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UE630 - Pragmatisme et politique


Lieu et planning


  • Bâtiment EHESS-Condorcet
    Salle 50
    EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
    1er semestre / hebdomadaire, vendredi 18:30-20:30
    du 14 octobre 2022 au 3 février 2023

    Pas de séance le 6 janvier 2023


Description


Dernière modification : 16 juin 2022 09:22

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Philosophie et épistémologie, Sociologie
Page web
https://revuepragmata.wordpress.com/les-numeros/ 
Langues
français
Mots-clés
Action publique Citoyenneté Démocratie Enquêtes Féminisme Minorités Mobilisation(s) Philosophie politique Philosophie sociale Pragmatisme République
Aires culturelles
Amérique du Nord France
Intervenant·e·s
  • Daniel Cefaï [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Centre d'étude des mouvements sociaux (CEMS)

Le pragmatisme nord-américain a donné lieu à de nombreuses traductions en français ces dernières années. On présentera un certain nombre d’auteurs relevant de ce « corpus pragmatiste » – John Dewey, George Herbert Mead, Mary P. Follett, Jane Addams, W. E. B. Du Bois… La revue Pragmata a par ailleurs publié plusieurs livraisons sur les différentes manières de traiter la question politique. On tentera, à partir de la lecture de ces textes, de rendre compte des conceptions pragmatistes de la réforme sociale, de la citoyenneté, de la démocratie et du totalitarisme. On découvrira quelles interrogations sur la classe, le genre et la race ont été élaborées au début du 20e siècle, et réactualisées plus récemment dans ces réseaux pragmatistes. On examinera plus précisément certaines catégories : démocratie radicale, organisation communautaire, écologie humaine, publics et problèmes publics, discussion de groupe, enquête ou expérimentation, droit en action, pluralisme culturel… Et l’on se demandera ce qui fait encore l’actualité du pragmatisme.

Le programme détaillé n'est pas disponible.


Master


  • Séminaires de recherche – Sociologie – M1/S1-M2/S3
    Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
    MCC – dossier final

Renseignements


Contacts additionnels
-
Informations pratiques

contact : cefai@ehess.fr

Direction de travaux des étudiants

sur rendez-vous pris par courriel : cefai@ehess.fr

Réception des candidats

sur rendez-vous, réception les lundis. 

Pré-requis

la lecture de l'anglais est recommandée.


Compte rendu


Le séminaire de 2022-2023 est revenu sur le rapport entre pragmatisme et politique.

Pour commencer, une lecture de Dewey a été proposée, qui articule sa théorie de l’enquête et de l’expérimentation et sa conception de la communauté politique – en particulier du public, en 1927. Ce travail a été fait à partir d’une lecture de textes, mais aussi, en nouant un lien, de l’ordre d’une sociologie de la connaissance, entre philosophie pragmatiste et histoire des pratiques d’enquête et d’expérimentation (par les social settlements, les agences philanthropiques, la presse « muckraking », les départements de sociologie, etc) à l’ère progressiste. Cette exploration nous a permis d’interroger le statut de l’enquête et de l’expérimentation en démocratie. En particulier, nous avons exposé l’idée d’un « pragmatisme ethnographique » (L’Engagement ethnographique, Éditions de l’EHESS, 2010) qui pointe les ancrages de l’enquête de terrain dans l’expérience collective, et les critiques, objectifs et idéaux qu’elle contribue, dans certaines circonstances, à faire émerger.

L’enquête historique s’est poursuivie avec une séance sur la proximité de la science sociale, de la réforme sociale et du travail social, aux États-Unis, jusqu’à la Première Guerre mondiale. Jean-Marie Bataille est intervenu pour nous parler d’une méthode de détection, de définition et de résolution de problèmes avec les « usagers » qu’il a mise au point dans sa pratique de travailleur social. Nous nous sommes arrêtés sur le projet politique de « démocratie sociale » qui animait les pratiques de « service social » de Jane Addams et des femmes de Hull House. Le travail social s’affranchit progressivement d’un modèle caritatif pour endosser un discours sur les droits des citoyens – ce dont attestent des textes d’Addams, de Mary P. Follett ou de George H. Mead. Il garde longtemps un lien avec l’organisation communautaire, et l’un et l’autre, avec une visée d’auto-organisation des quartiers de New York, Boston ou Chicago. Mais ce projet politique va être mis à mal par le mouvement de technicisation, de professionnalisation et d’institutionnalisation du travail social qui s’accélère à partir des années 1910.

