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UE550 - Le paysage, aujourd'hui. Théorie de la nature contemporaine


Lieu et planning


  • INHA
    2 rue Vivienne 75002 Paris
    1er semestre / hebdomadaire, mercredi 11:00-13:00
    du 4 novembre 2020 au 10 février 2021


Description


Dernière modification : 28 mai 2020 09:13

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Anthropologie historique, Histoire, Philosophie et épistémologie, Signes, formes, représentations
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Environnement Esthétique
Aires culturelles
Amérique du Nord Amérique du Sud Europe
Intervenant·e·s
  • Emanuele Coccia [référent·e]   maître de conférences, EHESS / Centre d'histoire et de théorie des arts (CRAL-CEHTA)

Écologie, théorie de l'art.

À travers l'analyse croisée des projets des plus grand.es paysagestes contemporaines (Roberto Burle Marx, Gilles Clément, Bas Smets et beaucoup d'autres) et des théories écologistes et écoféministes plus récentes (de Lynn Margulis à Donna Haraway) on voudrait esquisser une théorie du paysage qui puisse accorder à tous les êtres une capacité de façonnner le monde.

L'hypothèse c'est qu'au cœur de la nature – réalité constamment exposée à l’artifice de toutes les espèces –, la succession de formes dans les corps des êtres naturels ainsi que dans les paysages terrestres suit la logique de ce qui est qualifié de « mode » dans la culture humaine. L'histoire naturelle est donc une étude des modes de la nature, de ses saisons qui se calculent sur une temporalité plus longue que la nôtre. Le paysage, tout paysage n’est rien d’autre qu’une sorte de musée de la nature contemporaine.

Au cours des cinquante dernières années, l’essence du musée a profondément changé. D’une institution consacrée à la conservation et à l’entretien du patrimoine artistique, architectural et artisanal d’un contexte politique ou géographique donné – qui avait pour mission commune de conserver, préserver, protéger, mais aussi de montrer et rendre visible ce qui est produit par les êtres humains au sein d’une nation –, nous sommes passés à un nouveau type de musée dont la mission n’est plus la préservation du passé, mais la production active et consciente de l’avenir. Ces types de musées et de fondations – du MoMA au Centre Georges-Pompidou, de la Hamburger Bahnhof au Walker Art Center, de la Fondation Cartier à la Biennale de Venise – ont pour mission de deviner l’avenir et, grâce à ce travail de divination, de créer le temps. Leurs expositions, pour lesquelles des œuvres sont souvent commandées à de très jeunes artistes, ne nous rappellent pas l’histoire, mais nous aident à nous orienter dans la culture contemporaine.

Nous devrions envisager quelque chose de similaire pour les paysages naturels. La nature aussi est, par définition, capable de contemporanéité : elle possède une temporalité historique qui relève de l’arbitraire et du hasard, exactement comme l’art. Chaque paysage est déjà une peinture, il est déjà une installation éphémère, artificielle, provisoirement construite par l’ensemencement de ses habitants non humains. Tout écosystème est aussi et surtout une sorte de biennale de la nature contemporaine.


Master


  • Séminaires de recherche – Arts, littératures et langages-Images, cultures visuelles, histoire de l'art – M1/S1-M2/S3
    Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
    MCC – Production d'un book (15/20 pages) qui inclut texte et images. Le soin de la mise en page et le choix des images seront déterminants pour la détermination de la note finale.
  • Séminaires de recherche – Savoirs en sociétés-Études environnementales – M1/S2-M2/S4
    Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
    MCC – Production d'un book (15/20 pages) qui inclut texte et images. Le soin de la mise en page et le choix des images seront déterminants pour la détermination de la note finale.

Renseignements


Contacts additionnels
-
Informations pratiques

par courriel.

Direction de travaux des étudiants

par courriel.

Réception des candidats

par courriel.

Pré-requis

aucun.


Compte rendu


Le cours a tenté de parcourir en parallèle l’histoire de l’écologie et l’histoire du paysage. Les premières sessions ont montré comment, pour affirmer le lien entre tous les êtres, l’écologie a utilisé une imagerie patriarcale qui présupposait une idéologie de la domination. Son nom même en témoigne – « écologie » signifie littéralement « science de la maison », et toute l’écologie est dominée par cette métaphore. C’est d’ailleurs le choix de ce cadre épistémologique qui a rendu impossible toute ambition politique de l’écologie.

C’est l’un des élèves de Linné, le biologiste suédois à qui nous devons le système de classification biologique des êtres vivants, qui l’a proposé en 1749 dans ce qui est souvent considéré comme le premier grand traité d’écologie (De economia naturae). Les raisons de cette orientation étaient, à l’époque, de nature théologique. À l’époque, la plupart des biologistes ne croyaient pas à la transformation ou à l’évolution des espèces : on pensait que toutes les espèces étaient immuables dans le temps. Dans un tel contexte, la seule façon de comprendre s’il existe une relation entre un bison d’Arizona et une mouche d’Australie (et de comprendre cette relation) était de prendre le point de vue de celui qui avait imaginé, conçu et créé les deux : Dieu. Étant responsable de l’existence des deux, il doit avoir conçu et établi une relation entre ces deux espèces, ainsi qu’entre toutes les espèces vivantes. Dans l’univers chrétien, Dieu entre en relation avec le monde non pas comme un simple gouverneur ou un dirigeant politique entretient des relations avec son peuple, mais plutôt comme un père entretient des relations avec sa famille et son foyer : il exerce un pouvoir sur le monde uniquement parce qu’il l’a créé. En revanche, le monde n’entretient pas avec Dieu le même rapport qu’un sujet avec son chef, mais plutôt le même rapport qu’un fils avec son père. Toute la vie sur terre est donc une seule maison et une seule famille de l’unique Dieu-Père. C’est pourquoi Biberg et Linné ont appelé cette science l’« économie de la nature ».

