de l’Antiquité, parfois décrite comme opposition entre Athènes et Alexandrie.

Le programme détaillé n'est pas disponible.


Master


  • Séminaires de recherche – Philosophie-Philosophie sociale et politique – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel hebdomadaire = 12 ECTS
    MCC – Rédaction d'un texte en lien avec la problématique du séminaire, fiche de lecture

Renseignements


Contacts additionnels
-
Informations pratiques

la participation au séminaire est subordonnée à l'accord préalable du directeur d'études.

Direction de travaux des étudiants

les mercredis et jeudis après-midi sur rendez-vous par courriel : bouretz@ehess.fr

Réception des candidats

les mercredis et jeudis sur rendez-vous par courriel.

Pré-requis

inscription des candidats surbordonnée à la rédaction d'un projet de recherche qui sera discuté oralement.


Compte rendu


L’Antiquité de la Renaissance (4) : Dante dans l’histoire de l’humanisme florentin

Pour des raisons liées aux imprévus de la recherche, l’enquête intitulée « L’Antiquité de la Renaissance » avait été suspendue l’an dernier, laissant place à une lecture de Dante. La motivation de celle-ci était liée à ce fait historique laissé de côté durant la saison précédente : à une quarantaine d’années de distance, Dante et Pétrarque avaient été des contemporains concernés de deux tentatives de restauration impériale. Il avait donc été question de comprendre comment le premier d’entre eux était passé d’une participation active aux combats pour les libertés florentines à un engagement de plume au service de l’entreprise d’Henri VII de Luxembourg. Puis d’analyser sa Monarchia, rangée dans un angle mort des histoires de la pensée politique. Cette enquête nouant histoire et philosophie parvenue à son terme, il aurait été possible de considérer que la parenthèse se refermait et qu’il était temps de revenir vers la Renaissance. Mais la découverte de la puissance spéculative du traité politique de Dante avait conduit à prolonger cette exploration inattendue : en se tournant vers son autre livre de philosophie, pour finalement entrer dans sa grande fiction poétique. 

La pratique du séminaire de recherche affronte toujours une discordance des temps de l’accumulation, de l’élaboration et de la mise en forme. Au début de cette saison, une grande partie du matériau exploré durant la précédente était devenu la matière de deux chapitres d’un livre. On pouvait donc se livrer pour commencer à un exercice inhabituel, consistant au long de quelques séances à raconter ceux-ci. Deux autres chapitres étaient encore en chantier, construits à partir d’une réflexion sur l’art d’écrire. Ce problème n’est jamais posé au sujet de La Divine Comédie, comme si tout allait de soi : le voyage d’un vivant parmi les morts ; le fait que l’acteur de celui-ci ne soit nul autre que l’auteur ; les guides qu’il s’était choisi. Pour sortir d’une sorte de sommeil herméneutique, il fallait donc réveiller la faculté d’étonnement, poser des questions là où l’on croit posséder des réponses, se demander pourquoi Dante avait choisi de mettre en fiction poétique les propositions philosophiques établies dans son Banquet

Durant ce second moment du séminaire, l’écart devenait très étroit entre interprétation et mise en forme, exposé des résultats de l’investigation et rédaction des deux derniers chapitres. L’analyse des procédés d’écriture avait permis de mettre au jour un régime de vérité de la fiction scellé par un pacte : scriptor in fabula, Dante s’adressait à un lecteur lui-même présent dans la fable et auquel il jurait de raconter tout ce qu’il avait vu. S’ajoute à cela qu’il invitait in fine celui-ci à penser par lui-même. Cette découverte a permis de réfuter l’idée selon laquelle sa posture serait de type prophétique. A contrario de celle-ci, on a montré que la traversée de l’Enfer et d’une grande partie du Purgatoire pouvait se lire comme un apprentissage de la liberté, tandis que le Paradis proposait une expérience théorétique prouvant qu’il est possible de contempler d’une certaine façon dans cette vie les objets ultimes du désir de connaître. Dans le paysage des tensions entre foi et raison caractéristique du Moyen Âge philosophique, la portée de ce geste était considérable. 