Deux séances ont été consacrées à l’examen de la matrice pragmatiste de la pensée d’Alfred Schütz. D’ordinaire, l’attention des commentateurs se concentre sur le rapport de cette pensée à une phénoménologie du monde vécu dérivée de Husserl et à une sociologie compréhensive d’inspiration wébérienne. Le rapport au pragmatisme est ignoré ou minoré – et ce même si des tentatives de synthèse entre Schütz et Mead ont été tentées par le passé (par exemple par Maurice Natanson). Cette démarche nous a conduit à définir autrement les catégories d’expérience, de pertinence et de culture. Elle nous a également permis d’approfondir la question des habitudes et des types et de proposer une alternative à une sociologie de l’habitus. Nous avons alors esquissé une autre lecture des textes les plus politiques de Schütz, « L’Étranger », « Le Citoyen bien-informé » et des textes sur l’égalité, la justice et la responsabilité où il est question du mouvement des droits civiques.

Puis, nous avons à nouveau fait un bond en arrière dans le temps. D’abord en réexaminant le problème de la discussion publique tel qu’il est posé, en termes pragmatistes, par Follett et quelques autres auteurs (Lindeman, Sheffield, etc) qui gravitaient autour d’une agence new-yorkaise qui s’appelait The Inquiry dans les années 1920. Cet épisode a été totalement oublié et il atteste une fois de plus, de la richesse du fonds pragmatiste eu égard aux questions les plus contemporaines. Habermas lui-même ne fait guère de référence à Dewey, et moins encore à The Inquiry, dans ses premières théorisations de la démocratie délibérative, alors que de véritables techniques de discussion publique avaient été élaborées là, cinquante ans plus tôt. Cette discussion publique était porteuse d’un « conflit créatif ou constructif » – une expression empruntée à Follett – et elle était indissociable d’une connaissance et d’une transformation du monde social par l’enquête et l’expérimentation.

Ensuite, nous avons rouvert, avec Joan Stavo-Debauge (Lausanne), le dossier « pragmatisme et relations raciales » – avec une lecture de quatre textes de John Dewey sur la question raciale. On a beaucoup reproché à Dewey sa tiédeur vis-à-vis de la question afro-américaine – une conviction confortée par les critiques que C. W. Mills ou de Richard Hofstadter ont faites de la philosophie pragmatiste et du mouvement progressiste. Les faits démentent cette conviction. Outre le fait que Dewey faisait partie du groupe des fondateurs de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), la relecture attentive de ses textes et leur interprétation en relation au contexte de leur publication témoignent de positions originales. Ce travail de Stavo-Debauge a donné lieu à la publication de Dewey et les questions raciales, dans la collection « La Bibliothèque de Pragmata », où il rejoint Addams, Du Bois et le vote des femmes, un autre ouvrage où j’examine le rapport des auteurs pragmatistes à différentes causes, dont le vote des femmes.

Une séance de lecture a été consacrée à Bruno Latour, lequel a cru rencontrer dans le pragmatisme de Dewey une anticipation de certaines questions posées par les science and technology studies (STS) et par les politiques de la nature. Le public offrirait une conception alternative à la république française. La discussion en séminaire a pris pour support la traduction de l’introduction de Making Things Public (2005), distribuée aux participants du séminaire ; elle a porté sur les « dispositifs de figuration » et les « ingénieries de la représentation » ; elle a examiné la conception de la modernité de Latour et l’a mise en regard de la philosophie de l’histoire de Dewey. Mais c’est surtout l’idée de Dingpolitik qui a retenu notre attention, une politique des « choses » ou des « issues », que nous avons rapprochée de certaines propositions de l’écologie humaine ; tandis que nous cherchions à rendre compte de l’oscillation de Latour entre les positions de Dewey et de Lippmann.

