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UE670 - Le concept d'homme dans la culture arabe classique


Lieu et planning


  • Bâtiment EHESS-Condorcet
    EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
    Salle 25-B
    annuel / bimensuel (2e/4e), lundi 12:30-14:30
    du 8 novembre 2021 au 23 mai 2022


Description


Dernière modification : 11 mai 2022 15:17

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Anthropologie historique
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Interactions Islam Philologie Savoirs Sciences
Aires culturelles
Arabe (monde) Maghreb Méditerranéens (mondes) Musulmans (mondes)
Intervenant·e·s
  • Houari Touati [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Institut des mondes africains (IMAF)

« L’humanité ne se pose jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre » (Karl Marx). Les cultures aussi, qui ne consentent à donner un statut à leurs interrogations que lorsque celles-ci sont mûres comme un fruit fécond. La question « qu’est-ce que l’homme ? » (al-insān mā huwa) ne s’est pas posée à la culture arabe avant qu’elle n’y soit introduite par les premières traductions-adaptations du traité de logique de Porphyre dont la plus ancienne remonte aux années 760. L’homme a ainsi pris pied en terre d’islam comme une catégorie logique : il est le « vivant mortel raisonnable » (ḥayy mayyit nāṭiq). Après avoir entériné cette réponse, les falāsifa l’ont développée de multiples façons sans toutefois sortir du paradigme aristotélicien qui la fonde, au contraire des théologiens rationalistes qui s’en sont écarté en s’appuyant sur une autre définition de l’homme qui en fait le « vivant doué de capacité » (ḥayy mustaṭī‘). Mais, pour formuler leur solution, les uns et les autres se sont confrontés à la même question : « Est-ce que l’homme existe ? » (hal al-insān mawjūd). Et ils ont répondu positivement, les uns en mettant l’accent sur la capacité de l’homme à raisonner et à discourir, les autres en se focalisant sur son aptitude à poser des actes volontaires qui ne lui soient dictés que par son libre-arbitre (ikhtiyār), d’où cette autre définition de l’homme qui en fait un mukhtār, c’est-à-dire un être doué de choix.

En fait, cette définition de l’homme par son du libre-choix a existé avant le mouvement de traduction gréco-arabe abbassides. On en trouve les bases chez les premiers théologiens rationalistes qui émergent dans la première moitié du VIIIe siècle inquiets de voir l’homme réduit à n’être qu’une négation de lui-même. Car dans la doctrine de la prédestination prêtée à Jahm b. Safwān (m. 128/746), il est défini comme un corps (jism), et uniquement comme un corps, semblable à n’importe quel autre corps y compris les matérialités inertes (jamādāt). Mais les théologiens n’ont pu admettre les postulats de l’anthropologie aristotélicienne. Le mouvement de traduction gréco-arabe a mis à leur disposition le paradigme de l’atomisme qui leur a permis de s’affranchir du paradigme aristotélicien, même si certains théologiens du IXe siècle comme al-Naẓẓām n’ont pas hésité à reprendre à leur compte la théorie selon laquelle l’homme est défini par sa nature.

Ce concept de nature inhérente à l’homme la culture arabe et islamique l’a connu à travers la philosophie mais aussi et surtout à travers la médecine avec la traduction de la Nature de l’homme (Ṭabī‘at al-insān) d’Hippocrate et de son Commentaire par Galien. Cependant, pour comprendre la nature particulière de l’homme, il faut savoir ce qu’est la nature en général. Et c’est là qu’intervient la théorie des quatre éléments (al-ṭabā’i‘ al-arba‘a) reprise à la tradition médicale hippocratique par la philosophie aristotélicienne, mais également l’astronomie ptoléméenne qui est même la première dans l’ordre chronologique à fournir à la culture arabe classique son anthropologie scientifique avec la traduction du Livre du secret de la création (Sirr al-khalīqa) d’Apollonios de Tyane dès avant le milieu du IXe siècle et dont on retrouve les toutes premières utilisations dans les épîtres de Jābīr b. Ḥayyān.

Différentes conjonctions intellectuelles ont donc opéré entre elles pour rendre possible l’entrée tumultueuse de l’homme dans la culture arabe et islamique classique. Et c’est pour l’en chasser que la théologie traditionnelle de l’ash‘arisme s’est attelée à dénouer une à une ces conjonctions en s’en prenant d’abord au concept de nature auquel elle a substitué son propre concept de « continuité » (‘āda) : loin de tenir son principe de mouvement d’elle-même, comme disent les Aristotéliciens, la « continuité » ne le tient que de Dieu qui peut aussi bien la rompre quand il veut et comme il veut ainsi qu’en témoignent les prodiges des prophètes et les miracles des saints mais également d’autres phénomènes physiques inexplicables. L’enjeu est de taille : s’il n’y a pas de lois qui régissent de la nature, il n’y a pas non plus de lois qui fondent l’homme dans sa positivité. C’est tout ce foisonnement d’idées que le séminaire se propose de restituer afin d’en saisir les enjeux théoriques et pratiques pour une culture arabe classique en pleine effervescence.

