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UE230 - La mémoire, le soi et la construction des mondes
Lieu et planning
-
Bâtiment EHESS-Condorcet
EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
Salle 25-B
1er semestre / hebdomadaire, jeudi 10:30-12:30
du 13 octobre 2022 au 26 janvier 2023
Nombre de séances : 14
Description
Dernière modification : 17 mai 2022 10:27
- Type d'UE
- Séminaires DE/MC
- Disciplines
- Philosophie et épistémologie, Psychologie et sciences cognitives
- Page web
- -
- Langues
- anglais français
- Mots-clés
- Action Affects Cognition Mémoire Philosophie analytique
- Aires culturelles
- -
Intervenant·e·s
- Jérôme Dokic [référent·e] directeur d'études, EHESS / Institut Jean-Nicod (IJN)
La notion de mémoire joue un rôle particulier depuis les origines de la science et de la philosophie. D’une part, elle semble renvoyer à une compétence cognitive spécifique, qui nous permet de nous représenter le passé, parfois un épisode singulier, non répétable, de notre vie passée. En ce sens, la mémoire s’oppose à d’autres formes de représentation du monde, dont la perception, l’anticipation du futur ou l’imagination des possibles. D’autre part, la mémoire semble être impliquée dans n’importe quelle activité cognitive, au point que le psychologue Guy Tiberghien a déclaré que « le concept de mémoire est peut-être encore plus fondamental que celui de cognition ». Au-delà de ce paradoxe apparent, la mémoire, ou plus précisément la mémoire dite « épisodique », a été considérée (par exemple par Endel Tulving) comme étant propre à l’espèce humaine, à l’instar du langage. Nous ferons le point sur les théories philosophiques contemporaines de la mémoire, et examinerons les sciences cognitives récentes de la mémoire, qui tendent à remettre en question le concept même de mémoire épisodique au profit d’une approche constructiviste qui brouille les frontières entre nos représentations du passé, du futur et des mondes possibles ou imaginaires. Nous tenterons de réhabiliter le concept de mémoire, en clarifiant la manière dont elle est ancrée dans le passé et en dégageant les liens essentiels qui l’unissent au contexte social.
Le programme détaillé n'est pas disponible.
Master
-
Séminaires de recherche
– Philosophie-Philosophie du langage et de l'esprit
– M1/S1-M2/S3
Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
MCC – fiche de lecture
Renseignements
- Contacts additionnels
- -
- Informations pratiques
- -
- Direction de travaux des étudiants
contacter l'enseigner par courrier électronique.
- Réception des candidats
- -
- Pré-requis
- -
Compte rendu
Le séminaire avait pour but de faire le point sur les recherches contemporaines sur la mémoire et la capacité cognitive à « raconter des histoires » et en particulier à « se raconter des histoires ». Nous avons commencé par rappeler la manière dont Endel Tulving a introduit la notion de mémoire épisodique au début des années 1980, comme la capacité « exclusivement humaine » de « revivre dans l’esprit » des événements passés nous concernant. La notion de mémoire épisodique, qui renvoie à la mémoire événementielle bergsonienne, fait donc référence à une expérience consciente spécifique, qui présente un profil phénoménologique reconnaissable. Depuis les travaux fondateurs de Tulving, le concept de représentation épisodique a connu deux développements majeurs. Premièrement, il a été étendu à la faculté de se projeter mentalement dans notre futur personnel, ou de « vivre par anticipation dans l’esprit » des événements futurs probables nous concernant. Deuxièmement, le concept de représentation épisodique a été plus récemment appliqué à l’imagination de scènes détaillées présentées soit comme seulement possibles soit comme contrefactuelles (nous pouvons représenter une scène comme « pouvant se produire » ou comme une scène qui « aurait pu se produire »). Si l’expression « voyage mental dans le temps » a été utilisée pour rendre compte de notre capacité de nous souvenir de notre passé personnel et de nous projeter dans notre futur personnel, nous avons proposé l’expression « voyage mental dans les mondes » pour désigner plus généralement notre capacité à construire, typiquement par l’imagination (mais pas seulement), des mondes détaillés d’une manière qui nous laisse une impression de « transcendance », c’est-à-dire le sentiment (éventuellement illusoire) que le monde représenté dépasse les représentations que nous formons à son sujet. (Comme Roland Barthes l’a bien montré, les écrivains notamment ont un sens du détail qui leur permet de produire des impressions de ce genre chez leurs lecteurs.) La suite du séminaire a été consacrée à la question de l’implication de la « machine narrative » dans la mémoire et le récit. Nous avons ainsi discuté de la notion de « confabulation » utilisée dans les sciences cognitives pour parler d’un vaste ensemble de phénomènes, ordinaires ou pathologiques, dont les faux souvenirs, l’invention de raisons de nos comportements, l’anosognosie, et différentes pathologies de la croyance telles que le syndrome de Capgras ou le syndrome de Fregoli. Sur un plan normatif, nous nous sommes demandé si la confabulation doit être considérée comme un vice ou un défaut épistémique ou si elle « épistémiquement innocente », comme l’a prétendu récemment Lisa Bortolotti. Par exemple, la tendance à confabuler peut avoir un bénéfice social, comme celui de ne pas avouer publiquement notre ignorance (dans une société où l’information est précieuse, un « je ne sais pas » peut être coûteux). Nous avons défendu une architecture cognitive de la confabulation inspirée d’une analyse du syndrome de Capgras par Philip Gerrans. Selon cette architecture, un événement saillant déclenche la machine narrative et produit des représentations spontanées indépendamment de la pensée réflexive ou décontextualisée, qui peut intervenir pour inhiber et réviser nos récits spontanés. Les dernières séances ont été consacrées plus spécifiquement aux « récits de soi » et à leur rôle éventuel dans la constitution de l’identité personnelle. Nous avons critiqué les approches traditionnelles de l’identité personnelle qui ont tendance à séparer l’identité synchronique et l’identité diachronique des individus et plaidé pour un « endurantisme diachronique » selon lequel notre identité personnelle synchronique n’est qu’une abstraction à partir de notre identité personnelle diachronique.
Publications
- « Episodic Remembering and Affective Metacognition », Acta Scientiarum. Human and Social Sciences, vol. 43, n° 3, 2022.
- « Variations on familiarity in self-transcendent experiences », Metodo. International Studies in Phenomenology and Philosophy, 10 (1), 2022, p. 19-48.
- Avec H. Lee, A. Jacquot, D. Makowski, M. Arcangeli, P. Piolino et M. Sperduti, « The beauty and the self : A common mnemonic advantage between aesthetic judgment and self-reference », Psychology of Consciousness : Theory, Research, and Practice, 2023. Advance online publication. https://doi.org/10.1037/cns0000345
- « Don’t Take it Too Subpersonally ! Revisiting the Malleability of Perception : Commentary on Dustin Stokes », Thinking and Perceiving. Journal of Consciousness Studies, 30 (3), 2023, p. 192-201.
Dernière modification : 17 mai 2022 10:27
- Type d'UE
- Séminaires DE/MC
- Disciplines
- Philosophie et épistémologie, Psychologie et sciences cognitives
- Page web
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- Langues
- anglais français
- Mots-clés
- Action Affects Cognition Mémoire Philosophie analytique
- Aires culturelles
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Intervenant·e·s
- Jérôme Dokic [référent·e] directeur d'études, EHESS / Institut Jean-Nicod (IJN)
La notion de mémoire joue un rôle particulier depuis les origines de la science et de la philosophie. D’une part, elle semble renvoyer à une compétence cognitive spécifique, qui nous permet de nous représenter le passé, parfois un épisode singulier, non répétable, de notre vie passée. En ce sens, la mémoire s’oppose à d’autres formes de représentation du monde, dont la perception, l’anticipation du futur ou l’imagination des possibles. D’autre part, la mémoire semble être impliquée dans n’importe quelle activité cognitive, au point que le psychologue Guy Tiberghien a déclaré que « le concept de mémoire est peut-être encore plus fondamental que celui de cognition ». Au-delà de ce paradoxe apparent, la mémoire, ou plus précisément la mémoire dite « épisodique », a été considérée (par exemple par Endel Tulving) comme étant propre à l’espèce humaine, à l’instar du langage. Nous ferons le point sur les théories philosophiques contemporaines de la mémoire, et examinerons les sciences cognitives récentes de la mémoire, qui tendent à remettre en question le concept même de mémoire épisodique au profit d’une approche constructiviste qui brouille les frontières entre nos représentations du passé, du futur et des mondes possibles ou imaginaires. Nous tenterons de réhabiliter le concept de mémoire, en clarifiant la manière dont elle est ancrée dans le passé et en dégageant les liens essentiels qui l’unissent au contexte social.
Le programme détaillé n'est pas disponible.
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Séminaires de recherche
– Philosophie-Philosophie du langage et de l'esprit
– M1/S1-M2/S3
Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
MCC – fiche de lecture
- Contacts additionnels
- -
- Informations pratiques
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- Direction de travaux des étudiants
contacter l'enseigner par courrier électronique.