Il restait à revenir vers l’idée qui avait été l’un des stimulants du souhait de prolonger la lecture de Dante au-delà des questions politiques : celle d’Eric Auerbach selon laquelle La Divine Comédie est un poème du monde terrestre. Elle s’attache au fait que Dante avait choisi de peupler son au-delà de personnages issus de ce dernier, plutôt que de figures mythologiques ou d’archétypes sans visages. En revenant vers un grand nombre d’entre eux, on a pu montrer que leur présence faisait de la fiction poétique un vaste exercice du jugement historique ; s’agissant de ceux qui étaient morts de façon violente, l’expression d’une conscience aigüe de l’historicité de l’expérience humaine. On a découvert que la portée de cette décision était plus considérable que ne le pensait Auerbach. Maître du choix de ses personnages, Dante l’était aussi de leur distribution dans les trois royaumes, ainsi que de la mise en équation des délits et des peines ; à quoi s’ajoute qu’il leur offrait par le truchement du poème une possibilité de rectifier leur mémoire dans le monde des vivants. Ce faisant, il minait en silence l’idée de l’au-delà comme ordre divin. Pratiquant ce que Marsile Ficin nommerait aemulatio Dei, il affirmait la souveraineté d’un auteur en créateur qui ne s’autorise que de lui-même et n’attend de jugement que de ses lecteurs. Au regard de son rapport à l’Antiquité, la Comédie n’offrait pas encore la conscience d’époque qui ferait la Renaissance. Mais de par sa puissance performative, elle disait de facto adieu au Moyen Âge. 

Telle était donc la conclusion d’un Sur Dante qui paraîtrait avant le début d’une nouvelle saison du séminaire. Mais il restait du temps pour commencer de redescendre vers le quattrocento. Une perspective s’imposait pour ce troisième moment : celle de la réception de Dante dans les premières générations de l’humanisme florentin. Tandis qu’il était presque son contemporain, Giovanni Villani le disait onorevole e antico cittadino di Firenze. La réalité était cependant différente : mort en exil, il avait conservé intacte sa colère politique à l’encontre de sa ville natale ; celle-ci tarderait à lui accorder sa reconnaissance. Les premiers acteurs de ce lent processus l’admiraient, mais éprouvaient un malaise vis-à-vis de deux choses : son engagement en faveur de la cause impériale et le choix qu’il avait fait d’écrire la Comédie en vulgaire.  

Figures centrales d’un humanisme « civique » et tous deux chanceliers de Florence à un moment de leur vie, Coluccio Salutati puis Leonardo Bruni étaient des républicains, qui acceptaient mal que Dante ait placé au fond de l’Enfer les assassins de César. Il leur fallait donc à tout le moins neutraliser cette dimension politique de l’œuvre et des engagements de son auteur. Ils étaient par ailleurs des lettrés, acteurs d’une reviviscence de la culture antique et du latin qui en était la langue. La lecture des très controversés Dialogues de Leonardo Bruni a permis de décrire un milieu humaniste traversé de tensions. Pour les partisans les plus radicaux d’un retour aux Anciens, Dante était un moderne. Il faudrait du temps pour le protéger des effets de cette querelle. Une période ouverte par la Vie que lui avait consacré Bruni en parallèle de celle de Pétrarque et qui s’achèverait à l’apogée de l’humanisme florentin à travers deux objets : le Dante Alighieri e la Comedia de Domenico di Michelino, qui le représenterait en majesté devant les murs de Florence, tenant en main son poème dans un décor figurant les trois royaumes de l’au-delà ; le Commentaire contemporain de Cristoforo Landino sur la Comédie, écrit en toscan et achevé d’imprimer le 30 août 1481 en incluant un texte lyrique de Marsile Ficin. Avec ce dernier, on retrouvait donc le protagoniste central de l’intrigue d’une Antiquité de la Renaissance. 

Publications
  • Qu'appelle-t-on philosopher, Paris, Gallimard (2006), coll. TEL, 2023.

Dernière modification : 13 juillet 2022 14:01

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Philosophie et épistémologie
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Philosophie
Aires culturelles
Europe
Intervenant·e·s
  • Pierre Bouretz [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Centre des savoirs sur le politique : recherches et analyses (CESPRA)

Le titre donné pour la quatrième fois au séminaire s’attache à l’idée selon laquelle on pourrait importer de l’histoire de l’art à celle de la philosophie une formule d’Aby Warburg selon laquelle « chaque époque a la Renaissance de l’Antiquité qu’elle mérite ». Un imprévu de la recherche a fait que la troisième saison est remontée très en amont de la période envisagée, pour être consacrée en entier à Dante. On prendra le temps de rappeler les raisons de ce déplacement et de proposer une synthèse de ses résultats. 

Disons déjà qu’il n’en découle pas une reconfiguration de la période : Dante ne préfigurait pas plus la Renaissance qu’il n’accomplissait le Moyen Âge. C’est pourtant de lui que l’on pourra repartir afin de reprendre le fil de l’enquête, en s’attachant à sa réception dans les premières générations de l’humanisme. On verra celle-ci très ambivalente chez Pétrarque, avec toutefois un point clair qui concerne l’usage des langues. Admirateurs plus sereins ainsi que l’avait été Boccace, les représentants de l’humanisme civique continueront de reprocher à Dante de n’avoir pas écrit sa Comédie en latin, tout en étant embarrassés par une théorie impériale qui heurtait leurs convictions républicaines. 