L’avant-dernière séance a rebondi sur les sessions dédiées à la discussion de The Inquiry et aux rassemblements de la Dingpolitik : que peut nous apporter une ethnographie de réunions de participation politique ? Mathieu Berger (Louvain) est venu nous présenter son enquête comparée entre Bruxelles et Los Angeles. Il montre comment la méthode ethnographique permet de rendre compte du fonctionnement réel des assemblées de citoyens (dispositifs, cadrages, émotions collectives, gadflies) et de les suivre dans le temps, moyennant des techniques de « filature ». Tout en recourant à Goffman et à ce qu’il appelle une éco-sémiotique, Berger n’en tire pas moins des hypothèses de la lecture de Dewey ou de Lippmann qui lui permettent de renouveler le répertoire de questions posées par les théories de la démocratie délibérative.

Enfin, nous avons entrepris, avec Philippe Gonzalez (Lausanne), d’élaborer un concept de « croisade » comme anti-public. Empiriquement, outre les enquêtes ethnographiques menées par Gonzalez lui-même sur les mouvements évangéliques, notre principal point de repère, à cette fin, est l’histoire sociologique par Joseph Gusfield du mouvement pour la tempérance aux États-Unis, du XIXe siècle aux années 1960. C’est lui qui a mis en avant la catégorie de « croisade morale » (en parallèle à celle de « croisade symbolique ») qui a depuis été appliquée, de façon peu réfléchie, à toutes sortes de mouvements sociaux. L’enjeu était pour nous d’être plus rigoureux dans la définition des « croisades », d’en retracer la généalogie dans les mouvements religieux, catholiques et protestants, et de montrer en elles l’absence de pluralisme, l’emprise d’un dogme et l’énergie du messianisme, qui en font l’opposé des publics.

Dernière modification : 16 juin 2022 09:22

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Philosophie et épistémologie, Sociologie
Page web
https://revuepragmata.wordpress.com/les-numeros/ 
Langues
français
Mots-clés
Action publique Citoyenneté Démocratie Enquêtes Féminisme Minorités Mobilisation(s) Philosophie politique Philosophie sociale Pragmatisme République
Aires culturelles
Amérique du Nord France
Intervenant·e·s
  • Daniel Cefaï [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Centre d'étude des mouvements sociaux (CEMS)

Le pragmatisme nord-américain a donné lieu à de nombreuses traductions en français ces dernières années. On présentera un certain nombre d’auteurs relevant de ce « corpus pragmatiste » – John Dewey, George Herbert Mead, Mary P. Follett, Jane Addams, W. E. B. Du Bois… La revue Pragmata a par ailleurs publié plusieurs livraisons sur les différentes manières de traiter la question politique. On tentera, à partir de la lecture de ces textes, de rendre compte des conceptions pragmatistes de la réforme sociale, de la citoyenneté, de la démocratie et du totalitarisme. On découvrira quelles interrogations sur la classe, le genre et la race ont été élaborées au début du 20e siècle, et réactualisées plus récemment dans ces réseaux pragmatistes. On examinera plus précisément certaines catégories : démocratie radicale, organisation communautaire, écologie humaine, publics et problèmes publics, discussion de groupe, enquête ou expérimentation, droit en action, pluralisme culturel… Et l’on se demandera ce qui fait encore l’actualité du pragmatisme.

Le programme détaillé n'est pas disponible.

  • Séminaires de recherche – Sociologie – M1/S1-M2/S3
    Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
    MCC – dossier final
Contacts additionnels
-
Informations pratiques

contact : cefai@ehess.fr

Direction de travaux des étudiants

sur rendez-vous pris par courriel : cefai@ehess.fr

Réception des candidats

sur rendez-vous, réception les lundis. 

