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UE668 - L'affectivité et l'origine de l'anthropologie. 3


Lieu et planning


  • 105 bd Raspail
    105 bd Raspail 75006 Paris
    Salle 8
    1er semestre / hebdomadaire, mardi 14:00-16:00
    du 3 novembre 2020 au 9 février 2021


Description


Dernière modification : 17 juillet 2020 14:25

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Anthropologie historique, Anthropologie sociale, ethnographie et ethnologie, Linguistique, sémantique
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Affects Anthropologie Anthropologie et linguistique Anthropologie historique Épistémologie Histoire des idées
Aires culturelles
Amérique préhispanique Amériques Europe Ibérique (monde)
Intervenant·e·s
  • Alexandre Surrallés [référent·e]   directeur d'études, EHESS - directeur de recherche, CNRS / Laboratoire d'anthropologie sociale (LAS)

Ce séminaire poursuit les recherches et les discussions entamées depuis deux ans au sujet de l'affectivité et l'origine de l'anthropologie. Nombreux exemples ethnographiques de par le monde font état d'une continuité entre le sensible et l'intelligible, souvent revendiquée de façon très explicite par les collectifs concernés. Les réponses de l'anthropologie à ce phénomène ont été très imprécises, en raison notamment de la difficulté qu'il y a à décrire les façons dont cette continuité est pensée et éprouvée localement. Cela oblige à un travail de déconstruction conceptuelle qui amène à l’origine même de l’histoire de l’anthropologie. On se penchera sur les travaux des premiers lexicographes et grammairiens des langues amérindiennes (XVIe-XVIIe siècles), afin d'examiner le début du processus par lequel l’anthropologie a intégré plus tard les notions telles que « corps », « âme », «personne», en tant que catégories analytiques déterminant une approche anthropologique de l’affectivité.

Le programme détaillé n'est pas disponible.


Master


  • Séminaires de recherche – Ethnologie et anthropologie sociale – M1/S1-M2/S3
    Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture

Renseignements


Contacts additionnels
-
Informations pratiques

contacter l'enseignant par courriel.

Direction de travaux des étudiants

prendre rendez-vous par courriel.

Réception des candidats

prendre rendez-vous par courriel.

Pré-requis

ouvert aux étudiants de master et doctorat.


Compte rendu


Dans le séminaire, nous nous sommes penchés pour la troisième et dernière année sur les travaux des premiers lexicographes et grammairiens des langues amérindiennes (XVIe-XVIIe siècles), afin d’examiner le début du processus par lequel l’anthropologie a intégré plus tard les notions telles que « corps », « âme », « personne », en tant que catégories analytiques déterminant une approche anthropologique de l’affectivité. Il faut noter d’emblée que, si les savants de l’époque n’abandonnent pas complètement les recherches menées sur la langue originelle, la découverte de la diversité linguistique américaine au XVIe siècle contribue à l’effacement progressif de la thèse, jusqu’alors dominante, d’une origine divine de la langue et à accroître le doute sur le nombre supposé de soixante-douze langues que rapportait la Genèse. L’avènement des dictionnaires bilingues et leur multiplication inédite au XVIe siècle sont-ils les signes d’un changement notable dans la façon de penser la langue ? Autrement dit, si les dictionnaires indiquent l’émergence d’une vision sociale et historique du langage, poursuivent-ils toujours le projet d’une mise en ordre universaliste du monde ?