Les séances des 9 et 23 mai se dérouleront en salle 0.017, bâtiment recherche Sud, campus Condorcet


Master


  • Séminaires de recherche – Histoire-Histoire du monde/histoire des mondes – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel bi-mensuelle = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture
  • Séminaires de recherche – Histoire-Histoire et sciences sociales – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel bi-mensuelle = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture

Renseignements


Contacts additionnels
elisabeth.dubois@ehess.fr
Informations pratiques

IMAF, Campus Condorcet, bâtiment Recherche Sud, Cours des Humanités 93300 Aubervilliers (elisabeth Dubois)

Direction de travaux des étudiants

IMAF, Campus Condorcet, bâtiment Recherche Sud, Cours des Humanités 93300 Aubervilliers (elisabeth Dubois).

Réception : le lundi de 17 h à 19 h, sur rendez-vous avec l'enseignant.

Réception des candidats

 

contacter l'enseignant par courriel.

Pré-requis

projet écrit ou entretien avec l'enseignant.


Compte rendu


Le séminaire s’est focalisé cette année sur la dichotomie entre discours intérieur (logos endiathetos = nuṭq dākhil) et discours extérieur (logos prophorikos = nuṭq khārij) prêtée aux stoïciens, mais qui semble d’inspiration platonicienne. L’essentiel des séances a consisté à passer en revue les sources (en grande partie néoplatoniciennes) à travers lesquelles elle est parvenue à la culture arabe classique, avant d’apparaître pour la première fois dans un texte philosophique directement en arabe au milieu du IXe siècle sous la plume du « philosophe des Arabes » al-Kindī (m. 873). Mais la source grecque la plus anciennement traduite remonte à une cinquantaine d’année plus tôt. Il s’agit du De la nature de l’homme de Némésius dont ne subsiste qu’une version acéphale amalgamée à un traité d’alchimie attribué à Apollonius de Tyane qui en a préservé la première moitié. Ce traité anthropologique composé à Émèse en Syrie la fin du IVe siècle a paru si important à la culture arabe classique qu’elle en a fourni trois autres traductions connues intégralement et dont la plus ancienne est celle qui est attribuée au célèbre traducteur du Ḥunayn b. Isḥāq (m. 870). Une édition critique attend toujours le texte, dont seule l’ancienne version acéphale est publiée. Sans doute, les philosophes de langue arabe lui doivent-ils d’avoir pris connaissance pour la première fois de la définition platonicienne de la pensée comme mouvement de l’âme revenant sur elle-même ou, encore, comme dialogue (muḥādatha) de l’âme avec elle-même.

L’autre source qui a retenu l’attention est la Théologie d’Aristote, qui est – en fait –  une traduction-adaptation des Ennéades de Plotin (livres IV-VI) exécutée à la fin du IXe siècle dans le cercle d’al-Kindī et dont l’authenticité paraissait douteuse à l’époque d’Ibn Sīnā. Ce traité tient en grande partie son importance de ce qu’il a introduit dans la philosophie de langue arabe nombre de thèmes platoniciens, notamment tous ceux qui ont trait à l’âme, en l’absence de leurs sources d’origine. Car si des dialogues comme la République, les Lois ou le Timée ont fait l’objet de traduction, le corpus platonicien n’a pas suscité le même intérêt porté au corpus aristotélicien.

Outre qu’il a permis à ses lecteurs arabophones de prendre connaissance de la façon dont Plotin a réinterprété la relation entre discours intérieur et discours extérieur, Plotin arabe leur a fait connaître une autre dichotomie platonicienne non moins importante : celle qui existe entre pensée discursive et pensée non-discursive, noēsis (ta‘aqqul) et diánoia (fikr), qui complexifie la configuration du discours intérieur et du discours extérieur par l’intégration dans le processus intellectif d’une instance réflexive discursive qui ne peut – comme telle – se déployer qu’en s’articulant au discours extérieur, en tant qu’il est parole proférée. Sauf que si, dans un cas, cette parole est intérieure et silencieuse, dans l’autre, elle est extérieure et sonore. Une telle approche de la pensée a trouvé son expression la plus élaborée chez Ibn Sīnā à travers son commentaire à la Théologie d’Aristote.