Pré-requis

la lecture de l'anglais est recommandée.

  • Bâtiment EHESS-Condorcet
    Salle 50
    EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
    1er semestre / hebdomadaire, vendredi 18:30-20:30
    du 14 octobre 2022 au 3 février 2023

    Pas de séance le 6 janvier 2023

Le séminaire de 2022-2023 est revenu sur le rapport entre pragmatisme et politique.

Pour commencer, une lecture de Dewey a été proposée, qui articule sa théorie de l’enquête et de l’expérimentation et sa conception de la communauté politique – en particulier du public, en 1927. Ce travail a été fait à partir d’une lecture de textes, mais aussi, en nouant un lien, de l’ordre d’une sociologie de la connaissance, entre philosophie pragmatiste et histoire des pratiques d’enquête et d’expérimentation (par les social settlements, les agences philanthropiques, la presse « muckraking », les départements de sociologie, etc) à l’ère progressiste. Cette exploration nous a permis d’interroger le statut de l’enquête et de l’expérimentation en démocratie. En particulier, nous avons exposé l’idée d’un « pragmatisme ethnographique » (L’Engagement ethnographique, Éditions de l’EHESS, 2010) qui pointe les ancrages de l’enquête de terrain dans l’expérience collective, et les critiques, objectifs et idéaux qu’elle contribue, dans certaines circonstances, à faire émerger.

L’enquête historique s’est poursuivie avec une séance sur la proximité de la science sociale, de la réforme sociale et du travail social, aux États-Unis, jusqu’à la Première Guerre mondiale. Jean-Marie Bataille est intervenu pour nous parler d’une méthode de détection, de définition et de résolution de problèmes avec les « usagers » qu’il a mise au point dans sa pratique de travailleur social. Nous nous sommes arrêtés sur le projet politique de « démocratie sociale » qui animait les pratiques de « service social » de Jane Addams et des femmes de Hull House. Le travail social s’affranchit progressivement d’un modèle caritatif pour endosser un discours sur les droits des citoyens – ce dont attestent des textes d’Addams, de Mary P. Follett ou de George H. Mead. Il garde longtemps un lien avec l’organisation communautaire, et l’un et l’autre, avec une visée d’auto-organisation des quartiers de New York, Boston ou Chicago. Mais ce projet politique va être mis à mal par le mouvement de technicisation, de professionnalisation et d’institutionnalisation du travail social qui s’accélère à partir des années 1910.

Deux séances ont été consacrées à l’examen de la matrice pragmatiste de la pensée d’Alfred Schütz. D’ordinaire, l’attention des commentateurs se concentre sur le rapport de cette pensée à une phénoménologie du monde vécu dérivée de Husserl et à une sociologie compréhensive d’inspiration wébérienne. Le rapport au pragmatisme est ignoré ou minoré – et ce même si des tentatives de synthèse entre Schütz et Mead ont été tentées par le passé (par exemple par Maurice Natanson). Cette démarche nous a conduit à définir autrement les catégories d’expérience, de pertinence et de culture. Elle nous a également permis d’approfondir la question des habitudes et des types et de proposer une alternative à une sociologie de l’habitus. Nous avons alors esquissé une autre lecture des textes les plus politiques de Schütz, « L’Étranger », « Le Citoyen bien-informé » et des textes sur l’égalité, la justice et la responsabilité où il est question du mouvement des droits civiques.

Puis, nous avons à nouveau fait un bond en arrière dans le temps. D’abord en réexaminant le problème de la discussion publique tel qu’il est posé, en termes pragmatistes, par Follett et quelques autres auteurs (Lindeman, Sheffield, etc) qui gravitaient autour d’une agence new-yorkaise qui s’appelait The Inquiry dans les années 1920. Cet épisode a été totalement oublié et il atteste une fois de plus, de la richesse du fonds pragmatiste eu égard aux questions les plus contemporaines. Habermas lui-même ne fait guère de référence à Dewey, et moins encore à The Inquiry, dans ses premières théorisations de la démocratie délibérative, alors que de véritables techniques de discussion publique avaient été élaborées là, cinquante ans plus tôt. Cette discussion publique était porteuse d’un « conflit créatif ou constructif » – une expression empruntée à Follett – et elle était indissociable d’une connaissance et d’une transformation du monde social par l’enquête et l’expérimentation.