Pour répondre aux questions que pose ce moment décisif de l’histoire de la pensée, nous avons abordé, dans la première partie du séminaire, l’emballement qu’ont connu l’entreprise lexicographique à la fin du XVe siècle et la mutation des dictionnaires bilingues en dictionnaires monolingues à l’orée du XVIIe siècle. Ce fait est unique dans l’histoire des traditions lexicographiques, qui sont généralement d’ancrage monolingue et ne deviennent bilingues que dans un deuxième temps. Tout aussi exceptionnel est le fait que la langue de référence de la plupart de ces dictionnaires soit une langue disparue, le latin classique, ce qui démontre le caractère extraverti de l’Europe de la Renaissance. L’émergence du recensement lexicographique et son expansion vertigineuse en une période aussi brève, avec plusieurs centaines de dictionnaires couvrant des dizaines de langues aussi bien européennes que d’autres régions du monde sont une caractéristique frappante de ce phénomène et rendent manifeste en effet sa vocation clairement universaliste. Le fait que tous ces lexiques soient reliés les uns aux autres, d’une manière ou d’une autre, témoigne également du projet de créer une trame d’intelligibilité commune à toutes les langues. Enfin, s’y déploie la volonté de la modernité naissante de recréer l’universalité perdue suite à l’effondrement de la thèse biblique et qu’il y a au moins, à défaut d’une langue originale, une conceptualisation langagière commune du monde. Nous avons ainsi montré que cette nouvelle notion de langage porte en elle une ontologie affine, puisque le langage et l’ontologie constituent les deux faces indissociables d’une même pièce dans la tradition de la pensée européenne. C’est pourquoi cette notion du langage et l’ontologie connexe se disséminent ensemble, d’abord dans toute l’Europe puis dans le reste du monde, parallèlement à l’expansion coloniale de l’ancien continent. Cette expansion à la fois linguistique et ontologique n’aurait pas pu se produire sans la participation de la notion de mot, atome indissociable de la signification depuis les grammairiens classiques, élément clé du dispositif visant à organiser un nouveau monde d’intelligibilité globale.

Dans la deuxième partie du séminaire, nous avons examiné les modalités de cette expansion hors du continent européen depuis sa première mise en pratique à grande échelle concrétisée par la « grammatisation » des langues amérindiennes lors des deux premiers siècles de la présence coloniale dans le nouveau continent. Après avoir anéanti la vieille conception biblique du monde, l’extraordinaire diversité culturelle et linguistique américaine a été réduite à quelques paramètres comparatifs acceptables. C’est ainsi que s’est créé un espace de traduction, assignant aux catégories fondamentales telles que humain, personne, dieu, corps et âme, entre autres, une correspondance dans les langues amérindiennes les plus diverses, alors même que de prime abord il avait été reconnu qu’il n’existait pas à proprement parler d’équivalents autochtones pour les exprimer. C’est ce que confirment les débats enflammés qui ont opposé les ordres missionnaires chargés du travail lexicographique concernant la traduction idoine, polémiques reproduisant des antagonismes plus anciens sur la philosophie du langage.

Dans la troisième et dernière partie, nous avons analysé le traitement d’un mot présent dans tous les lexiques étudiés et que certaines recherches actuelles considèrent comme la notion la plus importante de la notion de personne chez les Amérindiens, malgré la difficulté à la définir. Ce terme y figure comme traduction d’âme, mais aussi de corps, d’entrailles, d’esprit et très souvent, de cœur. Cette notion de cœur amérindien n’a pas d’équivalent mais elle s’éclaire néanmoins lorsqu’on l’intègre dans un cadre exempt d’essences immuables destinées à la contenir. Je veux dire par là qu’en quittant l’univers créé par la raison lexicographique et en explorant les failles que celle-ci n’a pas obturées, la possibilité s’offre à nous de décrire des formes distinctes des constructions métaphysiques que l’ontologie du langage profondément ancrée dans la tradition de la pensée européenne avait effacées.

 

Publications
  • « La “nature”, un concept étranger aux Amazoniens », Atlas de la Terre, Paris,  La Société Éditrice du Monde, 2020, p. 66-67.
  • « Prólogo », dans Entre la dependencia y la libertad, siempre awajun, sous la dir. de Gil Inoach Shawit, Lima, IWGIA, 2020, p. 5-8.
  • « Côte, Andes et Amazonie : bandes géographiques, zones culturelles et épisodes nationaux », Bulletin de l’Institut français d’études andines, 49(2), 2020, p. 23-46.

