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UE205 - Le pragmatisme sociologique et les pouvoirs. De la dynamique des controverses à la fabrique des relations d'emprise


Lieu et planning


  • Bâtiment EHESS-Condorcet
    EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
    Salle 25-A
    annuel / hebdomadaire, vendredi 10:30-12:30
    du 4 novembre 2022 au 26 mai 2023
    Nombre de séances : 24


Description


Dernière modification : 15 décembre 2022 09:02

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Sociologie
Page web
http://gspr-ehess.com/ 
Langues
français
Mots-clés
Affects Analyse de discours Argumentation Collectifs Démocratie Domination Enquêtes Environnement Interactions Milieu Mobilisation(s) Perception Politique Pragmatisme Risques Santé environnementale Savoirs Sciences Temps/temporalité Violence
Aires culturelles
Amérique du Nord Amérique du Sud Europe
Intervenant·e·s
  • Francis Chateauraynaud [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Groupe de sociologie pragmatique et réflexive (GSPR)

Prenant la suite du séminaire intitulé Pragmatisme et conflictualité mené en collaboration avec Jean-Michel Fourniau entre 2013 et 2022, cette nouvelle formule sera organisée en trois séquences de huit séances chacunes. On y développera plusieurs dimensions fondamentales du pragmatisme sociologique, qui s'est enrichi ces dernières années de multiples enquêtes et discussions : 1) l'approche des alertes et des controverses face à la complexité et la criticité des processus contemporains ; 2) les modalités d'enquête dans les milieux en interactions, lieux de saisie des affects et des percepts, des formes d'attention et des prises sur le monde ; 3) les conditions du dévoilement pragmatique des asymétries de prises et de la formation de liens d'emprise dans les mondes sociaux les plus divers.

1. Après plusieurs décennies de sociologie des alertes et des controverses : quelle épistémologie pragmatique face aux processus critiques contemporains ?  (séances 1 à 8)

Depuis plus de vingt ans une branche de la sociologie pragmatique française, appelée pragmatique de la complexité ou pragmatique des transformations, s’attache à décrire et analyser les processus d’alertes et de controverses, à travers les formes de mobilisation et de régulation auxquelles ils donnent lieu. Les premières séances prendront appui sur la casuistique accumulée autour des enjeux sanitaires, environnementaux et technoscientiques (du nucléaire aux OGM, des pandémies aux pesticides, de la pollution de l'air au changement climatique, de la transition énergétique aux effets controversés des artefacts numériques), tout en proposant un diagnostic sociopolitique de l’époque contemporaine marquée par des chocs et des crises aux multiples conséquences.

Dans ce cadre, le séminaire examinera les conditions actuelles des enquêtes d’inspiration pragmatiste face à des processus complexes, non-linéaires, multi-scalaires, riches en rebondissements et en rétroactions. On y pratiquera une forme de conséquentialisme ouvert, non-borné, heuristique pour relier l’exploration continue des phénomènes et la découverte graduelle, au fil des enquêtes, de caractéristiques ignorées, invisibles ou incertaines. L’enjeu est à la fois de rendre intelligibles les trajectoires suivies par les problèmes ou les causes publiques et de penser les incommensurabilités ou les irréductibilités liées aux jeux d’échelles. La convergence d’une sociologie pragmatique argumentative, d’une ethnographie des activités au coeur des milieux et d’une théorie ouverte des systèmes dynamiques, permet d’adapter les concepts et les outils issus du pragmatisme aux situations contemporaines et de réarmer les capacités critiques nécessaires à la pratique des sciences sociales.

2.  Prises (hyper)sensibles : milieux en interaction, affects et percepts en transformation (séances 9 à 16)

L'expérience sensible est depuis longtemps au coeur des démarches pragmatistes. Qu'elles s'inspirent de Peirce, James, Dewey ou Mead, ou d'auteurs contemporains, de Claudine Tiercelin à Joëlle Zask, de Robert Brandom à Mathias Girel, les approches pragmatistes ne projettent pas le sensible dans un cadre étroitement rationaliste : une sociologie pragmatiste suppose au contraire de saisir au plus près les activités et les pratiques dans leurs milieux, d'identifier les épreuves par lesquelles elles s'accordent ou entrent en conflit avec des normes et des dispositifs, et de rendre intelligibles les tensions propres à l'expression du perceptible et de l'imperceptible, de la différence ou du différend, de l'émotion ou du (res)sentiment, de l'incommensurable ou de l'irréductible. Il s'agit de compendre comment émergent des signes, comment se forgent leur portée et leur sens. C'est d'ailleurs de l'attention aux micro-phénomènes dans le monde sensible qu'est né véritablement le concept de lanceur d'alerte - comme la sociologie de la présence et de l'attention-vigilance qui le sous-tend.

En réactualisant les travaux sur la perception menés dans les années 1990, notamment dans Experts et faussaires (1995, réédité en 2014), on montrera comment le partage des expériences change de sens selon les prises élaborées par les personnes et les groupes. Par contraste, en contrepoint des raisonnements sur la complexité développés dans la première partie du séminaire, on ira au coeur de la fabrique des affects et des percepts, des attentions et des émotions, saisies dans leurs logique sociales, temporelles et spatiales propres. En entrant par les milieux en interaction, sans prétendre accéder directement et sans médiation au monde vécu d'entités hétérogènes, humaines, artefactuelles ou non-humaines, on s'attachera à renouer avec les processus fondamentaux mis en évidence par Gilbert Simondon et compatibles avec le pragmatisme : individuation et transindividualité.