En reprenant ces questions de langage, de politique mais aussi de modes de vie, on pourra se réinstaller au cœur du sujet, dans un milieu de poètes, d’artistes et de philosophes qui considéraient que leur époque serait un « âge d’or » s’ils parvenaient à produire de la nouveauté en restaurant l’Antiquité. Latine seulement pour un temps, leur Renaissance deviendrait aussi grecque par la redécouverte des textes et leur traduction. On reviendra donc vers l’acteur décisif de cette opération en philosophie : Marsile Ficin, médiateur du platonisme, mais aussi de l’hermétisme ; traducteur, commentateur, mais aussi auteur d’une Théologie platonicienne et de traités sur la lumière ; figure centrale d’une sociabilité philosophique qui rayonnait au-delà de la Florence des Médicis, mais aussi protagoniste de controverses concernant théories et usages de l’astrologie et de la magie. On pourra alors se demander si la philosophie de la Renaissance reproduit une tension interne à celle de la fin de l’Antiquité, parfois décrite comme opposition entre Athènes et Alexandrie.

Le programme détaillé n'est pas disponible.

  • Séminaires de recherche – Philosophie-Philosophie sociale et politique – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel hebdomadaire = 12 ECTS
    MCC – Rédaction d'un texte en lien avec la problématique du séminaire, fiche de lecture
Contacts additionnels
-
Informations pratiques

la participation au séminaire est subordonnée à l'accord préalable du directeur d'études.

Direction de travaux des étudiants

les mercredis et jeudis après-midi sur rendez-vous par courriel : bouretz@ehess.fr

Réception des candidats

les mercredis et jeudis sur rendez-vous par courriel.

Pré-requis

inscription des candidats surbordonnée à la rédaction d'un projet de recherche qui sera discuté oralement.

  • 54 bd Raspail
    54 bd Raspail 75006 Paris
    Salle A03_35
    annuel / hebdomadaire, mardi 17:00-19:00
    du 6 décembre 2022 au 13 juin 2023
    Nombre de séances : 24

L’Antiquité de la Renaissance (4) : Dante dans l’histoire de l’humanisme florentin

Pour des raisons liées aux imprévus de la recherche, l’enquête intitulée « L’Antiquité de la Renaissance » avait été suspendue l’an dernier, laissant place à une lecture de Dante. La motivation de celle-ci était liée à ce fait historique laissé de côté durant la saison précédente : à une quarantaine d’années de distance, Dante et Pétrarque avaient été des contemporains concernés de deux tentatives de restauration impériale. Il avait donc été question de comprendre comment le premier d’entre eux était passé d’une participation active aux combats pour les libertés florentines à un engagement de plume au service de l’entreprise d’Henri VII de Luxembourg. Puis d’analyser sa Monarchia, rangée dans un angle mort des histoires de la pensée politique. Cette enquête nouant histoire et philosophie parvenue à son terme, il aurait été possible de considérer que la parenthèse se refermait et qu’il était temps de revenir vers la Renaissance. Mais la découverte de la puissance spéculative du traité politique de Dante avait conduit à prolonger cette exploration inattendue : en se tournant vers son autre livre de philosophie, pour finalement entrer dans sa grande fiction poétique. 

La pratique du séminaire de recherche affronte toujours une discordance des temps de l’accumulation, de l’élaboration et de la mise en forme. Au début de cette saison, une grande partie du matériau exploré durant la précédente était devenu la matière de deux chapitres d’un livre. On pouvait donc se livrer pour commencer à un exercice inhabituel, consistant au long de quelques séances à raconter ceux-ci. Deux autres chapitres étaient encore en chantier, construits à partir d’une réflexion sur l’art d’écrire. Ce problème n’est jamais posé au sujet de La Divine Comédie, comme si tout allait de soi : le voyage d’un vivant parmi les morts ; le fait que l’acteur de celui-ci ne soit nul autre que l’auteur ; les guides qu’il s’était choisi. Pour sortir d’une sorte de sommeil herméneutique, il fallait donc réveiller la faculté d’étonnement, poser des questions là où l’on croit posséder des réponses, se demander pourquoi Dante avait choisi de mettre en fiction poétique les propositions philosophiques établies dans son Banquet

