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UE891 - Du sol à l'assiette : histoire environnementale des transformations de l'agriculture européenne au XXe siècle


Lieu et planning


  • 105 bd Raspail
    105 bd Raspail 75006 Paris
    Salle 6
    annuel / mensuel (2e), mardi 15:00-18:00
    du 10 novembre 2020 au 8 juin 2021


Description


Dernière modification : 23 octobre 2020 09:16

Type d'UE
Séminaires DR/CR
Disciplines
Histoire
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Agriculture Alimentation Histoire environnementale
Aires culturelles
Asie centrale Europe Europe centrale et orientale Russie
Intervenant·e·s
  • Marc Elie [référent·e]   chargé de recherche, CNRS / Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC)
  • Céline Pessis   contrat postdoctoral, IFRIS
  • Marin Coudreau   jeune docteur, EHESS / Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC)

Margot Lyautey (doctorante EHESS) est membre de l'équipe de coordination du séminaire

Les agricultures européennes ont connu des bouleversements très profonds au XXe siècle : spécialisation et concentration d’un nombre toujours plus faible d’exploitants travaillant des surfaces et des cheptels toujours plus grands ; industrialisation (machinisme, chimie, génie génétique) de tous les processus, de la sélection à la transformation en passant par la production ; poids toujours croissant de l’expertise agronomique, commerciale, assurantielle et bancaire extérieure à l’exploitation. De même, les habitudes alimentaires ont drastiquement évolué, sous l’influence de l’industrie alimentaire, vers une nourriture plus carnée, grasse et sucrée et toujours plus transformée. Combattues par des mouvements politiques, des scientifiques, des activistes et des associations de consommateurs, ces transformations n’ont pas éradiqué de nombreuses pratiques agricoles et alimentaires alternatives, dont certaines ont donné naissance à des filières économiques nouvelles.

Mais le XXe siècle européen est aussi celui des carences alimentaires et des famines. Surproduction et privation, malbouffe et faim, modernisme et arriération ne se succèdent pas seulement ; ils sont souvent concomitants, non seulement pendant les périodes de guerre et de conflit du premier XXe siècle, mais aussi entre un Ouest d’abondance et un Est de pénurie.

Ce séminaire propose d’étudier ces bouleversements et ces contradictions comme affectant autant les corps, les organismes et les écosystèmes que les sociétés et l’économie rurales. En prenant appui sur nos propres travaux et sur l’historiographie, nous adoptons comme objets principaux d’enquête les sols, les organismes et les corps. Ces choses environnantes et intimes, nous y accédons en historisant leur objectivation dans des systèmes savoirs et leur modification par l’intervention technique : par exemple, expertise agronomique et sélection variétale et animale, lutte contre les adventices et développement de la chimie, nutritionnisme et industrie agrolimentaire. L’Europe est prise dans son extension maximale, de l’Europe atlantique jusqu’aux portes de l’Asie centrale, et dans ses extensions coloniales. Cette définition géographique large fait dialoguer plusieurs aires culturelles par-delà le « rideau de fer ». Elle se décline dans des contextes précis qui sont ceux du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne (et de leurs empires), de l’Ukraine, de la Russie et du Kazakhstan. Cet enracinement dans des terrains bien maîtrisé permet d’envisager sereinement la comparaison et l’étude des circulations transnationales des modèles agraires et alimentaires.

10 novembre : 1. Introduction historiographique à l'histoire environnementale de l'agriculture et de l’alimentation

La séance brosse l’historiographie des questions à traiter ensemble au cours du séminaire et introduit au thème général.

À lire :

  • Reboul, Claude. « Déterminants sociaux de la fertilité des sols // Post-scriptum : fertilité agronomique et fertilité économique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales 17, no. 1 (1977): 85–112.