Liées à des engagements ethnographiques de longue durée, comme lors des terrains menés au Brésil ou dans l'estuaire de la Gironde, les enquêtes ou contre-enquêtes visées ici, autour de sites et de zones sensibles, en milieux urbains, industriels ou ruraux, se tiennent à distance des grandes cartographies ou des opérations ontologiques et axiologiques de réduction par affectation à des catégories ou des variables. Elles permettent de saisir comment la balistique des causes individuelles ou collectives, qui marque les arènes publiques, font intervenir des opérateurs de mise en équivalence qui ont pour premier effet de tordre ou distordre l'expression des prises sensibles, poussant les protagonistes à ré-affirmer la singularité de formes de vie.

3. Tyrannies, dominations, influences ou emprises : le pragmatisme et les pouvoirs dans un monde en réseaux (séances 17 à 24)

Dans le prolongement des travaux sur les formes contemporaines de l'emprise, développés autour de la figure de l'empreneur, ce troisième moment du séminaire abordera sous un autre angle les éléments introduits jusqu'alors. Sans rabattre les analyses sur des figures classiques de dénonciation, on cherche à comprendre les processus par lesquels se tissent, s'étendent ou se perpétuent des relations de pouvoir, dont les ressorts multiples sont explorés, et démontés, à partir d'une vaste collection de cas cliniques - dont une partie a donné lieu à des affaires publiques. Ce volet de l'enquête pragmatiste, qui part du réexamen des théories du pouvoir et de la domination, en commençant par la servitude volontaire de La Boétie ou la thèse de Hannah Arendt sur la banalité du mal, permet de croiser de multiples approches, depuis les recherches marquantes de Jeanne Favret sur la sorcellerie dans le bocage jusqu'à l'anthropologie du silence développée par Deborah Puccio-Den, en passant par des travaux d'histoire contemporaine, comme ceux menés par Yves Cohen sur le commandement et l'influence.

Les modes de résistance et les techniques de défense en régime d'emprise ont contribué à l'ouverture d'un axe de recherche transversal consacré aux relations dialectiques entre for interne et for externe. Les formes d'emprise sont ainsi l'occasion de développer une pragmatique de l'intériorité, dont l'exploration, à la fois philosophique et sociologique, sera poursuivie au fil de dialogues avec Sylvain Lavelle (ICAM et GSPR).

Programme détaillé des séances

 1. Après plusieurs décennies de sociologie des alertes et des controverses : quelle épistémologie pragmatique face aux processus critiques contemporains ? (séances 1 à 8)

4 novembre 2022 : Le pragmatisme sociologique aujourd’hui. Intro générale (FC)

18 novembre : Bilan critique de 20 ans de sociologie des alertes et des controverses (FC)

25 novembre : La balistique sociologique et les processus critiques non-linéaires (FC)

2 décembre : La fabrique des futurs en régime de criticité (FC)

9 décembre : La transition énergétique en Allemagne. Saisir les débats et les expertises par les discours (SKAD) (Pr Reiner Keller, Université d’Augsburg)

16 décembre : Une histoire politique des catastrophes au Cameroun (Brice Molo, doctorant, GSPR EHESS/Université de Yaoundé)

 6 janvier 2023 : Les écologues devant la catastrophe. Observer sur le terrain les tensions épistémiques face à l’urgence (Nicolas Benvegnu, Medialab, Sciences-Po) 

13 janvier 2023 :  L’effondrement et ses usagers (Cyprien Tasset, VetAgro Sup UMR Territoires).

2.  Prises (hyper)sensibles : milieux en interaction, affects et percepts en transformation (séances 9 à 16)

20 janvier 2023 : Retour sur la sociologie de la perception et le concept de prise (FC)

27 janvier : L’interprétation des signes, entre sens du réel et sens du possible (FC)

3 février : L’esprit en acte. Pragmatisme, dispositions et pratique (Mathias Girel, ENS-PSL, Paris)

10 février : Expériences sensibles et milieux en interaction (FC)

17 février :  Vivant invisible, prises et déprises. Transformer les savoirs de la microbiologie fromagère à l’épreuve des normes sanitaires (Elise Demeulenaere, CNRS, Centre Koyré)

24 février : Tropicaliser la science. Politique du ‘terrain’ et biologie tropicale (David Dumoulin Kervran, Université Sorbonne Nouvelle, IHEAL/CREDA)

3 mars : Les lignes hypersensibles de la pratique médicale (FC et Mathieu Noël, GSPR)

10 mars : Enquêter sur les formes plurielles de la résistance à l'industrialisation agricole en Italie (1977-2022) : une entrée par le sensible (Laura Centemeri, CNRS, CEMS)

3. Tyrannies, dominations, influences ou emprises : le pragmatisme et les pouvoirs dans un monde en réseaux (séances 17 à 24)

17 mars : La sociologie de la domination a plus d’un siècle. Pourquoi changer de perspective et renouveler le cadre d’analyse ? (FC)

24 mars : Mafiacraft : une anthropologie politique du silence (Deborah Puccio-Den, CNRS, LAIOS-LAP)

31 mars : De la parole au silence. Emprise et Mafiacraft, poursuite d’un dialogue (FC et Deborah Puccio-Den)

7 avril : L’empreneur et son double (FC)

14 avril : Emancipation vs libération. La figure ambivalente du désempreneur (FC)

21 avril : Religion, emprise et polémique, dans un monde post-séculier (Joan Stavo-Debauge, UNIL)

12 mai : De l’Egotropie aux Egotechniques (Sylvain Lavelle, ICAM-GSPR)

26 mai : Le for interne, premier ressort de la résistance (FC et Sylvain Lavelle)


Master


  • Séminaires de recherche – Sociologie – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel hebdomadaire = 12 ECTS
    MCC – Compte-Rendu analytique de séance

Renseignements


Contacts additionnels
-
Informations pratiques

inscription via la plateforme des séminaires ou par courriel.