Ensuite, nous avons rouvert, avec Joan Stavo-Debauge (Lausanne), le dossier « pragmatisme et relations raciales » – avec une lecture de quatre textes de John Dewey sur la question raciale. On a beaucoup reproché à Dewey sa tiédeur vis-à-vis de la question afro-américaine – une conviction confortée par les critiques que C. W. Mills ou de Richard Hofstadter ont faites de la philosophie pragmatiste et du mouvement progressiste. Les faits démentent cette conviction. Outre le fait que Dewey faisait partie du groupe des fondateurs de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), la relecture attentive de ses textes et leur interprétation en relation au contexte de leur publication témoignent de positions originales. Ce travail de Stavo-Debauge a donné lieu à la publication de Dewey et les questions raciales, dans la collection « La Bibliothèque de Pragmata », où il rejoint Addams, Du Bois et le vote des femmes, un autre ouvrage où j’examine le rapport des auteurs pragmatistes à différentes causes, dont le vote des femmes.

Une séance de lecture a été consacrée à Bruno Latour, lequel a cru rencontrer dans le pragmatisme de Dewey une anticipation de certaines questions posées par les science and technology studies (STS) et par les politiques de la nature. Le public offrirait une conception alternative à la république française. La discussion en séminaire a pris pour support la traduction de l’introduction de Making Things Public (2005), distribuée aux participants du séminaire ; elle a porté sur les « dispositifs de figuration » et les « ingénieries de la représentation » ; elle a examiné la conception de la modernité de Latour et l’a mise en regard de la philosophie de l’histoire de Dewey. Mais c’est surtout l’idée de Dingpolitik qui a retenu notre attention, une politique des « choses » ou des « issues », que nous avons rapprochée de certaines propositions de l’écologie humaine ; tandis que nous cherchions à rendre compte de l’oscillation de Latour entre les positions de Dewey et de Lippmann.

L’avant-dernière séance a rebondi sur les sessions dédiées à la discussion de The Inquiry et aux rassemblements de la Dingpolitik : que peut nous apporter une ethnographie de réunions de participation politique ? Mathieu Berger (Louvain) est venu nous présenter son enquête comparée entre Bruxelles et Los Angeles. Il montre comment la méthode ethnographique permet de rendre compte du fonctionnement réel des assemblées de citoyens (dispositifs, cadrages, émotions collectives, gadflies) et de les suivre dans le temps, moyennant des techniques de « filature ». Tout en recourant à Goffman et à ce qu’il appelle une éco-sémiotique, Berger n’en tire pas moins des hypothèses de la lecture de Dewey ou de Lippmann qui lui permettent de renouveler le répertoire de questions posées par les théories de la démocratie délibérative.

Enfin, nous avons entrepris, avec Philippe Gonzalez (Lausanne), d’élaborer un concept de « croisade » comme anti-public. Empiriquement, outre les enquêtes ethnographiques menées par Gonzalez lui-même sur les mouvements évangéliques, notre principal point de repère, à cette fin, est l’histoire sociologique par Joseph Gusfield du mouvement pour la tempérance aux États-Unis, du XIXe siècle aux années 1960. C’est lui qui a mis en avant la catégorie de « croisade morale » (en parallèle à celle de « croisade symbolique ») qui a depuis été appliquée, de façon peu réfléchie, à toutes sortes de mouvements sociaux. L’enjeu était pour nous d’être plus rigoureux dans la définition des « croisades », d’en retracer la généalogie dans les mouvements religieux, catholiques et protestants, et de montrer en elles l’absence de pluralisme, l’emprise d’un dogme et l’énergie du messianisme, qui en font l’opposé des publics.