8 décembre : 2. Guerre, alimentation et famine : vers une histoire environnementale

Cette séance s’intéressera aux effets des deux conflits mondiaux sur les politiques d’alimentation menées par les États européens au XXe siècle. Les famines en URSS, la surproduction en France et l’autarcie en Allemagne caractérisent trois conditions agricoles dans l’Europe des années 1930. Nous partirons de l’étude des transformations pan-européennes des politiques d’approvisionnement alimentaire avec le cas de la Russie pendant la Grande Guerre et ses héritages pour le système soviétique. Nous nous tournerons ensuite vers l’occupation de l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale (et plus particulièrement de la France), où l’Allemagne nazie organise son ravitaillement à l’échelle continentale. Puis nous analyserons comment ces politiques alimentaires ont servi des politiques d’État menant à des famines instrumentalisées en URSS et à des politiques planifiées, coloniales et génocidaires (Hungerplan) dans les territoires occupés par l’Allemagne nazie. Nous tenterons de mettre enfin en lumière les multiples pistes offertes par l’histoire environnementale pour renouveler notre compréhension des interrelations entre guerre, alimentation et famine.

À lire :

  • Peter Holquist, « What's so Revolutionary about the Russian Revolution? State practices and the New-Style politics, 1914-1921 », in David L. Hoffmann, Yanni Kotsonis (eds.), Russian Modernity. Politics, Knowledge, Practices, London, Palgrave Macmilan, 2000, p. 87-111 (particulièrement les pages 98-105 sur l'approvisionnement alimentaire).
  • Fabrice Grenard, « L'ONIC entre 1940 et 1944 : transformations et redéfinition de la mission et des pouvoirs de l'institution dans un contexte de pénurie et d'occupation », in Organiser les marchés agricoles, dir. A. Chatriot, E. Leblanc, E. Lynch, Armand Colin, Paris, 2012, p. 217-236.
  • Margot Lyautey et Marc Elie. « German Agricultural Occupation of France and Ukraine, 1940–1944 ». Comparativ 29, n° 3 (16 décembre 2019): 86-117.

12 janvier : 3. Des modernisations plurielles ? Transformations agricoles à l'Est et à l'Ouest

Les transformations profondes opérées par les agricultures européennes au cours du XXe siècle sont souvent qualifiées de « modernisation(s) agricole(s) ». Mais cette expression est problématique car de multiples notions et valeurs (positives comme négatives) lui ont été associées au fil du temps : technicisation, industrialisation, productivisme, américanisation, rationalisation, mécanisation, remembrement, collectivisation, décollectivisation, etc. L'objectif de la séance est d'analyser cette expression d'une part comme une catégorie mobilisée par les acteurs dans nos cas d'étude (URSS, Allemagne nazie, Royaume-Uni, France), à la rencontre des imaginaires de la modernité ou du progrès, de l'agriculture et de la paysannerie ; et d'autre part comme une catégorie d’analyse pour les historien.ne.s. On s'inscrira ici dans les riches débats historiographiques sur modernité et agriculture, notamment dans les régimes soviétique et nazi. On se demandera également ce que l'histoire environnementale de l'agriculture peut apporter à cette réflexion sur les concepts de modernité et de modernisation.

À lire :

  • Christophe Bonneuil, Léna Humbert et Margot Lyautey, « Introduction », in Bonneuil, Humber, Lyautey (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, à paraître aux PUR (2021).
  • Andy Byford, « Doing ‘Modernity’ », texte inédit.
  • Yves Cohen, « The Soviet Fordson. Between the Politics of Stalin and the Philosophy of Ford, 1924-1932 », in Hubert Bonin, Yannick Lung et Steven Tolliday (dir.), Ford, 1903-2003. The European History, Paris, Plage, 2003, vol. 2, p. 531-558.