Enfin, le séminaire s’est penché sur le corpus galénique qui renferme également de nombreuses références à cette distinction entre discours intérieur et discours extérieur. Comme le corpus aristotélicien, le corpus galénique a été entouré d’une attention extrême qui a conduit à la traduction de pratiquement tout ce qu’en connaissaient les écoles de médecine et de philosophie de l’Alexandrie tardo-antique. La distinction en question apparaît en effet dans au moins trois traités galéniques : l’Ethica (dont avec la perte du texte grec ne subsiste plus qu’une version arabe abrégée), le De placitis Hippocratis et Platonis (dont sont préservées en arabe uniquement des extraits) et le commentaire du In Hippocratis De Officina Medici d’Hippocrate (dont n’est conservé en arabe que le livre III dans sa plus grande partie).

Mais c’est l’Ethica qui a retenu la plus grande attention. Médecins, philosophes et théologiens rationalistes l’ont lue et méditée. Sa large réception a grandement contribué à la dissémination du couple discours intérieur/discours extérieur dans la culture arabe classique. Car c’est dans ce traité d’éthique néoplatonicienne qu’elles apparaissent au lecteur arabophone le mieux mises en œuvre au service d’une anthropologie. À leur appui, le médecin de Pergame y a en effet défendu une distinction radicale entre l’homme et l’animal, comparable à celle qui est prêtée aux stoïciens, en contestant à l’animal de disposer du discours extérieur sans posséder le discours intérieur. Or c’est ce souci de la différence essentielle séparant l’homme de l’animal dans le débat philosophique de langue arabe qui explique la réception des deux notions. Leur interprétation a divisé : certains philosophes ont adhéré à la thèse galénique (al-Kindī par exemple), d’autre l’ont récusée (al-Fārābī par exemple), en accordant la parole articulée à certains animaux, pendant que les troisièmes (al-Rāzī par exemple) – sans doute influencés par Porphyre – tournaient le dos aux uns et aux autres en reconnaissant aux bêtes l’existence de la pensée. En s’emparant de ce débat, les théologiens en ont fait un tout autre usage (mais qui n’est pas sans lien avec le statut de l’homme en tant que vivant parlant) : ils l’ont introduit dans la vive et sensible querelle sur le Coran, quant à savoir s’il est créé ou incréé.   

Dernière modification : 11 mai 2022 15:17

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Anthropologie historique
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Interactions Islam Philologie Savoirs Sciences
Aires culturelles
Arabe (monde) Maghreb Méditerranéens (mondes) Musulmans (mondes)
Intervenant·e·s
  • Houari Touati [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Institut des mondes africains (IMAF)

« L’humanité ne se pose jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre » (Karl Marx). Les cultures aussi, qui ne consentent à donner un statut à leurs interrogations que lorsque celles-ci sont mûres comme un fruit fécond. La question « qu’est-ce que l’homme ? » (al-insān mā huwa) ne s’est pas posée à la culture arabe avant qu’elle n’y soit introduite par les premières traductions-adaptations du traité de logique de Porphyre dont la plus ancienne remonte aux années 760. L’homme a ainsi pris pied en terre d’islam comme une catégorie logique : il est le « vivant mortel raisonnable » (ḥayy mayyit nāṭiq). Après avoir entériné cette réponse, les falāsifa l’ont développée de multiples façons sans toutefois sortir du paradigme aristotélicien qui la fonde, au contraire des théologiens rationalistes qui s’en sont écarté en s’appuyant sur une autre définition de l’homme qui en fait le « vivant doué de capacité » (ḥayy mustaṭī‘). Mais, pour formuler leur solution, les uns et les autres se sont confrontés à la même question : « Est-ce que l’homme existe ? » (hal al-insān mawjūd). Et ils ont répondu positivement, les uns en mettant l’accent sur la capacité de l’homme à raisonner et à discourir, les autres en se focalisant sur son aptitude à poser des actes volontaires qui ne lui soient dictés que par son libre-arbitre (ikhtiyār), d’où cette autre définition de l’homme qui en fait un mukhtār, c’est-à-dire un être doué de choix.