Direction de travaux des étudiants

demi-journée avant ou après le séminaire (à définir selon choix final du planning...). Si l'horaire retenu est le vendredi matin, comme par le passé, alors les étudiant·e·s seront reçu·e·s les vendredis après-midis sur rendez-vous.

Réception des candidats

par courriel uniquement : chateau@ehess.fr

Pré-requis

connaissance basique de la littérature en sciences sociales contemporaines et/ou simple désir de mieux comprendre sociologiquement ce qui se trame dans ce monde...


Compte rendu


Le séminaire hebdomadaire s’est déroulé de début novembre 2022 à fin mai 2023, en 23 séances organisées en trois séquences déployant les différentes logiques épistémiques à l’œuvre dans les raisonnements et les enquêtes menées sous la bannière du pragmatisme sociologique.

Au cours de la première séquence, on a pris la mesure du chemin parcouru depuis la sociologie des controverses des années 1990 jusqu'à la pragmatique de la complexité qui s’attache à saisir des processus critiques multiscalaires. En partant de la pluralité des approches du concept de controverse, on a pu réévaluer les différents modèles sociologiques proposés depuis la balistique sociologique (2011) et la sociologie pragmatique des transformations (2017), puis le cadre polyphonique du pragmatisme sociologique travaillant sur une multiplicité de lignes de transformations dont on étudie les points de convergence et de divergence (2022). Une attention particulière a été accordée aux façons d’appréhender les bifurcations et d’outiller les visions du futur. Lors de la cinquième séance, Reiner Keller (professeur à l’Université d’Augsburg) a présenté son approche des débats publics et des controverses d’experts en repartant des travaux menés en collaboration avec le GSPR via le projet ANR-DFG sur la transition énergétique (Energiewende) en France et en Allemagne. La sixième séance a été consacrée à l’histoire politique des catastrophes au Cameroun développée par Brice Molo (doctorant au GSPR et à l’Université de Yaoundé) à partir des conflits de responsabilité engendrés par la catastrophe ferroviaire d'Éséka en octobre 2016 sur la ligne Douala-Yaoundé. On s'est ensuite tourné vers une autre approche de la catastrophe, avec Nicolas Benvegnu (chercheur au Medialab de Sciences-Po) et son approche ethnographique autour de la disparition de l’outarde canepetière et la transformation de la recherche dans la Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre. Une huitième séance a été consacrée aux travaux de Cyprien Tasset (VetAgro Sup UMR Territoires) avec un retour critique sur les figures de l’effondrement saisies par leurs usagers, en tenant à bonne distance les polémiques autour de la collapsologie et du catastrophisme. De ce point de vue, et l’ensemble des premières séances l’ont confirmé, les sciences sociales contemporaines sont sur une ligne de crête en étant particulièrement exposées aux effets rebonds des luttes écologiques et sociales, de sorte qu’il ne s’agit plus de se barricader dans un monde purement académique ou de basculer définitivement dans l’activisme, mais de travailler en permanence les prises de l’enquête sociologique et les effets qu’elle produit, ou non, sur des réseaux d’acteurs en mouvement. 

La deuxième séquence était envisagée comme un retour à la problématique des affects, des percepts, des prises et des milieux, à partir du statut accordé aux expériences sensibles, et même hypersensibles, dans les enquêtes et les analyses sociologiques. Après un retour généalogique sur la sociologie de la perception des années 1990, dans un contexte de réémergence de la microsociologie et de mise à distance des théories critiques alors hégémoniques, on a examiné les reformulations successives du concept de prise. Un arrêt important a été opéré sur la question de l’interprétation des signes, à partir d’une relecture de la sémiologie de Peirce et de la manière de la traduire au service des enquêtes empiriques : à quels signes les acteurs attribuent-ils du sens et dans quels systèmes de signes composent-ils leurs interprétations lors du surgissement de troubles, de désaccords ou de crises ?  En retravaillant les articulations entre pragmatisme philosophique et pragmatisme sociologique, ce retour vers la théorie des signes a bénéficié de la présentation de l’ouvrage important de Mathias Girel (ENS, Paris), L’esprit en acte. Pragmatisme, dispositions et pratique (Vrin, 2021). Mathias Girel a proposé un ensemble de critères fort pertinents pour éprouver la forme de pragmatisme pratiquée dans un raisonnement ou une enquête, critères qui recoupent une partie des maximes du pragmatisme sociologique (Raisons pratiques, 2016). La douzième séance a poursuivi l’exercice réflexif sur les catégories fondamentales en examinant, à partir d’une casuistique précise, les liens entre expériences sensibles et milieux en interaction. De nouveaux terrains menés dans le Périgord vert ont été présentés en détail. Opérant un changement d’échelle notable tout en restant sur le fil des interactions entre milieux, la séance suivante a été consacrée aux travaux récents d’Élise Demeulenaere (CNRS, Centre Alexandre-Koyré) autour de la microbiologie fromagère, saisie à la fois dans les controverses relatives aux enjeux sanitaires (sur le contrôle des bactéries) et dans les batailles ontologiques autour des façons d’« apprivoiser le vivant invisible ». La quatorzième séance a saisi les milieux par une tout autre entrée : celle de la biologie tropicale étudiée par David Dumoulin (professeur à Paris 3 Sorbonne-Nouvelle) à par tir du suivi de missions scientifiques sur différents terrains dans les pays du Sud. On a vu combien l’enquête doit apprendre à composer avec des tensions épistémiques récurrentes, des normes et des pratiques concurrentes, des incertitudes et des irréductions omniprésentes : s'ill y a bien des connaissances et des dispositifs qui s’émancipent des localités et des contextes, il nous faut restituer les opérations complexes et nécessaires pour faire tenir ensemble des savoirs situés et des appuis scientifiques déterritorialisés, sans reconduire des rapports de domination ou d’exclusion réitérant une forme d'un ordre colonial. La séance suivante a encore changé d’angle d’attaque tout restant sur la question du sensible : après plusieurs années d’enquêtes sur la pratique médicale avec Mathieu Noël (médecin associé au GSPR depuis 2019), nous avons examiné une longue liste de troubles ou de syndromes mal expliqués ou controversés, engageant les acteurs dans un travail d’enquête sur des signes équivoques, contradictoires, fugaces ou rétifs à l’objectivation biomédicale standard, et posant aux acteurs de sérieux problèmes pragmatiques quant au choix des techniques thérapeutiques. La seizième séance qui est venue conclure cette deuxième séquence a été l’occasion d’entendre Laura Centemeri (CNRS, CEMS) attachée à remettre en histoire les appuis qu’elle a vu à l'oeuvre sur ses terrains liés à la permaculture.

