Attention, les informations que vous consultez actuellement ne sont pas celles de l'année universitaire en cours. Consulter l'année universitaire 2023-2024.

UE166 - Socialisation et nationalisation. La question des identités


Lieu et planning


  • Bâtiment EHESS-Condorcet
    EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
    Salle 25-A
    annuel / bimensuel (2e/4e), jeudi 10:30-12:30
    du 24 novembre 2022 au 8 juin 2023
    Nombre de séances : 12


Description


Dernière modification : 16 mai 2022 09:20

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Philosophie et épistémologie
Page web
-
Langues
français
L’enseignement est uniquement dispensé dans cette langue.
Mots-clés
Citoyenneté Classes sociales Collectifs Comparatisme Droit, normes et société Dynamiques sociales Ethnicité Minorités Nationalisme
Aires culturelles
Europe
Intervenant·e·s
  • Bruno Karsenti [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Laboratoire interdisciplinaire d'études sur les réflexivités. Fonds Yan-Thomas (LIER-FYT)

Nous poursuivons dans ce séminaire la réflexion menée sur les processus sociaux de nationalisation et les formes prises par les nationalismes dans l'Europe moderne. Le but est d'ouvrir une perspective comparative et généalogique qui nous permette de saisir les caractères propres aux nationalismes contemporains et les enjeux politiques inédits qu'ils soulèvent.

L'approche adoptée est celle de la philosophie des sciences sociales. On s'appuie essentiellement sur un corpus sociologique et historique, pour dégager les concepts politiques à l'œuvre et leurs transformations. Cette année, en reprenant les conclusions de notre lecture développée l’an dernier de l’austromarxisme et de l’ouvrage classique d’Otto Bauer sur la question des nationalités, on abordera le problème contemporain des identités nationales et de ce qu’on nomme, dans le débat public, l’identitarisme.

Le programme détaillé n'est pas disponible.


Master


  • Séminaires de recherche – Philosophie-Philosophie du langage et de l'esprit – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel bi-mensuelle = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture

Renseignements


Contacts additionnels
karsenti@ehess.fr
Informations pratiques

Bruno Karsenti, LIER-Fyt, 10 rue Monsieur le Prince, 75006 Paris.

Direction de travaux des étudiants

réception sur rendez-vous.

Réception des candidats
-
Pré-requis

bonne connaissance des textes fondamentaux de la philosophie politique moderne et de la sociologie classique.


Compte rendu


Sur quoi portent exactement les questions d’identité qui se posent avec aujourd’hui insistance, comme un seuil d’intensité maximale de conflits socio-politiques qui souvent donnent l’impression qu’ils sont insolubles ? C’est cette interrogation qu’on a menée cette année dans le séminaire, en prenant appui sur des textes contemporains de philosophie politique (Jürgen Habermas, Vincent Descombes, Etienne Balibar), de sociologie politique (Rogers Brubaker, Cyril Lemieux), et d’histoire moderne et contemporaine (Frederick Cooper, Ann Stoler). L’objectif a été de mieux cerner la façon dont s’affrontent sur cette question les idéologies qui irriguent et structurent de la pensée moderne, à savoir le socialisme, le nationalisme et le libéralisme, et de construire une conception de l’identité fondée en philosophie des sciences sociales permettant de s’extraire des dilemmes que cet affrontement engendre.

On est parti du constat que l’individu moderne, dans les nations, est fondé à vivre ses appartenances primaires comme des appartenances constitutives de son individualité, mais seulement au sens où il les assume librement, dans la mesure où elles sont des composantes de ce Hegel, le premier, a défini comme son « droit de la particularité. » C’est au cours de cette évolution qu’a pris forme l’expérience sociale et politique de la nationalisation, formation d’un collectif d’appartenance de second degré doté de propriétés très particulières: non pas seulement celui qui reçoit les revendications des individus liées à leur appartenance à des groupes particuliers (à leurs identités collectives), mais aussi condition de possibilité de l’individualisation opérée à partir des appartenances collectives (et donc de l’identité individuelle et subjective). La logique individualiste de l’amplification du je, de son accentuation par rapport au nous – pour parler comme Nobert Elias – est forcément à ce prix. Il s’ensuit que la nation se donne inévitablement, qu’on soit nationaliste ou pas, comme une autre appartenance, implicite ou explicite, qui sous-tend l’identité collective vécue par le je comme inhérente à son identité individuelle.