En fait, cette définition de l’homme par son du libre-choix a existé avant le mouvement de traduction gréco-arabe abbassides. On en trouve les bases chez les premiers théologiens rationalistes qui émergent dans la première moitié du VIIIe siècle inquiets de voir l’homme réduit à n’être qu’une négation de lui-même. Car dans la doctrine de la prédestination prêtée à Jahm b. Safwān (m. 128/746), il est défini comme un corps (jism), et uniquement comme un corps, semblable à n’importe quel autre corps y compris les matérialités inertes (jamādāt). Mais les théologiens n’ont pu admettre les postulats de l’anthropologie aristotélicienne. Le mouvement de traduction gréco-arabe a mis à leur disposition le paradigme de l’atomisme qui leur a permis de s’affranchir du paradigme aristotélicien, même si certains théologiens du IXe siècle comme al-Naẓẓām n’ont pas hésité à reprendre à leur compte la théorie selon laquelle l’homme est défini par sa nature.

Ce concept de nature inhérente à l’homme la culture arabe et islamique l’a connu à travers la philosophie mais aussi et surtout à travers la médecine avec la traduction de la Nature de l’homme (Ṭabī‘at al-insān) d’Hippocrate et de son Commentaire par Galien. Cependant, pour comprendre la nature particulière de l’homme, il faut savoir ce qu’est la nature en général. Et c’est là qu’intervient la théorie des quatre éléments (al-ṭabā’i‘ al-arba‘a) reprise à la tradition médicale hippocratique par la philosophie aristotélicienne, mais également l’astronomie ptoléméenne qui est même la première dans l’ordre chronologique à fournir à la culture arabe classique son anthropologie scientifique avec la traduction du Livre du secret de la création (Sirr al-khalīqa) d’Apollonios de Tyane dès avant le milieu du IXe siècle et dont on retrouve les toutes premières utilisations dans les épîtres de Jābīr b. Ḥayyān.

Différentes conjonctions intellectuelles ont donc opéré entre elles pour rendre possible l’entrée tumultueuse de l’homme dans la culture arabe et islamique classique. Et c’est pour l’en chasser que la théologie traditionnelle de l’ash‘arisme s’est attelée à dénouer une à une ces conjonctions en s’en prenant d’abord au concept de nature auquel elle a substitué son propre concept de « continuité » (‘āda) : loin de tenir son principe de mouvement d’elle-même, comme disent les Aristotéliciens, la « continuité » ne le tient que de Dieu qui peut aussi bien la rompre quand il veut et comme il veut ainsi qu’en témoignent les prodiges des prophètes et les miracles des saints mais également d’autres phénomènes physiques inexplicables. L’enjeu est de taille : s’il n’y a pas de lois qui régissent de la nature, il n’y a pas non plus de lois qui fondent l’homme dans sa positivité. C’est tout ce foisonnement d’idées que le séminaire se propose de restituer afin d’en saisir les enjeux théoriques et pratiques pour une culture arabe classique en pleine effervescence.

Les séances des 9 et 23 mai se dérouleront en salle 0.017, bâtiment recherche Sud, campus Condorcet

  • Séminaires de recherche – Histoire-Histoire du monde/histoire des mondes – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel bi-mensuelle = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture
  • Séminaires de recherche – Histoire-Histoire et sciences sociales – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel bi-mensuelle = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture
Contacts additionnels
elisabeth.dubois@ehess.fr
Informations pratiques

IMAF, Campus Condorcet, bâtiment Recherche Sud, Cours des Humanités 93300 Aubervilliers (elisabeth Dubois)

Direction de travaux des étudiants

IMAF, Campus Condorcet, bâtiment Recherche Sud, Cours des Humanités 93300 Aubervilliers (elisabeth Dubois).

Réception : le lundi de 17 h à 19 h, sur rendez-vous avec l'enseignant.

Réception des candidats

 

contacter l'enseignant par courriel.

Pré-requis

projet écrit ou entretien avec l'enseignant.

  • Bâtiment EHESS-Condorcet
    EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
    Salle 25-B
    annuel / bimensuel (2e/4e), lundi 12:30-14:30
    du 8 novembre 2021 au 23 mai 2022

Le séminaire s’est focalisé cette année sur la dichotomie entre discours intérieur (logos endiathetos = nuṭq dākhil) et discours extérieur (logos prophorikos = nuṭq khārij) prêtée aux stoïciens, mais qui semble d’inspiration platonicienne. L’essentiel des séances a consisté à passer en revue les sources (en grande partie néoplatoniciennes) à travers lesquelles elle est parvenue à la culture arabe classique, avant d’apparaître pour la première fois dans un texte philosophique directement en arabe au milieu du IXe siècle sous la plume du « philosophe des Arabes » al-Kindī (m. 873). Mais la source grecque la plus anciennement traduite remonte à une cinquantaine d’année plus tôt. Il s’agit du De la nature de l’homme de Némésius dont ne subsiste qu’une version acéphale amalgamée à un traité d’alchimie attribué à Apollonius de Tyane qui en a préservé la première moitié. Ce traité anthropologique composé à Émèse en Syrie la fin du IVe siècle a paru si important à la culture arabe classique qu’elle en a fourni trois autres traductions connues intégralement et dont la plus ancienne est celle qui est attribuée au célèbre traducteur du Ḥunayn b. Isḥāq (m. 870). Une édition critique attend toujours le texte, dont seule l’ancienne version acéphale est publiée. Sans doute, les philosophes de langue arabe lui doivent-ils d’avoir pris connaissance pour la première fois de la définition platonicienne de la pensée comme mouvement de l’âme revenant sur elle-même ou, encore, comme dialogue (muḥādatha) de l’âme avec elle-même.