La troisième séquence a repris le fil des travaux sur l’emprise, autour du couple conceptuel de l’empreneur et du désempreneur. L’enjeu est de relire les différentes théories du pouvoir qui ont marqué les sciences sociales, de Marx à Gramsci, de Weber à Bourdieu, de Foucault à Honneth, de Crozier à Giddens, ou encore de Clastres à Favret-Saada pour ne citer que quelques auteurs revisités, et d’opérer les déplacements nécessaires afin d'intégrer sans rupture épistémique les questions de domination, d’influence et d’emprise dans le pragmatisme sociologique. Comment rendre compatible l’enquête sur les enquêtes, inspirée par John Dewey, et la révélation graduelle, à côté, dessous ou derrière les jeux d’acteurs et d’arguments dans les arènes publiques, des asymétries de prises durables génératrices de relations d’emprise, dont les personnes ne sortent jamais indemnes ? Sans redéployer ici les différents procédés identifiés pour produire de l’emprise, pour la renforcer, l’éviter ou s’en libérer, le chemin parcouru au fil des 7 séances a mené de l’étude anthropologique de la mafia sicilienne, avec les recherches de Deborah Puccio-Den (CNRS, IIAC), et de son ouvrage majeur (Mafiacraft. An Ethnography of Deadly Silence, 2021) à la question de l’emprise des religions, à partir des travaux de Joan Stavo Debauge sur les mouvements post-séculiers et les menaces qu'ils présentent pour la science et la démocratie. La série s’est terminée par un dialogue amorcé depuis plusieurs années avec Sylvain Lavelle (ICAM et GSPR) entre philosophie et sociologie autour de la place accordée à la dialectique du for externe et du for interne dans les sciences sociales contemporaines. Ce dialogue s'est déroulé sur deux séances intitulées « De l’Egotropie aux Egotechniques » et « Le for interne, ressort ultime de toute forme de résistance ».

Publications
  • « Relations d'emprise : de la psychologie ordinaire au pragmatisme sociologique », Obs, septembre 2022. https://www.academia.edu/86847777/Relations_demprise_de_la_psychologie_ordinaire_au_pragmatisme_sociologique
  • Avec Daniel Ibanez, « Du lanceur d'alerte au rapport de force. Interroger la trajectoire politique de l'alerte », La pensée écologique, novembre 2022, https://lapenseeecologique.com/interroger-la-trajectoire-politique-de-lalerte-du-lanceur-dalerte-au-rapport-de-forces/
  • « Ce que ChatGPT fait à l’IA. Les sciences computationnelles saisies sur le temps long », suivi de « Marlowe, contre-intelligence artificielle », Séminaire D2SN du LISIS coordonné par Philippe Brunet et Annick Vignes, Université Gustave Eiffel, Marne-la-Vallée, 13 février 2023.
  • « Le conflit des OGM vu par la sociologie », Regards croisés sur les OGM, Inf’OGM, mars 2023, https://www.infogm.org/77423-ogm-20-ans-oppositions
  • « Sociologie et sciences de l’environnement : à la recherche de prises communes autour de tensions épistémiques irréductibles », revue Tracés, 22, 2023, p. 171-199 (Propos recueillis par Anthony Pecqueux et Perrine Poupin) - https://journals.openedition.org/traces/14951
  • « French Research (death) Valley. La recherche, l’enseignement supérieur et le HCERES » Goguette sur l’air de Fensch Vallée de Bernard Lavilliers, avril 2023, https://youtu.be/kC9KTNQjDPs
  • « Acteurs critiques en quête de prises. Perspectives récentes sur les controverses depuis le pragmatisme sociologique », Intervention à l’UNIL, séminaire de Laurence Kaufmann, Lausanne, 10 mai 2023.
  • Introduction du Workshop « Aux croisements des bouleversements écologiques et numériques : Regards pragmatistes sur les connexions, déconnexions et reconnexions contemporaines », GSPR, Campus Condorcet, 15-16 juin 2023.
  • « Tyrannies, dominations, influences ou emprises. En-deçà, à côté et derrière les controverses : le pragmatisme et les pouvoirs », École d’été Pragmata, Porquerolles, 28 juin 2023.