9 février : 4. Ruptures et restaurations métaboliques

Le XXe siècle européen voit se poursuivre la rupture dite « métabolique » débutée au second XIXe siècle avec la transformation des méthodes de fertilisation des sols : recours croissant à des matières fossiles importées et à de nouveaux engrais chimiques, recul parallèle de l’usage des ordures ménagères, alors requalifiées comme déchets. Cette rupture des flux de matières entre villes et campagnes se double au XXe siècle d’une spécialisation des régions agricoles entre grandes cultures et élevage intensif qui accroît l’ouverture des cycles de carbone et de nutriments. Des inquiétudes des chimistes du XIXe siècle aux approches contemporaines d’écologie territoriale, cette séance considère les types d’analyses, les alertes et les projets de restauration des cycles organiques et leurs circulations européennes qui accompagnèrent ces transformations métaboliques des environnements agricoles dans l’Europe du XXe siècle.

À lire :

  • Mieka Erley, « Models of Soil and Society. The legacy of Jusuts Liebig in Russia and the Soviet Union », in Nicholas B. Breyfogle (ed.), Eurasian Environments. Nature and Ecology in Imperial Russia and Soviet History, Pittsburgh : Univ. of Pittsburgh Press, 2018, p. 133-146.
  • Julia Le Noë, Gilles Billen, Jacques Garnier, « Trajectoires des systèmes de production agricole en France depuis la fin du XIXe siècle : une approche biogéochimique », Innovations Agronomiques 72 (2019): 149-161.
  • Céline Pessis, « La persistance du fumier. La profession agricole face à la spécialisation agricole dans la France des années 1950 » (article en cours)

9 mars : 5. Érosion et colonisation

L’érosion est un processus naturel très dommageable pour l’agriculture et renforcé par certaines pratiques agricoles, coloniales en particulier. De l’Union soviétique à l’empire colonial français, la mise en culture de terres dites « vierges » ou « neuves » s’est souvent traduite par une dégradation rapide des sols. Mais l’érosion est aussi un puissant discours catastrophiste permettant de délégitimer certaines pratiques culturales comme abîmant les sols, voire menaçant la civilisation. Au cours du XXe siècle, le paradigme de l’érosion a justifié un renforcement de l’interventionnisme étatique (Dust Bowl) et supra-étatique (Plan de lutte contre la désertification, 1977). Typiquement discours modernisateur du centre sur la périphérie vue comme arriérée, l’alerte sur la dégradation des sols a permis aux autorités coloniales de justifier la confiscation des terres à des autochtones accusés d’en détruire la fertilité. La séance revient sur les relations complexes qui unissent érosion et colonisation : de ces « jérémiades sur les sols » (Uekötter) à la colonisation comme vecteur de dégradation des sols (exportation de biomasse, pression sur les sols, etc.).

À lire :

  • Diana K. Davis, « Indigenous Knowledge and the Desertification Debate: Problematising Expert Knowledge in North Africa », Geoforum 36, no. 4 (July 2005): 509–524.
  • Marc Elie, « The Soviet Dust Bowl and the Canadian Erosion Experience in the New Lands of Kazakhstan, 1950s-1960s. », Global Environment 8, no. 2 (2015): 259–292.

13 avril : 6. Nuisibles, guerre chimique et environnements toxiques

Le XXe siècle voit se mettre en place des systèmes de classification et de contrôle des populations de « nuisibles » ou « ravageurs » (insectes, champignons, maladies, …) dont la circulation, suivant celle des biens et des personnes, s’accroît. En outre le développement des grandes cultures (vignes, pommes de terre, blé, betteraves) rend les exploitations plus vulnérables à ces pathogènes, comme le montrent les crises du phylloxera et du mildiou. Les États européens développent divers systèmes de lutte contre ces organismes, notamment la guerre chimique, que l’on analysera dans cette séance à travers deux études de cas : les campagnes contre les spermophiles comme les sousliks en Europe de l’Est et la lutte contre le doryphore de la pomme de terre. On verra notamment que cette lutte organisée déborde le simple cadre agricole et investit la sphère sociale. Ainsi le nuisible est présenté de matière anthropomorphe comme un envahisseur étranger, un ennemi du peuple qu'il faut exterminer. Guerre et lutte chimiques constituent par ailleurs des matrices du monde toxique. Nous nous intéresserons donc à leur rôle dans la contamination des environnements et des corps, ainsi qu’à la production du savoir et de l’ignorance quant à leurs effets.