On a ensuite montré que cette appartenance, pour être perçue dans ses ressorts véritables, requiert une réflexion de l’individu qui l’incite à voir autrement ses appartenances primaires : non pas du tout à les considérer insignifiantes, niées par sa nationalisation, mais plutôt à les réinterpréter comme les aspects de sa socialisation réelle, reprise à l’aune de l’individualisation. Celle-ci est rendue possible et favorisée, soit en d’autres lieux de socialisation que les solidarités primaires (dans l’école, dans le travail, dans le tissu associatif et dans la sphère publique) soit dans ces lieux mêmes, mais reconfigurés, modifiés en vertu de leur inscription dans une société politique intégrée. Cette modification est toujours une réorientation de leurs normes propres, en direction de l’individualisation. 

On s’est alors penchés sur les dérèglements multiples qui guettent constamment cette construction politique. Et l’on a montré en quoi le thème de l’identité y devient forcément prééminent. Il y a une nécessité sociale et historique à ce que s’impose l’idiome identitaire pour traiter de conflits qui, en tant qu’ils ont réellement pour objet la reconstruction des identités subjectives dans une société différenciée, sont toujours en dernière analyse des conflits d’intégration, même lorsqu’ils se donnent comme des conflits de domination et d’oppression. Mais c’est une intégration qu’on comprend mal en général. Ce qu’on tend à négliger, c’est qu’elle ne met pas directement en rapport les individus et la société globale, cette société nationale qui se réfléchit et agit sur elle-même à travers l’État. Bien plutôt, elle concerne des individus socialisés diversement, membres de sous-groupes déterminés. Ces derniers peuvent être des groupes d’appartenances préconstitués (communautés ethniques, culturelles et religieuses, groupements familiaux) ou de nouveaux groupements engendrés par les progrès de l’individualisation et par le processus de modernisation, ce qui se produit par la division du travail social et la réorganisation des activités productives, mais aussi par la prise de conscience de destins communs distincts au sein du mouvement général de l’émancipation (ce qui, aujourd’hui, concerne au premier chef les femmes, les minorités sexuelles et les populations post-coloniales). 

Qu’on ait affaire à des appartenances anciennes et héritées, ou à des solidarités nouvelles se découvrant elles-mêmes à travers la différenciation sociale à ce niveau intermédiaire, le problème reste le même : la socialisation implique l’individualisation, et donc une certaine transformation des groupes. Cela se produit, une fois encore, par l’action qu’exerce sur eux la société globale, dont les groupes comme les individus sont astreints à prendre conscience et à laquelle il leur faut s’ajuster, sachant que c’est en elle que la forme « individu » est représentée et reconnue comme égale et libre. Mais cette société globale n'est alors nullement figée et intangible. Elle est emportée dans un mouvement continu de transformation, à mesure que changent les groupes et les individus qui la composent à l’intérieur d’elle-même, et que s’approfondissent ses relations avec l’extérieur, c’est-à-dire les interactions avec les autres formations sociales investies dans la même dynamique moderne.

On a achevé notre réflexion de l’année en montrant qu’il y a conflits d’identité bloqués, aiguisés, impropres à la résolution et générateurs de violence, lorsqu’à l’un ou l’autre plan qu’on vient de distinguer, les instances et opérations requises pour que ce mouvement se poursuive se révèlent défaillantes. Ce qui peut se produire de différentes manières, dans les groupes sociaux comme dans l’État. On a parcouru certains des lieux où ces blocages se produisent : la façon dont s’articulent nationalement droits subjectifs et droits sociaux, la façon dont se développent les relations internationales, la façon dont se creusent les inégalités socio-économiques au sein de la division du travail, ou encore, la capacité des identités collectives particulières à se reprendre réflexivement à partir de leur inscription dans ce qui est bien une expérience commune de nationalisation.