Dernière modification : 15 décembre 2022 09:02

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Sociologie
Page web
http://gspr-ehess.com/ 
Langues
français
Mots-clés
Affects Analyse de discours Argumentation Collectifs Démocratie Domination Enquêtes Environnement Interactions Milieu Mobilisation(s) Perception Politique Pragmatisme Risques Santé environnementale Savoirs Sciences Temps/temporalité Violence
Aires culturelles
Amérique du Nord Amérique du Sud Europe
Intervenant·e·s
  • Francis Chateauraynaud [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Groupe de sociologie pragmatique et réflexive (GSPR)

Prenant la suite du séminaire intitulé Pragmatisme et conflictualité mené en collaboration avec Jean-Michel Fourniau entre 2013 et 2022, cette nouvelle formule sera organisée en trois séquences de huit séances chacunes. On y développera plusieurs dimensions fondamentales du pragmatisme sociologique, qui s'est enrichi ces dernières années de multiples enquêtes et discussions : 1) l'approche des alertes et des controverses face à la complexité et la criticité des processus contemporains ; 2) les modalités d'enquête dans les milieux en interactions, lieux de saisie des affects et des percepts, des formes d'attention et des prises sur le monde ; 3) les conditions du dévoilement pragmatique des asymétries de prises et de la formation de liens d'emprise dans les mondes sociaux les plus divers.

1. Après plusieurs décennies de sociologie des alertes et des controverses : quelle épistémologie pragmatique face aux processus critiques contemporains ?  (séances 1 à 8)

Depuis plus de vingt ans une branche de la sociologie pragmatique française, appelée pragmatique de la complexité ou pragmatique des transformations, s’attache à décrire et analyser les processus d’alertes et de controverses, à travers les formes de mobilisation et de régulation auxquelles ils donnent lieu. Les premières séances prendront appui sur la casuistique accumulée autour des enjeux sanitaires, environnementaux et technoscientiques (du nucléaire aux OGM, des pandémies aux pesticides, de la pollution de l'air au changement climatique, de la transition énergétique aux effets controversés des artefacts numériques), tout en proposant un diagnostic sociopolitique de l’époque contemporaine marquée par des chocs et des crises aux multiples conséquences.

Dans ce cadre, le séminaire examinera les conditions actuelles des enquêtes d’inspiration pragmatiste face à des processus complexes, non-linéaires, multi-scalaires, riches en rebondissements et en rétroactions. On y pratiquera une forme de conséquentialisme ouvert, non-borné, heuristique pour relier l’exploration continue des phénomènes et la découverte graduelle, au fil des enquêtes, de caractéristiques ignorées, invisibles ou incertaines. L’enjeu est à la fois de rendre intelligibles les trajectoires suivies par les problèmes ou les causes publiques et de penser les incommensurabilités ou les irréductibilités liées aux jeux d’échelles. La convergence d’une sociologie pragmatique argumentative, d’une ethnographie des activités au coeur des milieux et d’une théorie ouverte des systèmes dynamiques, permet d’adapter les concepts et les outils issus du pragmatisme aux situations contemporaines et de réarmer les capacités critiques nécessaires à la pratique des sciences sociales.

2.  Prises (hyper)sensibles : milieux en interaction, affects et percepts en transformation (séances 9 à 16)

L'expérience sensible est depuis longtemps au coeur des démarches pragmatistes. Qu'elles s'inspirent de Peirce, James, Dewey ou Mead, ou d'auteurs contemporains, de Claudine Tiercelin à Joëlle Zask, de Robert Brandom à Mathias Girel, les approches pragmatistes ne projettent pas le sensible dans un cadre étroitement rationaliste : une sociologie pragmatiste suppose au contraire de saisir au plus près les activités et les pratiques dans leurs milieux, d'identifier les épreuves par lesquelles elles s'accordent ou entrent en conflit avec des normes et des dispositifs, et de rendre intelligibles les tensions propres à l'expression du perceptible et de l'imperceptible, de la différence ou du différend, de l'émotion ou du (res)sentiment, de l'incommensurable ou de l'irréductible. Il s'agit de compendre comment émergent des signes, comment se forgent leur portée et leur sens. C'est d'ailleurs de l'attention aux micro-phénomènes dans le monde sensible qu'est né véritablement le concept de lanceur d'alerte - comme la sociologie de la présence et de l'attention-vigilance qui le sous-tend.

En réactualisant les travaux sur la perception menés dans les années 1990, notamment dans Experts et faussaires (1995, réédité en 2014), on montrera comment le partage des expériences change de sens selon les prises élaborées par les personnes et les groupes. Par contraste, en contrepoint des raisonnements sur la complexité développés dans la première partie du séminaire, on ira au coeur de la fabrique des affects et des percepts, des attentions et des émotions, saisies dans leurs logique sociales, temporelles et spatiales propres. En entrant par les milieux en interaction, sans prétendre accéder directement et sans médiation au monde vécu d'entités hétérogènes, humaines, artefactuelles ou non-humaines, on s'attachera à renouer avec les processus fondamentaux mis en évidence par Gilbert Simondon et compatibles avec le pragmatisme : individuation et transindividualité.