Dernière modification : 17 juillet 2020 14:25

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Anthropologie historique, Anthropologie sociale, ethnographie et ethnologie, Linguistique, sémantique
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Affects Anthropologie Anthropologie et linguistique Anthropologie historique Épistémologie Histoire des idées
Aires culturelles
Amérique préhispanique Amériques Europe Ibérique (monde)
Intervenant·e·s
  • Alexandre Surrallés [référent·e]   directeur d'études, EHESS - directeur de recherche, CNRS / Laboratoire d'anthropologie sociale (LAS)

Ce séminaire poursuit les recherches et les discussions entamées depuis deux ans au sujet de l'affectivité et l'origine de l'anthropologie. Nombreux exemples ethnographiques de par le monde font état d'une continuité entre le sensible et l'intelligible, souvent revendiquée de façon très explicite par les collectifs concernés. Les réponses de l'anthropologie à ce phénomène ont été très imprécises, en raison notamment de la difficulté qu'il y a à décrire les façons dont cette continuité est pensée et éprouvée localement. Cela oblige à un travail de déconstruction conceptuelle qui amène à l’origine même de l’histoire de l’anthropologie. On se penchera sur les travaux des premiers lexicographes et grammairiens des langues amérindiennes (XVIe-XVIIe siècles), afin d'examiner le début du processus par lequel l’anthropologie a intégré plus tard les notions telles que « corps », « âme », «personne», en tant que catégories analytiques déterminant une approche anthropologique de l’affectivité.

Le programme détaillé n'est pas disponible.

  • Séminaires de recherche – Ethnologie et anthropologie sociale – M1/S1-M2/S3
    Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture
Contacts additionnels
-
Informations pratiques

contacter l'enseignant par courriel.

Direction de travaux des étudiants

prendre rendez-vous par courriel.

Réception des candidats

prendre rendez-vous par courriel.

Pré-requis

ouvert aux étudiants de master et doctorat.

  • 105 bd Raspail
    105 bd Raspail 75006 Paris
    Salle 8
    1er semestre / hebdomadaire, mardi 14:00-16:00
    du 3 novembre 2020 au 9 février 2021

Dans le séminaire, nous nous sommes penchés pour la troisième et dernière année sur les travaux des premiers lexicographes et grammairiens des langues amérindiennes (XVIe-XVIIe siècles), afin d’examiner le début du processus par lequel l’anthropologie a intégré plus tard les notions telles que « corps », « âme », « personne », en tant que catégories analytiques déterminant une approche anthropologique de l’affectivité. Il faut noter d’emblée que, si les savants de l’époque n’abandonnent pas complètement les recherches menées sur la langue originelle, la découverte de la diversité linguistique américaine au XVIe siècle contribue à l’effacement progressif de la thèse, jusqu’alors dominante, d’une origine divine de la langue et à accroître le doute sur le nombre supposé de soixante-douze langues que rapportait la Genèse. L’avènement des dictionnaires bilingues et leur multiplication inédite au XVIe siècle sont-ils les signes d’un changement notable dans la façon de penser la langue ? Autrement dit, si les dictionnaires indiquent l’émergence d’une vision sociale et historique du langage, poursuivent-ils toujours le projet d’une mise en ordre universaliste du monde ?