À lire :

  • Edmund Russell, War and Nature: Fighting Humans and Insects with Chemicals from World War I to Silent Spring, (New York: Cambridge University Press, 2001), chapitre 4.
  • Sarah Jansen, « Chemical-warfare techniques for insect control: insect ‘pests’ in Germany before and after World War I », Endeavour, Volume 24, Issue 1, 2000, 28–33.
  • Marin Coudreau, chapitre de thèse remanié.

11 mai : 7. Industrialiser les animaux et les microbes

Au XXe siècle, le travail des zootechniciens, généticiens, bactériologues, etc., remodèle profondément les corps des animaux d’élevage. Dans leur physiologie comme dans leur composition microbienne, ces corps animaux sont traversés par des logiques industrielles ; ils matérialisent des intérêts économiques distincts et, selon les États, soutiennent différents projets technopolitiques.

À lire :

  • Tiago Saraiva, Fascist Pigs, 2016, Chapitre « Pigs : The Bodenständig Scientific Community in Nazi Germany », p. 101-136.
  • Delphine Berdah, « Pour une autre histoire de la "modernisation" des pratiques d'élevage : des antibiotiques dans les rations pour stabiliser les systèmes sociotechniques pharmaceutiques français et britannique », in Lyautey, Humbert et Bonneuil, Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, à paraitre aux PUR (2021).

8 juin : 8. Terroirs, dénaturations et contaminations : histoires des qualités alimentaires

Avec Maxime Guesnon (doctorant Ehess)

Prérogative des États industriels du début du XXe siècle, la « qualité alimentaire » a surtout été étudiée comme élément de construction des marchés et de normalisation de l’ordre agro-industriel. Adossée à une expertise chimique, cette manière dominante de définir et de faire circuler les produits du sol à l’assiette est pourtant fréquemment transgressée et contestée. À travers plusieurs études de cas, cette séance s’intéresse aux crises et aux tensions qui déstabilisent la chaîne marchande de la qualité alimentaire lors de l’« irruption » d’intrants chimiques ou de polluants radioactifs, et lorsque d’autres types de liens et d’attachements, tels la prolifération de micro-organismes, ou d’autres procédés techniques, prétendent définir des gouvernances alternatives de la qualité (produits de terroir, « biologiques », etc.).

À lire :

  • Claire Delfosse et Pierre Le Gall, « Les produits laitiers locaux face à l’industrialisation de la filière-lait (1950-1980) », dans M. Lyautey, L. Humbert, C. Bonneuil (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, à paraitre aux PUR (2021).
  • Kate Brown, Manuel for Survival: A Chernobyl Guide for the Future, W. W. Norton & Company, London and NewYork, 2019, chapitre 9 (« Making Sausage of Disaster ») et conclusion (« Berry Picking into the Future »).

Master


  • Séminaires de recherche – Savoirs en sociétés-Études environnementales – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel mensuelle = 6 ECTS
    MCC – contrôle continu, fiche de lecture

Renseignements


Contacts additionnels
mlyautey@gmail.com
Informations pratiques

Évaluation

Pas d’exposé ni de rendu final !

Contrôle continu : texte d’une page maximum répondant à une ou deux questions de compréhension et d’interprétation déposé sur Moodle au plus tard le dimanche précédent chaque séance avant 18h.

Rendu pour la première séance attendu pour le dimanche 8 novembre avant 18h !

Direction de travaux des étudiants

Les personnes intéressées sont invités à contacter par courriel les organisateurs.