Liées à des engagements ethnographiques de longue durée, comme lors des terrains menés au Brésil ou dans l'estuaire de la Gironde, les enquêtes ou contre-enquêtes visées ici, autour de sites et de zones sensibles, en milieux urbains, industriels ou ruraux, se tiennent à distance des grandes cartographies ou des opérations ontologiques et axiologiques de réduction par affectation à des catégories ou des variables. Elles permettent de saisir comment la balistique des causes individuelles ou collectives, qui marque les arènes publiques, font intervenir des opérateurs de mise en équivalence qui ont pour premier effet de tordre ou distordre l'expression des prises sensibles, poussant les protagonistes à ré-affirmer la singularité de formes de vie.

3. Tyrannies, dominations, influences ou emprises : le pragmatisme et les pouvoirs dans un monde en réseaux (séances 17 à 24)

Dans le prolongement des travaux sur les formes contemporaines de l'emprise, développés autour de la figure de l'empreneur, ce troisième moment du séminaire abordera sous un autre angle les éléments introduits jusqu'alors. Sans rabattre les analyses sur des figures classiques de dénonciation, on cherche à comprendre les processus par lesquels se tissent, s'étendent ou se perpétuent des relations de pouvoir, dont les ressorts multiples sont explorés, et démontés, à partir d'une vaste collection de cas cliniques - dont une partie a donné lieu à des affaires publiques. Ce volet de l'enquête pragmatiste, qui part du réexamen des théories du pouvoir et de la domination, en commençant par la servitude volontaire de La Boétie ou la thèse de Hannah Arendt sur la banalité du mal, permet de croiser de multiples approches, depuis les recherches marquantes de Jeanne Favret sur la sorcellerie dans le bocage jusqu'à l'anthropologie du silence développée par Deborah Puccio-Den, en passant par des travaux d'histoire contemporaine, comme ceux menés par Yves Cohen sur le commandement et l'influence.

Les modes de résistance et les techniques de défense en régime d'emprise ont contribué à l'ouverture d'un axe de recherche transversal consacré aux relations dialectiques entre for interne et for externe. Les formes d'emprise sont ainsi l'occasion de développer une pragmatique de l'intériorité, dont l'exploration, à la fois philosophique et sociologique, sera poursuivie au fil de dialogues avec Sylvain Lavelle (ICAM et GSPR).

Programme détaillé des séances

 1. Après plusieurs décennies de sociologie des alertes et des controverses : quelle épistémologie pragmatique face aux processus critiques contemporains ? (séances 1 à 8)

4 novembre 2022 : Le pragmatisme sociologique aujourd’hui. Intro générale (FC)

18 novembre : Bilan critique de 20 ans de sociologie des alertes et des controverses (FC)

25 novembre : La balistique sociologique et les processus critiques non-linéaires (FC)

2 décembre : La fabrique des futurs en régime de criticité (FC)

9 décembre : La transition énergétique en Allemagne. Saisir les débats et les expertises par les discours (SKAD) (Pr Reiner Keller, Université d’Augsburg)

16 décembre : Une histoire politique des catastrophes au Cameroun (Brice Molo, doctorant, GSPR EHESS/Université de Yaoundé)

 6 janvier 2023 : Les écologues devant la catastrophe. Observer sur le terrain les tensions épistémiques face à l’urgence (Nicolas Benvegnu, Medialab, Sciences-Po) 

13 janvier 2023 :  L’effondrement et ses usagers (Cyprien Tasset, VetAgro Sup UMR Territoires).

2.  Prises (hyper)sensibles : milieux en interaction, affects et percepts en transformation (séances 9 à 16)

20 janvier 2023 : Retour sur la sociologie de la perception et le concept de prise (FC)

27 janvier : L’interprétation des signes, entre sens du réel et sens du possible (FC)

3 février : L’esprit en acte. Pragmatisme, dispositions et pratique (Mathias Girel, ENS-PSL, Paris)

10 février : Expériences sensibles et milieux en interaction (FC)

17 février :  Vivant invisible, prises et déprises. Transformer les savoirs de la microbiologie fromagère à l’épreuve des normes sanitaires (Elise Demeulenaere, CNRS, Centre Koyré)

24 février : Tropicaliser la science. Politique du ‘terrain’ et biologie tropicale (David Dumoulin Kervran, Université Sorbonne Nouvelle, IHEAL/CREDA)

3 mars : Les lignes hypersensibles de la pratique médicale (FC et Mathieu Noël, GSPR)

10 mars : Enquêter sur les formes plurielles de la résistance à l'industrialisation agricole en Italie (1977-2022) : une entrée par le sensible (Laura Centemeri, CNRS, CEMS)

3. Tyrannies, dominations, influences ou emprises : le pragmatisme et les pouvoirs dans un monde en réseaux (séances 17 à 24)

17 mars : La sociologie de la domination a plus d’un siècle. Pourquoi changer de perspective et renouveler le cadre d’analyse ? (FC)

24 mars : Mafiacraft : une anthropologie politique du silence (Deborah Puccio-Den, CNRS, LAIOS-LAP)

31 mars : De la parole au silence. Emprise et Mafiacraft, poursuite d’un dialogue (FC et Deborah Puccio-Den)

7 avril : L’empreneur et son double (FC)

14 avril : Emancipation vs libération. La figure ambivalente du désempreneur (FC)

21 avril : Religion, emprise et polémique, dans un monde post-séculier (Joan Stavo-Debauge, UNIL)

12 mai : De l’Egotropie aux Egotechniques (Sylvain Lavelle, ICAM-GSPR)

26 mai : Le for interne, premier ressort de la résistance (FC et Sylvain Lavelle)

  • Séminaires de recherche – Sociologie – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel hebdomadaire = 12 ECTS
    MCC – Compte-Rendu analytique de séance
Contacts additionnels
-
Informations pratiques

inscription via la plateforme des séminaires ou par courriel.