Durant ce second moment du séminaire, l’écart devenait très étroit entre interprétation et mise en forme, exposé des résultats de l’investigation et rédaction des deux derniers chapitres. L’analyse des procédés d’écriture avait permis de mettre au jour un régime de vérité de la fiction scellé par un pacte : scriptor in fabula, Dante s’adressait à un lecteur lui-même présent dans la fable et auquel il jurait de raconter tout ce qu’il avait vu. S’ajoute à cela qu’il invitait in fine celui-ci à penser par lui-même. Cette découverte a permis de réfuter l’idée selon laquelle sa posture serait de type prophétique. A contrario de celle-ci, on a montré que la traversée de l’Enfer et d’une grande partie du Purgatoire pouvait se lire comme un apprentissage de la liberté, tandis que le Paradis proposait une expérience théorétique prouvant qu’il est possible de contempler d’une certaine façon dans cette vie les objets ultimes du désir de connaître. Dans le paysage des tensions entre foi et raison caractéristique du Moyen Âge philosophique, la portée de ce geste était considérable. 

Il restait à revenir vers l’idée qui avait été l’un des stimulants du souhait de prolonger la lecture de Dante au-delà des questions politiques : celle d’Eric Auerbach selon laquelle La Divine Comédie est un poème du monde terrestre. Elle s’attache au fait que Dante avait choisi de peupler son au-delà de personnages issus de ce dernier, plutôt que de figures mythologiques ou d’archétypes sans visages. En revenant vers un grand nombre d’entre eux, on a pu montrer que leur présence faisait de la fiction poétique un vaste exercice du jugement historique ; s’agissant de ceux qui étaient morts de façon violente, l’expression d’une conscience aigüe de l’historicité de l’expérience humaine. On a découvert que la portée de cette décision était plus considérable que ne le pensait Auerbach. Maître du choix de ses personnages, Dante l’était aussi de leur distribution dans les trois royaumes, ainsi que de la mise en équation des délits et des peines ; à quoi s’ajoute qu’il leur offrait par le truchement du poème une possibilité de rectifier leur mémoire dans le monde des vivants. Ce faisant, il minait en silence l’idée de l’au-delà comme ordre divin. Pratiquant ce que Marsile Ficin nommerait aemulatio Dei, il affirmait la souveraineté d’un auteur en créateur qui ne s’autorise que de lui-même et n’attend de jugement que de ses lecteurs. Au regard de son rapport à l’Antiquité, la Comédie n’offrait pas encore la conscience d’époque qui ferait la Renaissance. Mais de par sa puissance performative, elle disait de facto adieu au Moyen Âge. 

Telle était donc la conclusion d’un Sur Dante qui paraîtrait avant le début d’une nouvelle saison du séminaire. Mais il restait du temps pour commencer de redescendre vers le quattrocento. Une perspective s’imposait pour ce troisième moment : celle de la réception de Dante dans les premières générations de l’humanisme florentin. Tandis qu’il était presque son contemporain, Giovanni Villani le disait onorevole e antico cittadino di Firenze. La réalité était cependant différente : mort en exil, il avait conservé intacte sa colère politique à l’encontre de sa ville natale ; celle-ci tarderait à lui accorder sa reconnaissance. Les premiers acteurs de ce lent processus l’admiraient, mais éprouvaient un malaise vis-à-vis de deux choses : son engagement en faveur de la cause impériale et le choix qu’il avait fait d’écrire la Comédie en vulgaire.  

Figures centrales d’un humanisme « civique » et tous deux chanceliers de Florence à un moment de leur vie, Coluccio Salutati puis Leonardo Bruni étaient des républicains, qui acceptaient mal que Dante ait placé au fond de l’Enfer les assassins de César. Il leur fallait donc à tout le moins neutraliser cette dimension politique de l’œuvre et des engagements de son auteur. Ils étaient par ailleurs des lettrés, acteurs d’une reviviscence de la culture antique et du latin qui en était la langue. La lecture des très controversés Dialogues de Leonardo Bruni a permis de décrire un milieu humaniste traversé de tensions. Pour les partisans les plus radicaux d’un retour aux Anciens, Dante était un moderne. Il faudrait du temps pour le protéger des effets de cette querelle. Une période ouverte par la Vie que lui avait consacré Bruni en parallèle de celle de Pétrarque et qui s’achèverait à l’apogée de l’humanisme florentin à travers deux objets : le Dante Alighieri e la Comedia de Domenico di Michelino, qui le représenterait en majesté devant les murs de Florence, tenant en main son poème dans un décor figurant les trois royaumes de l’au-delà ; le Commentaire contemporain de Cristoforo Landino sur la Comédie, écrit en toscan et achevé d’imprimer le 30 août 1481 en incluant un texte lyrique de Marsile Ficin. Avec ce dernier, on retrouvait donc le protagoniste central de l’intrigue d’une Antiquité de la Renaissance. 

Publications
  • Qu'appelle-t-on philosopher, Paris, Gallimard (2006), coll. TEL, 2023.