Dernière modification : 16 mai 2022 09:20

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Philosophie et épistémologie
Page web
-
Langues
français
L’enseignement est uniquement dispensé dans cette langue.
Mots-clés
Citoyenneté Classes sociales Collectifs Comparatisme Droit, normes et société Dynamiques sociales Ethnicité Minorités Nationalisme
Aires culturelles
Europe
Intervenant·e·s
  • Bruno Karsenti [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Laboratoire interdisciplinaire d'études sur les réflexivités. Fonds Yan-Thomas (LIER-FYT)

Nous poursuivons dans ce séminaire la réflexion menée sur les processus sociaux de nationalisation et les formes prises par les nationalismes dans l'Europe moderne. Le but est d'ouvrir une perspective comparative et généalogique qui nous permette de saisir les caractères propres aux nationalismes contemporains et les enjeux politiques inédits qu'ils soulèvent.

L'approche adoptée est celle de la philosophie des sciences sociales. On s'appuie essentiellement sur un corpus sociologique et historique, pour dégager les concepts politiques à l'œuvre et leurs transformations. Cette année, en reprenant les conclusions de notre lecture développée l’an dernier de l’austromarxisme et de l’ouvrage classique d’Otto Bauer sur la question des nationalités, on abordera le problème contemporain des identités nationales et de ce qu’on nomme, dans le débat public, l’identitarisme.

Le programme détaillé n'est pas disponible.

  • Séminaires de recherche – Philosophie-Philosophie du langage et de l'esprit – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel bi-mensuelle = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture
Contacts additionnels
karsenti@ehess.fr
Informations pratiques

Bruno Karsenti, LIER-Fyt, 10 rue Monsieur le Prince, 75006 Paris.

Direction de travaux des étudiants

réception sur rendez-vous.

Réception des candidats
-
Pré-requis

bonne connaissance des textes fondamentaux de la philosophie politique moderne et de la sociologie classique.

  • Bâtiment EHESS-Condorcet
    EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
    Salle 25-A
    annuel / bimensuel (2e/4e), jeudi 10:30-12:30
    du 24 novembre 2022 au 8 juin 2023
    Nombre de séances : 12

Sur quoi portent exactement les questions d’identité qui se posent avec aujourd’hui insistance, comme un seuil d’intensité maximale de conflits socio-politiques qui souvent donnent l’impression qu’ils sont insolubles ? C’est cette interrogation qu’on a menée cette année dans le séminaire, en prenant appui sur des textes contemporains de philosophie politique (Jürgen Habermas, Vincent Descombes, Etienne Balibar), de sociologie politique (Rogers Brubaker, Cyril Lemieux), et d’histoire moderne et contemporaine (Frederick Cooper, Ann Stoler). L’objectif a été de mieux cerner la façon dont s’affrontent sur cette question les idéologies qui irriguent et structurent de la pensée moderne, à savoir le socialisme, le nationalisme et le libéralisme, et de construire une conception de l’identité fondée en philosophie des sciences sociales permettant de s’extraire des dilemmes que cet affrontement engendre.

On est parti du constat que l’individu moderne, dans les nations, est fondé à vivre ses appartenances primaires comme des appartenances constitutives de son individualité, mais seulement au sens où il les assume librement, dans la mesure où elles sont des composantes de ce Hegel, le premier, a défini comme son « droit de la particularité. » C’est au cours de cette évolution qu’a pris forme l’expérience sociale et politique de la nationalisation, formation d’un collectif d’appartenance de second degré doté de propriétés très particulières: non pas seulement celui qui reçoit les revendications des individus liées à leur appartenance à des groupes particuliers (à leurs identités collectives), mais aussi condition de possibilité de l’individualisation opérée à partir des appartenances collectives (et donc de l’identité individuelle et subjective). La logique individualiste de l’amplification du je, de son accentuation par rapport au nous – pour parler comme Nobert Elias – est forcément à ce prix. Il s’ensuit que la nation se donne inévitablement, qu’on soit nationaliste ou pas, comme une autre appartenance, implicite ou explicite, qui sous-tend l’identité collective vécue par le je comme inhérente à son identité individuelle.