- Réception des candidats
- -
- Pré-requis
- -
-
Bâtiment EHESS-Condorcet
EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
Salle 25-B
1er semestre / hebdomadaire, jeudi 10:30-12:30
du 13 octobre 2022 au 26 janvier 2023
Nombre de séances : 14
Le séminaire avait pour but de faire le point sur les recherches contemporaines sur la mémoire et la capacité cognitive à « raconter des histoires » et en particulier à « se raconter des histoires ». Nous avons commencé par rappeler la manière dont Endel Tulving a introduit la notion de mémoire épisodique au début des années 1980, comme la capacité « exclusivement humaine » de « revivre dans l’esprit » des événements passés nous concernant. La notion de mémoire épisodique, qui renvoie à la mémoire événementielle bergsonienne, fait donc référence à une expérience consciente spécifique, qui présente un profil phénoménologique reconnaissable. Depuis les travaux fondateurs de Tulving, le concept de représentation épisodique a connu deux développements majeurs. Premièrement, il a été étendu à la faculté de se projeter mentalement dans notre futur personnel, ou de « vivre par anticipation dans l’esprit » des événements futurs probables nous concernant. Deuxièmement, le concept de représentation épisodique a été plus récemment appliqué à l’imagination de scènes détaillées présentées soit comme seulement possibles soit comme contrefactuelles (nous pouvons représenter une scène comme « pouvant se produire » ou comme une scène qui « aurait pu se produire »). Si l’expression « voyage mental dans le temps » a été utilisée pour rendre compte de notre capacité de nous souvenir de notre passé personnel et de nous projeter dans notre futur personnel, nous avons proposé l’expression « voyage mental dans les mondes » pour désigner plus généralement notre capacité à construire, typiquement par l’imagination (mais pas seulement), des mondes détaillés d’une manière qui nous laisse une impression de « transcendance », c’est-à-dire le sentiment (éventuellement illusoire) que le monde représenté dépasse les représentations que nous formons à son sujet. (Comme Roland Barthes l’a bien montré, les écrivains notamment ont un sens du détail qui leur permet de produire des impressions de ce genre chez leurs lecteurs.) La suite du séminaire a été consacrée à la question de l’implication de la « machine narrative » dans la mémoire et le récit. Nous avons ainsi discuté de la notion de « confabulation » utilisée dans les sciences cognitives pour parler d’un vaste ensemble de phénomènes, ordinaires ou pathologiques, dont les faux souvenirs, l’invention de raisons de nos comportements, l’anosognosie, et différentes pathologies de la croyance telles que le syndrome de Capgras ou le syndrome de Fregoli. Sur un plan normatif, nous nous sommes demandé si la confabulation doit être considérée comme un vice ou un défaut épistémique ou si elle « épistémiquement innocente », comme l’a prétendu récemment Lisa Bortolotti. Par exemple, la tendance à confabuler peut avoir un bénéfice social, comme celui de ne pas avouer publiquement notre ignorance (dans une société où l’information est précieuse, un « je ne sais pas » peut être coûteux). Nous avons défendu une architecture cognitive de la confabulation inspirée d’une analyse du syndrome de Capgras par Philip Gerrans. Selon cette architecture, un événement saillant déclenche la machine narrative et produit des représentations spontanées indépendamment de la pensée réflexive ou décontextualisée, qui peut intervenir pour inhiber et réviser nos récits spontanés. Les dernières séances ont été consacrées plus spécifiquement aux « récits de soi » et à leur rôle éventuel dans la constitution de l’identité personnelle. Nous avons critiqué les approches traditionnelles de l’identité personnelle qui ont tendance à séparer l’identité synchronique et l’identité diachronique des individus et plaidé pour un « endurantisme diachronique » selon lequel notre identité personnelle synchronique n’est qu’une abstraction à partir de notre identité personnelle diachronique.
Publications
- « Episodic Remembering and Affective Metacognition », Acta Scientiarum. Human and Social Sciences, vol. 43, n° 3, 2022.
- « Variations on familiarity in self-transcendent experiences », Metodo. International Studies in Phenomenology and Philosophy, 10 (1), 2022, p. 19-48.
- Avec H. Lee, A. Jacquot, D. Makowski, M. Arcangeli, P. Piolino et M. Sperduti, « The beauty and the self : A common mnemonic advantage between aesthetic judgment and self-reference », Psychology of Consciousness : Theory, Research, and Practice, 2023. Advance online publication. https://doi.org/10.1037/cns0000345
- « Don’t Take it Too Subpersonally ! Revisiting the Malleability of Perception : Commentary on Dustin Stokes », Thinking and Perceiving. Journal of Consciousness Studies, 30 (3), 2023, p. 192-201.