Direction de travaux des étudiants

demi-journée avant ou après le séminaire (à définir selon choix final du planning...). Si l'horaire retenu est le vendredi matin, comme par le passé, alors les étudiant·e·s seront reçu·e·s les vendredis après-midis sur rendez-vous.

Réception des candidats

par courriel uniquement : chateau@ehess.fr

Pré-requis

connaissance basique de la littérature en sciences sociales contemporaines et/ou simple désir de mieux comprendre sociologiquement ce qui se trame dans ce monde...

  • Bâtiment EHESS-Condorcet
    EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
    Salle 25-A
    annuel / hebdomadaire, vendredi 10:30-12:30
    du 4 novembre 2022 au 26 mai 2023
    Nombre de séances : 24

Le séminaire hebdomadaire s’est déroulé de début novembre 2022 à fin mai 2023, en 23 séances organisées en trois séquences déployant les différentes logiques épistémiques à l’œuvre dans les raisonnements et les enquêtes menées sous la bannière du pragmatisme sociologique.

Au cours de la première séquence, on a pris la mesure du chemin parcouru depuis la sociologie des controverses des années 1990 jusqu'à la pragmatique de la complexité qui s’attache à saisir des processus critiques multiscalaires. En partant de la pluralité des approches du concept de controverse, on a pu réévaluer les différents modèles sociologiques proposés depuis la balistique sociologique (2011) et la sociologie pragmatique des transformations (2017), puis le cadre polyphonique du pragmatisme sociologique travaillant sur une multiplicité de lignes de transformations dont on étudie les points de convergence et de divergence (2022). Une attention particulière a été accordée aux façons d’appréhender les bifurcations et d’outiller les visions du futur. Lors de la cinquième séance, Reiner Keller (professeur à l’Université d’Augsburg) a présenté son approche des débats publics et des controverses d’experts en repartant des travaux menés en collaboration avec le GSPR via le projet ANR-DFG sur la transition énergétique (Energiewende) en France et en Allemagne. La sixième séance a été consacrée à l’histoire politique des catastrophes au Cameroun développée par Brice Molo (doctorant au GSPR et à l’Université de Yaoundé) à partir des conflits de responsabilité engendrés par la catastrophe ferroviaire d'Éséka en octobre 2016 sur la ligne Douala-Yaoundé. On s'est ensuite tourné vers une autre approche de la catastrophe, avec Nicolas Benvegnu (chercheur au Medialab de Sciences-Po) et son approche ethnographique autour de la disparition de l’outarde canepetière et la transformation de la recherche dans la Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre. Une huitième séance a été consacrée aux travaux de Cyprien Tasset (VetAgro Sup UMR Territoires) avec un retour critique sur les figures de l’effondrement saisies par leurs usagers, en tenant à bonne distance les polémiques autour de la collapsologie et du catastrophisme. De ce point de vue, et l’ensemble des premières séances l’ont confirmé, les sciences sociales contemporaines sont sur une ligne de crête en étant particulièrement exposées aux effets rebonds des luttes écologiques et sociales, de sorte qu’il ne s’agit plus de se barricader dans un monde purement académique ou de basculer définitivement dans l’activisme, mais de travailler en permanence les prises de l’enquête sociologique et les effets qu’elle produit, ou non, sur des réseaux d’acteurs en mouvement. 

La deuxième séquence était envisagée comme un retour à la problématique des affects, des percepts, des prises et des milieux, à partir du statut accordé aux expériences sensibles, et même hypersensibles, dans les enquêtes et les analyses sociologiques. Après un retour généalogique sur la sociologie de la perception des années 1990, dans un contexte de réémergence de la microsociologie et de mise à distance des théories critiques alors hégémoniques, on a examiné les reformulations successives du concept de prise. Un arrêt important a été opéré sur la question de l’interprétation des signes, à partir d’une relecture de la sémiologie de Peirce et de la manière de la traduire au service des enquêtes empiriques : à quels signes les acteurs attribuent-ils du sens et dans quels systèmes de signes composent-ils leurs interprétations lors du surgissement de troubles, de désaccords ou de crises ?  En retravaillant les articulations entre pragmatisme philosophique et pragmatisme sociologique, ce retour vers la théorie des signes a bénéficié de la présentation de l’ouvrage important de Mathias Girel (ENS, Paris), L’esprit en acte. Pragmatisme, dispositions et pratique (Vrin, 2021). Mathias Girel a proposé un ensemble de critères fort pertinents pour éprouver la forme de pragmatisme pratiquée dans un raisonnement ou une enquête, critères qui recoupent une partie des maximes du pragmatisme sociologique (Raisons pratiques, 2016). La douzième séance a poursuivi l’exercice réflexif sur les catégories fondamentales en examinant, à partir d’une casuistique précise, les liens entre expériences sensibles et milieux en interaction. De nouveaux terrains menés dans le Périgord vert ont été présentés en détail. Opérant un changement d’échelle notable tout en restant sur le fil des interactions entre milieux, la séance suivante a été consacrée aux travaux récents d’Élise Demeulenaere (CNRS, Centre Alexandre-Koyré) autour de la microbiologie fromagère, saisie à la fois dans les controverses relatives aux enjeux sanitaires (sur le contrôle des bactéries) et dans les batailles ontologiques autour des façons d’« apprivoiser le vivant invisible ». La quatorzième séance a saisi les milieux par une tout autre entrée : celle de la biologie tropicale étudiée par David Dumoulin (professeur à Paris 3 Sorbonne-Nouvelle) à par tir du suivi de missions scientifiques sur différents terrains dans les pays du Sud. On a vu combien l’enquête doit apprendre à composer avec des tensions épistémiques récurrentes, des normes et des pratiques concurrentes, des incertitudes et des irréductions omniprésentes : s'ill y a bien des connaissances et des dispositifs qui s’émancipent des localités et des contextes, il nous faut restituer les opérations complexes et nécessaires pour faire tenir ensemble des savoirs situés et des appuis scientifiques déterritorialisés, sans reconduire des rapports de domination ou d’exclusion réitérant une forme d'un ordre colonial. La séance suivante a encore changé d’angle d’attaque tout restant sur la question du sensible : après plusieurs années d’enquêtes sur la pratique médicale avec Mathieu Noël (médecin associé au GSPR depuis 2019), nous avons examiné une longue liste de troubles ou de syndromes mal expliqués ou controversés, engageant les acteurs dans un travail d’enquête sur des signes équivoques, contradictoires, fugaces ou rétifs à l’objectivation biomédicale standard, et posant aux acteurs de sérieux problèmes pragmatiques quant au choix des techniques thérapeutiques. La seizième séance qui est venue conclure cette deuxième séquence a été l’occasion d’entendre Laura Centemeri (CNRS, CEMS) attachée à remettre en histoire les appuis qu’elle a vu à l'oeuvre sur ses terrains liés à la permaculture.