Pour répondre aux questions que pose ce moment décisif de l’histoire de la pensée, nous avons abordé, dans la première partie du séminaire, l’emballement qu’ont connu l’entreprise lexicographique à la fin du XVe siècle et la mutation des dictionnaires bilingues en dictionnaires monolingues à l’orée du XVIIe siècle. Ce fait est unique dans l’histoire des traditions lexicographiques, qui sont généralement d’ancrage monolingue et ne deviennent bilingues que dans un deuxième temps. Tout aussi exceptionnel est le fait que la langue de référence de la plupart de ces dictionnaires soit une langue disparue, le latin classique, ce qui démontre le caractère extraverti de l’Europe de la Renaissance. L’émergence du recensement lexicographique et son expansion vertigineuse en une période aussi brève, avec plusieurs centaines de dictionnaires couvrant des dizaines de langues aussi bien européennes que d’autres régions du monde sont une caractéristique frappante de ce phénomène et rendent manifeste en effet sa vocation clairement universaliste. Le fait que tous ces lexiques soient reliés les uns aux autres, d’une manière ou d’une autre, témoigne également du projet de créer une trame d’intelligibilité commune à toutes les langues. Enfin, s’y déploie la volonté de la modernité naissante de recréer l’universalité perdue suite à l’effondrement de la thèse biblique et qu’il y a au moins, à défaut d’une langue originale, une conceptualisation langagière commune du monde. Nous avons ainsi montré que cette nouvelle notion de langage porte en elle une ontologie affine, puisque le langage et l’ontologie constituent les deux faces indissociables d’une même pièce dans la tradition de la pensée européenne. C’est pourquoi cette notion du langage et l’ontologie connexe se disséminent ensemble, d’abord dans toute l’Europe puis dans le reste du monde, parallèlement à l’expansion coloniale de l’ancien continent. Cette expansion à la fois linguistique et ontologique n’aurait pas pu se produire sans la participation de la notion de mot, atome indissociable de la signification depuis les grammairiens classiques, élément clé du dispositif visant à organiser un nouveau monde d’intelligibilité globale.

Dans la deuxième partie du séminaire, nous avons examiné les modalités de cette expansion hors du continent européen depuis sa première mise en pratique à grande échelle concrétisée par la « grammatisation » des langues amérindiennes lors des deux premiers siècles de la présence coloniale dans le nouveau continent. Après avoir anéanti la vieille conception biblique du monde, l’extraordinaire diversité culturelle et linguistique américaine a été réduite à quelques paramètres comparatifs acceptables. C’est ainsi que s’est créé un espace de traduction, assignant aux catégories fondamentales telles que humain, personne, dieu, corps et âme, entre autres, une correspondance dans les langues amérindiennes les plus diverses, alors même que de prime abord il avait été reconnu qu’il n’existait pas à proprement parler d’équivalents autochtones pour les exprimer. C’est ce que confirment les débats enflammés qui ont opposé les ordres missionnaires chargés du travail lexicographique concernant la traduction idoine, polémiques reproduisant des antagonismes plus anciens sur la philosophie du langage.

Dans la troisième et dernière partie, nous avons analysé le traitement d’un mot présent dans tous les lexiques étudiés et que certaines recherches actuelles considèrent comme la notion la plus importante de la notion de personne chez les Amérindiens, malgré la difficulté à la définir. Ce terme y figure comme traduction d’âme, mais aussi de corps, d’entrailles, d’esprit et très souvent, de cœur. Cette notion de cœur amérindien n’a pas d’équivalent mais elle s’éclaire néanmoins lorsqu’on l’intègre dans un cadre exempt d’essences immuables destinées à la contenir. Je veux dire par là qu’en quittant l’univers créé par la raison lexicographique et en explorant les failles que celle-ci n’a pas obturées, la possibilité s’offre à nous de décrire des formes distinctes des constructions métaphysiques que l’ontologie du langage profondément ancrée dans la tradition de la pensée européenne avait effacées.

 

Publications
  • « La “nature”, un concept étranger aux Amazoniens », Atlas de la Terre, Paris,  La Société Éditrice du Monde, 2020, p. 66-67.
  • « Prólogo », dans Entre la dependencia y la libertad, siempre awajun, sous la dir. de Gil Inoach Shawit, Lima, IWGIA, 2020, p. 5-8.
  • « Côte, Andes et Amazonie : bandes géographiques, zones culturelles et épisodes nationaux », Bulletin de l’Institut français d’études andines, 49(2), 2020, p. 23-46.