L’autre source qui a retenu l’attention est la Théologie d’Aristote, qui est – en fait –  une traduction-adaptation des Ennéades de Plotin (livres IV-VI) exécutée à la fin du IXe siècle dans le cercle d’al-Kindī et dont l’authenticité paraissait douteuse à l’époque d’Ibn Sīnā. Ce traité tient en grande partie son importance de ce qu’il a introduit dans la philosophie de langue arabe nombre de thèmes platoniciens, notamment tous ceux qui ont trait à l’âme, en l’absence de leurs sources d’origine. Car si des dialogues comme la République, les Lois ou le Timée ont fait l’objet de traduction, le corpus platonicien n’a pas suscité le même intérêt porté au corpus aristotélicien.

Outre qu’il a permis à ses lecteurs arabophones de prendre connaissance de la façon dont Plotin a réinterprété la relation entre discours intérieur et discours extérieur, Plotin arabe leur a fait connaître une autre dichotomie platonicienne non moins importante : celle qui existe entre pensée discursive et pensée non-discursive, noēsis (ta‘aqqul) et diánoia (fikr), qui complexifie la configuration du discours intérieur et du discours extérieur par l’intégration dans le processus intellectif d’une instance réflexive discursive qui ne peut – comme telle – se déployer qu’en s’articulant au discours extérieur, en tant qu’il est parole proférée. Sauf que si, dans un cas, cette parole est intérieure et silencieuse, dans l’autre, elle est extérieure et sonore. Une telle approche de la pensée a trouvé son expression la plus élaborée chez Ibn Sīnā à travers son commentaire à la Théologie d’Aristote.

Enfin, le séminaire s’est penché sur le corpus galénique qui renferme également de nombreuses références à cette distinction entre discours intérieur et discours extérieur. Comme le corpus aristotélicien, le corpus galénique a été entouré d’une attention extrême qui a conduit à la traduction de pratiquement tout ce qu’en connaissaient les écoles de médecine et de philosophie de l’Alexandrie tardo-antique. La distinction en question apparaît en effet dans au moins trois traités galéniques : l’Ethica (dont avec la perte du texte grec ne subsiste plus qu’une version arabe abrégée), le De placitis Hippocratis et Platonis (dont sont préservées en arabe uniquement des extraits) et le commentaire du In Hippocratis De Officina Medici d’Hippocrate (dont n’est conservé en arabe que le livre III dans sa plus grande partie).

Mais c’est l’Ethica qui a retenu la plus grande attention. Médecins, philosophes et théologiens rationalistes l’ont lue et méditée. Sa large réception a grandement contribué à la dissémination du couple discours intérieur/discours extérieur dans la culture arabe classique. Car c’est dans ce traité d’éthique néoplatonicienne qu’elles apparaissent au lecteur arabophone le mieux mises en œuvre au service d’une anthropologie. À leur appui, le médecin de Pergame y a en effet défendu une distinction radicale entre l’homme et l’animal, comparable à celle qui est prêtée aux stoïciens, en contestant à l’animal de disposer du discours extérieur sans posséder le discours intérieur. Or c’est ce souci de la différence essentielle séparant l’homme de l’animal dans le débat philosophique de langue arabe qui explique la réception des deux notions. Leur interprétation a divisé : certains philosophes ont adhéré à la thèse galénique (al-Kindī par exemple), d’autre l’ont récusée (al-Fārābī par exemple), en accordant la parole articulée à certains animaux, pendant que les troisièmes (al-Rāzī par exemple) – sans doute influencés par Porphyre – tournaient le dos aux uns et aux autres en reconnaissant aux bêtes l’existence de la pensée. En s’emparant de ce débat, les théologiens en ont fait un tout autre usage (mais qui n’est pas sans lien avec le statut de l’homme en tant que vivant parlant) : ils l’ont introduit dans la vive et sensible querelle sur le Coran, quant à savoir s’il est créé ou incréé.