La troisième séquence a repris le fil des travaux sur l’emprise, autour du couple conceptuel de l’empreneur et du désempreneur. L’enjeu est de relire les différentes théories du pouvoir qui ont marqué les sciences sociales, de Marx à Gramsci, de Weber à Bourdieu, de Foucault à Honneth, de Crozier à Giddens, ou encore de Clastres à Favret-Saada pour ne citer que quelques auteurs revisités, et d’opérer les déplacements nécessaires afin d'intégrer sans rupture épistémique les questions de domination, d’influence et d’emprise dans le pragmatisme sociologique. Comment rendre compatible l’enquête sur les enquêtes, inspirée par John Dewey, et la révélation graduelle, à côté, dessous ou derrière les jeux d’acteurs et d’arguments dans les arènes publiques, des asymétries de prises durables génératrices de relations d’emprise, dont les personnes ne sortent jamais indemnes ? Sans redéployer ici les différents procédés identifiés pour produire de l’emprise, pour la renforcer, l’éviter ou s’en libérer, le chemin parcouru au fil des 7 séances a mené de l’étude anthropologique de la mafia sicilienne, avec les recherches de Deborah Puccio-Den (CNRS, IIAC), et de son ouvrage majeur (Mafiacraft. An Ethnography of Deadly Silence, 2021) à la question de l’emprise des religions, à partir des travaux de Joan Stavo Debauge sur les mouvements post-séculiers et les menaces qu'ils présentent pour la science et la démocratie. La série s’est terminée par un dialogue amorcé depuis plusieurs années avec Sylvain Lavelle (ICAM et GSPR) entre philosophie et sociologie autour de la place accordée à la dialectique du for externe et du for interne dans les sciences sociales contemporaines. Ce dialogue s'est déroulé sur deux séances intitulées « De l’Egotropie aux Egotechniques » et « Le for interne, ressort ultime de toute forme de résistance ».

Publications
  • « Relations d'emprise : de la psychologie ordinaire au pragmatisme sociologique », Obs, septembre 2022. https://www.academia.edu/86847777/Relations_demprise_de_la_psychologie_ordinaire_au_pragmatisme_sociologique
  • Avec Daniel Ibanez, « Du lanceur d'alerte au rapport de force. Interroger la trajectoire politique de l'alerte », La pensée écologique, novembre 2022, https://lapenseeecologique.com/interroger-la-trajectoire-politique-de-lalerte-du-lanceur-dalerte-au-rapport-de-forces/
  • « Ce que ChatGPT fait à l’IA. Les sciences computationnelles saisies sur le temps long », suivi de « Marlowe, contre-intelligence artificielle », Séminaire D2SN du LISIS coordonné par Philippe Brunet et Annick Vignes, Université Gustave Eiffel, Marne-la-Vallée, 13 février 2023.
  • « Le conflit des OGM vu par la sociologie », Regards croisés sur les OGM, Inf’OGM, mars 2023, https://www.infogm.org/77423-ogm-20-ans-oppositions
  • « Sociologie et sciences de l’environnement : à la recherche de prises communes autour de tensions épistémiques irréductibles », revue Tracés, 22, 2023, p. 171-199 (Propos recueillis par Anthony Pecqueux et Perrine Poupin) - https://journals.openedition.org/traces/14951
  • « French Research (death) Valley. La recherche, l’enseignement supérieur et le HCERES » Goguette sur l’air de Fensch Vallée de Bernard Lavilliers, avril 2023, https://youtu.be/kC9KTNQjDPs
  • « Acteurs critiques en quête de prises. Perspectives récentes sur les controverses depuis le pragmatisme sociologique », Intervention à l’UNIL, séminaire de Laurence Kaufmann, Lausanne, 10 mai 2023.
  • Introduction du Workshop « Aux croisements des bouleversements écologiques et numériques : Regards pragmatistes sur les connexions, déconnexions et reconnexions contemporaines », GSPR, Campus Condorcet, 15-16 juin 2023.
  • « Tyrannies, dominations, influences ou emprises. En-deçà, à côté et derrière les controverses : le pragmatisme et les pouvoirs », École d’été Pragmata, Porquerolles, 28 juin 2023.