Réception des candidats

Les personnes intéressées sont invités à contacter par courriel les organisateurs

Pré-requis

Aucun.

Dernière modification : 23 octobre 2020 09:16

Type d'UE
Séminaires DR/CR
Disciplines
Histoire
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Agriculture Alimentation Histoire environnementale
Aires culturelles
Asie centrale Europe Europe centrale et orientale Russie
Intervenant·e·s
  • Marc Elie [référent·e]   chargé de recherche, CNRS / Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC)
  • Céline Pessis   contrat postdoctoral, IFRIS
  • Marin Coudreau   jeune docteur, EHESS / Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC)

Margot Lyautey (doctorante EHESS) est membre de l'équipe de coordination du séminaire

Les agricultures européennes ont connu des bouleversements très profonds au XXe siècle : spécialisation et concentration d’un nombre toujours plus faible d’exploitants travaillant des surfaces et des cheptels toujours plus grands ; industrialisation (machinisme, chimie, génie génétique) de tous les processus, de la sélection à la transformation en passant par la production ; poids toujours croissant de l’expertise agronomique, commerciale, assurantielle et bancaire extérieure à l’exploitation. De même, les habitudes alimentaires ont drastiquement évolué, sous l’influence de l’industrie alimentaire, vers une nourriture plus carnée, grasse et sucrée et toujours plus transformée. Combattues par des mouvements politiques, des scientifiques, des activistes et des associations de consommateurs, ces transformations n’ont pas éradiqué de nombreuses pratiques agricoles et alimentaires alternatives, dont certaines ont donné naissance à des filières économiques nouvelles.

Mais le XXe siècle européen est aussi celui des carences alimentaires et des famines. Surproduction et privation, malbouffe et faim, modernisme et arriération ne se succèdent pas seulement ; ils sont souvent concomitants, non seulement pendant les périodes de guerre et de conflit du premier XXe siècle, mais aussi entre un Ouest d’abondance et un Est de pénurie.

Ce séminaire propose d’étudier ces bouleversements et ces contradictions comme affectant autant les corps, les organismes et les écosystèmes que les sociétés et l’économie rurales. En prenant appui sur nos propres travaux et sur l’historiographie, nous adoptons comme objets principaux d’enquête les sols, les organismes et les corps. Ces choses environnantes et intimes, nous y accédons en historisant leur objectivation dans des systèmes savoirs et leur modification par l’intervention technique : par exemple, expertise agronomique et sélection variétale et animale, lutte contre les adventices et développement de la chimie, nutritionnisme et industrie agrolimentaire. L’Europe est prise dans son extension maximale, de l’Europe atlantique jusqu’aux portes de l’Asie centrale, et dans ses extensions coloniales. Cette définition géographique large fait dialoguer plusieurs aires culturelles par-delà le « rideau de fer ». Elle se décline dans des contextes précis qui sont ceux du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne (et de leurs empires), de l’Ukraine, de la Russie et du Kazakhstan. Cet enracinement dans des terrains bien maîtrisé permet d’envisager sereinement la comparaison et l’étude des circulations transnationales des modèles agraires et alimentaires.

10 novembre : 1. Introduction historiographique à l'histoire environnementale de l'agriculture et de l’alimentation

La séance brosse l’historiographie des questions à traiter ensemble au cours du séminaire et introduit au thème général.

À lire :

  • Reboul, Claude. « Déterminants sociaux de la fertilité des sols // Post-scriptum : fertilité agronomique et fertilité économique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales 17, no. 1 (1977): 85–112.