On a ensuite montré que cette appartenance, pour être perçue dans ses ressorts véritables, requiert une réflexion de l’individu qui l’incite à voir autrement ses appartenances primaires : non pas du tout à les considérer insignifiantes, niées par sa nationalisation, mais plutôt à les réinterpréter comme les aspects de sa socialisation réelle, reprise à l’aune de l’individualisation. Celle-ci est rendue possible et favorisée, soit en d’autres lieux de socialisation que les solidarités primaires (dans l’école, dans le travail, dans le tissu associatif et dans la sphère publique) soit dans ces lieux mêmes, mais reconfigurés, modifiés en vertu de leur inscription dans une société politique intégrée. Cette modification est toujours une réorientation de leurs normes propres, en direction de l’individualisation. 

On s’est alors penchés sur les dérèglements multiples qui guettent constamment cette construction politique. Et l’on a montré en quoi le thème de l’identité y devient forcément prééminent. Il y a une nécessité sociale et historique à ce que s’impose l’idiome identitaire pour traiter de conflits qui, en tant qu’ils ont réellement pour objet la reconstruction des identités subjectives dans une société différenciée, sont toujours en dernière analyse des conflits d’intégration, même lorsqu’ils se donnent comme des conflits de domination et d’oppression. Mais c’est une intégration qu’on comprend mal en général. Ce qu’on tend à négliger, c’est qu’elle ne met pas directement en rapport les individus et la société globale, cette société nationale qui se réfléchit et agit sur elle-même à travers l’État. Bien plutôt, elle concerne des individus socialisés diversement, membres de sous-groupes déterminés. Ces derniers peuvent être des groupes d’appartenances préconstitués (communautés ethniques, culturelles et religieuses, groupements familiaux) ou de nouveaux groupements engendrés par les progrès de l’individualisation et par le processus de modernisation, ce qui se produit par la division du travail social et la réorganisation des activités productives, mais aussi par la prise de conscience de destins communs distincts au sein du mouvement général de l’émancipation (ce qui, aujourd’hui, concerne au premier chef les femmes, les minorités sexuelles et les populations post-coloniales). 

Qu’on ait affaire à des appartenances anciennes et héritées, ou à des solidarités nouvelles se découvrant elles-mêmes à travers la différenciation sociale à ce niveau intermédiaire, le problème reste le même : la socialisation implique l’individualisation, et donc une certaine transformation des groupes. Cela se produit, une fois encore, par l’action qu’exerce sur eux la société globale, dont les groupes comme les individus sont astreints à prendre conscience et à laquelle il leur faut s’ajuster, sachant que c’est en elle que la forme « individu » est représentée et reconnue comme égale et libre. Mais cette société globale n'est alors nullement figée et intangible. Elle est emportée dans un mouvement continu de transformation, à mesure que changent les groupes et les individus qui la composent à l’intérieur d’elle-même, et que s’approfondissent ses relations avec l’extérieur, c’est-à-dire les interactions avec les autres formations sociales investies dans la même dynamique moderne.

On a achevé notre réflexion de l’année en montrant qu’il y a conflits d’identité bloqués, aiguisés, impropres à la résolution et générateurs de violence, lorsqu’à l’un ou l’autre plan qu’on vient de distinguer, les instances et opérations requises pour que ce mouvement se poursuive se révèlent défaillantes. Ce qui peut se produire de différentes manières, dans les groupes sociaux comme dans l’État. On a parcouru certains des lieux où ces blocages se produisent : la façon dont s’articulent nationalement droits subjectifs et droits sociaux, la façon dont se développent les relations internationales, la façon dont se creusent les inégalités socio-économiques au sein de la division du travail, ou encore, la capacité des identités collectives particulières à se reprendre réflexivement à partir de leur inscription dans ce qui est bien une expérience commune de nationalisation.