8 décembre : 2. Guerre, alimentation et famine : vers une histoire environnementale

Cette séance s’intéressera aux effets des deux conflits mondiaux sur les politiques d’alimentation menées par les États européens au XXe siècle. Les famines en URSS, la surproduction en France et l’autarcie en Allemagne caractérisent trois conditions agricoles dans l’Europe des années 1930. Nous partirons de l’étude des transformations pan-européennes des politiques d’approvisionnement alimentaire avec le cas de la Russie pendant la Grande Guerre et ses héritages pour le système soviétique. Nous nous tournerons ensuite vers l’occupation de l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale (et plus particulièrement de la France), où l’Allemagne nazie organise son ravitaillement à l’échelle continentale. Puis nous analyserons comment ces politiques alimentaires ont servi des politiques d’État menant à des famines instrumentalisées en URSS et à des politiques planifiées, coloniales et génocidaires (Hungerplan) dans les territoires occupés par l’Allemagne nazie. Nous tenterons de mettre enfin en lumière les multiples pistes offertes par l’histoire environnementale pour renouveler notre compréhension des interrelations entre guerre, alimentation et famine.

À lire :

  • Peter Holquist, « What's so Revolutionary about the Russian Revolution? State practices and the New-Style politics, 1914-1921 », in David L. Hoffmann, Yanni Kotsonis (eds.), Russian Modernity. Politics, Knowledge, Practices, London, Palgrave Macmilan, 2000, p. 87-111 (particulièrement les pages 98-105 sur l'approvisionnement alimentaire).
  • Fabrice Grenard, « L'ONIC entre 1940 et 1944 : transformations et redéfinition de la mission et des pouvoirs de l'institution dans un contexte de pénurie et d'occupation », in Organiser les marchés agricoles, dir. A. Chatriot, E. Leblanc, E. Lynch, Armand Colin, Paris, 2012, p. 217-236.
  • Margot Lyautey et Marc Elie. « German Agricultural Occupation of France and Ukraine, 1940–1944 ». Comparativ 29, n° 3 (16 décembre 2019): 86-117.

12 janvier : 3. Des modernisations plurielles ? Transformations agricoles à l'Est et à l'Ouest

Les transformations profondes opérées par les agricultures européennes au cours du XXe siècle sont souvent qualifiées de « modernisation(s) agricole(s) ». Mais cette expression est problématique car de multiples notions et valeurs (positives comme négatives) lui ont été associées au fil du temps : technicisation, industrialisation, productivisme, américanisation, rationalisation, mécanisation, remembrement, collectivisation, décollectivisation, etc. L'objectif de la séance est d'analyser cette expression d'une part comme une catégorie mobilisée par les acteurs dans nos cas d'étude (URSS, Allemagne nazie, Royaume-Uni, France), à la rencontre des imaginaires de la modernité ou du progrès, de l'agriculture et de la paysannerie ; et d'autre part comme une catégorie d’analyse pour les historien.ne.s. On s'inscrira ici dans les riches débats historiographiques sur modernité et agriculture, notamment dans les régimes soviétique et nazi. On se demandera également ce que l'histoire environnementale de l'agriculture peut apporter à cette réflexion sur les concepts de modernité et de modernisation.

À lire :

  • Christophe Bonneuil, Léna Humbert et Margot Lyautey, « Introduction », in Bonneuil, Humber, Lyautey (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, à paraître aux PUR (2021).
  • Andy Byford, « Doing ‘Modernity’ », texte inédit.
  • Yves Cohen, « The Soviet Fordson. Between the Politics of Stalin and the Philosophy of Ford, 1924-1932 », in Hubert Bonin, Yannick Lung et Steven Tolliday (dir.), Ford, 1903-2003. The European History, Paris, Plage, 2003, vol. 2, p. 531-558.

9 février : 4. Ruptures et restaurations métaboliques

Le XXe siècle européen voit se poursuivre la rupture dite « métabolique » débutée au second XIXe siècle avec la transformation des méthodes de fertilisation des sols : recours croissant à des matières fossiles importées et à de nouveaux engrais chimiques, recul parallèle de l’usage des ordures ménagères, alors requalifiées comme déchets. Cette rupture des flux de matières entre villes et campagnes se double au XXe siècle d’une spécialisation des régions agricoles entre grandes cultures et élevage intensif qui accroît l’ouverture des cycles de carbone et de nutriments. Des inquiétudes des chimistes du XIXe siècle aux approches contemporaines d’écologie territoriale, cette séance considère les types d’analyses, les alertes et les projets de restauration des cycles organiques et leurs circulations européennes qui accompagnèrent ces transformations métaboliques des environnements agricoles dans l’Europe du XXe siècle.

À lire :

  • Mieka Erley, « Models of Soil and Society. The legacy of Jusuts Liebig in Russia and the Soviet Union », in Nicholas B. Breyfogle (ed.), Eurasian Environments. Nature and Ecology in Imperial Russia and Soviet History, Pittsburgh : Univ. of Pittsburgh Press, 2018, p. 133-146.
  • Julia Le Noë, Gilles Billen, Jacques Garnier, « Trajectoires des systèmes de production agricole en France depuis la fin du XIXe siècle : une approche biogéochimique », Innovations Agronomiques 72 (2019): 149-161.
  • Céline Pessis, « La persistance du fumier. La profession agricole face à la spécialisation agricole dans la France des années 1950 » (article en cours)

9 mars : 5. Érosion et colonisation

L’érosion est un processus naturel très dommageable pour l’agriculture et renforcé par certaines pratiques agricoles, coloniales en particulier. De l’Union soviétique à l’empire colonial français, la mise en culture de terres dites « vierges » ou « neuves » s’est souvent traduite par une dégradation rapide des sols. Mais l’érosion est aussi un puissant discours catastrophiste permettant de délégitimer certaines pratiques culturales comme abîmant les sols, voire menaçant la civilisation. Au cours du XXe siècle, le paradigme de l’érosion a justifié un renforcement de l’interventionnisme étatique (Dust Bowl) et supra-étatique (Plan de lutte contre la désertification, 1977). Typiquement discours modernisateur du centre sur la périphérie vue comme arriérée, l’alerte sur la dégradation des sols a permis aux autorités coloniales de justifier la confiscation des terres à des autochtones accusés d’en détruire la fertilité. La séance revient sur les relations complexes qui unissent érosion et colonisation : de ces « jérémiades sur les sols » (Uekötter) à la colonisation comme vecteur de dégradation des sols (exportation de biomasse, pression sur les sols, etc.).

À lire :

  • Diana K. Davis, « Indigenous Knowledge and the Desertification Debate: Problematising Expert Knowledge in North Africa », Geoforum 36, no. 4 (July 2005): 509–524.
  • Marc Elie, « The Soviet Dust Bowl and the Canadian Erosion Experience in the New Lands of Kazakhstan, 1950s-1960s. », Global Environment 8, no. 2 (2015): 259–292.

13 avril : 6. Nuisibles, guerre chimique et environnements toxiques

Le XXe siècle voit se mettre en place des systèmes de classification et de contrôle des populations de « nuisibles » ou « ravageurs » (insectes, champignons, maladies, …) dont la circulation, suivant celle des biens et des personnes, s’accroît. En outre le développement des grandes cultures (vignes, pommes de terre, blé, betteraves) rend les exploitations plus vulnérables à ces pathogènes, comme le montrent les crises du phylloxera et du mildiou. Les États européens développent divers systèmes de lutte contre ces organismes, notamment la guerre chimique, que l’on analysera dans cette séance à travers deux études de cas : les campagnes contre les spermophiles comme les sousliks en Europe de l’Est et la lutte contre le doryphore de la pomme de terre. On verra notamment que cette lutte organisée déborde le simple cadre agricole et investit la sphère sociale. Ainsi le nuisible est présenté de matière anthropomorphe comme un envahisseur étranger, un ennemi du peuple qu'il faut exterminer. Guerre et lutte chimiques constituent par ailleurs des matrices du monde toxique. Nous nous intéresserons donc à leur rôle dans la contamination des environnements et des corps, ainsi qu’à la production du savoir et de l’ignorance quant à leurs effets.

À lire :

  • Edmund Russell, War and Nature: Fighting Humans and Insects with Chemicals from World War I to Silent Spring, (New York: Cambridge University Press, 2001), chapitre 4.
  • Sarah Jansen, « Chemical-warfare techniques for insect control: insect ‘pests’ in Germany before and after World War I », Endeavour, Volume 24, Issue 1, 2000, 28–33.
  • Marin Coudreau, chapitre de thèse remanié.

11 mai : 7. Industrialiser les animaux et les microbes

Au XXe siècle, le travail des zootechniciens, généticiens, bactériologues, etc., remodèle profondément les corps des animaux d’élevage. Dans leur physiologie comme dans leur composition microbienne, ces corps animaux sont traversés par des logiques industrielles ; ils matérialisent des intérêts économiques distincts et, selon les États, soutiennent différents projets technopolitiques.

À lire :

  • Tiago Saraiva, Fascist Pigs, 2016, Chapitre « Pigs : The Bodenständig Scientific Community in Nazi Germany », p. 101-136.
  • Delphine Berdah, « Pour une autre histoire de la "modernisation" des pratiques d'élevage : des antibiotiques dans les rations pour stabiliser les systèmes sociotechniques pharmaceutiques français et britannique », in Lyautey, Humbert et Bonneuil, Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, à paraitre aux PUR (2021).

8 juin : 8. Terroirs, dénaturations et contaminations : histoires des qualités alimentaires

Avec Maxime Guesnon (doctorant Ehess)

Prérogative des États industriels du début du XXe siècle, la « qualité alimentaire » a surtout été étudiée comme élément de construction des marchés et de normalisation de l’ordre agro-industriel. Adossée à une expertise chimique, cette manière dominante de définir et de faire circuler les produits du sol à l’assiette est pourtant fréquemment transgressée et contestée. À travers plusieurs études de cas, cette séance s’intéresse aux crises et aux tensions qui déstabilisent la chaîne marchande de la qualité alimentaire lors de l’« irruption » d’intrants chimiques ou de polluants radioactifs, et lorsque d’autres types de liens et d’attachements, tels la prolifération de micro-organismes, ou d’autres procédés techniques, prétendent définir des gouvernances alternatives de la qualité (produits de terroir, « biologiques », etc.).

À lire :

  • Claire Delfosse et Pierre Le Gall, « Les produits laitiers locaux face à l’industrialisation de la filière-lait (1950-1980) », dans M. Lyautey, L. Humbert, C. Bonneuil (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, à paraitre aux PUR (2021).
  • Kate Brown, Manuel for Survival: A Chernobyl Guide for the Future, W. W. Norton & Company, London and NewYork, 2019, chapitre 9 (« Making Sausage of Disaster ») et conclusion (« Berry Picking into the Future »).
  • Séminaires de recherche – Savoirs en sociétés-Études environnementales – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel mensuelle = 6 ECTS
    MCC – contrôle continu, fiche de lecture
Contacts additionnels
mlyautey@gmail.com
Informations pratiques

Évaluation

Pas d’exposé ni de rendu final !

Contrôle continu : texte d’une page maximum répondant à une ou deux questions de compréhension et d’interprétation déposé sur Moodle au plus tard le dimanche précédent chaque séance avant 18h.

Rendu pour la première séance attendu pour le dimanche 8 novembre avant 18h !

Direction de travaux des étudiants

Les personnes intéressées sont invités à contacter par courriel les organisateurs.

Réception des candidats

Les personnes intéressées sont invités à contacter par courriel les organisateurs

Pré-requis

Aucun.

  • 105 bd Raspail
    105 bd Raspail 75006 Paris
    Salle 6
    annuel / mensuel (2e), mardi 15:00-18:00
    du 10 novembre 2020 au 8 juin 2021