Le séminaire a ensuite retracé l’histoire du concept d’écosystème, en montrant à quel point ce concept présuppose l’imagerie économique et économiste d’un équilibre spontané des êtres vivants.

Une autre session a été consacrée à l’histoire critique du concept d’espèces indigènes et envahissantes, montrant comment il s’agit d’une projection indue de concepts liés au droit anglais du XIXe siècle.

Outre la critique de la tradition écologique, le séminaire a cherché à retracer l’histoire des notions contemporaines de paysage et de pratique paysagère, en indiquant cette tradition comme une voie possible vers une réforme écologique. Lorsqu’on parle de paysage, il est impossible de considérer l’opposition entre l’humain et le non-humain qu’une grande partie de l’écologie est forcée de supposer. D’autre part, en radicalisant la perspective de l’architecte paysagiste français Gilles Clément, une tentative a été faite de présenter une image de la nature dans laquelle chaque espèce est un paysage. Ce que nous appelons la nature n’est qu’une énorme population de sujets qui ne cessent pas de penser, parler, agir en fonction de ce qu’ils pensent et se disent. Cela veut dire que la nature – l’ensemble des écureuils, des champignons, des chênes, des papillons, des streptocoques – est en fait une culture, ou mieux, un ensemble de cultures. Avec une grande différence : pour les cultures humaines nous avons presque toujours eu la possibilité de comprendre ce que ces sujets se disent et pensent. Pour les cultures non-humaines nous n’allons presque jamais au-delà du simple constat que « ça parle » ou « ça pense » en elles. Elles sont des cultures encore très ésotériques, beaucoup plus que celles dont on n’arrive pas à déchiffrer la langue ou dont nous n’avons pas de documents « lisibles ».

À partir de Lamarck et de Rober Hazen on a montré que la planète Terre elle-même, dans sa dimension hydrogéologique, est un artefact produit par les vivants, leur propre œuvre d’art. Tout sur Gaia est artificiel, tout a été fait, fabriqué par d’autres êtres vivants pour d’autres êtres vivants. De ce point de vue, rien sur cette planète n’est un simple environnement « naturel », intact, non contaminé. Tout a été produit, manipulé, ciselé, refait par les vivants.

En utilisant les travaux de Darwin et de Richard Prum, nous avons finalement montré que cette capacité de penser et d’imaginer le monde définit en réalité même les formes anatomiques des vivants. Le visage de chaque espèce est un artefact, au sens littéral du terme : c’est quelque chose qui se construit au fil du temps, à travers les matériaux les plus variés et les plus disparates. Chaque espèce s’est construite elle-même, en suivant une série de choix arbitraires et pas nécessairement liés aux besoins imposés par l’environnement. L’écologie devrait cesser d’imiter l’économie et de rechercher une forme de « durabilité » – une catégorie clairement économique. Elle devrait plutôt comprendre que tous les problèmes écologiques sont des problèmes esthétiques au sens que, depuis Schiller, nous sommes habitués à donner à ce terme : la sphère dans laquelle la nécessité et l’arbitraire se mélangent dans l’alchimie que nous appelons jeu.

Publications
  • Philosophie de la maison, Payot Rivages, 2021.
  • « La nature est design », dans Critique, n° 891-892, sous la dir. de Claire Brunet, Paris, Les éditions de Minuit, septembre 2021, p. 741-750.

Dernière modification : 28 mai 2020 09:13

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Anthropologie historique, Histoire, Philosophie et épistémologie, Signes, formes, représentations
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Environnement Esthétique
Aires culturelles
Amérique du Nord Amérique du Sud Europe
Intervenant·e·s
  • Emanuele Coccia [référent·e]   maître de conférences, EHESS / Centre d'histoire et de théorie des arts (CRAL-CEHTA)

Écologie, théorie de l'art.

À travers l'analyse croisée des projets des plus grand.es paysagestes contemporaines (Roberto Burle Marx, Gilles Clément, Bas Smets et beaucoup d'autres) et des théories écologistes et écoféministes plus récentes (de Lynn Margulis à Donna Haraway) on voudrait esquisser une théorie du paysage qui puisse accorder à tous les êtres une capacité de façonnner le monde.

L'hypothèse c'est qu'au cœur de la nature – réalité constamment exposée à l’artifice de toutes les espèces –, la succession de formes dans les corps des êtres naturels ainsi que dans les paysages terrestres suit la logique de ce qui est qualifié de « mode » dans la culture humaine. L'histoire naturelle est donc une étude des modes de la nature, de ses saisons qui se calculent sur une temporalité plus longue que la nôtre. Le paysage, tout paysage n’est rien d’autre qu’une sorte de musée de la nature contemporaine.

Au cours des cinquante dernières années, l’essence du musée a profondément changé. D’une institution consacrée à la conservation et à l’entretien du patrimoine artistique, architectural et artisanal d’un contexte politique ou géographique donné – qui avait pour mission commune de conserver, préserver, protéger, mais aussi de montrer et rendre visible ce qui est produit par les êtres humains au sein d’une nation –, nous sommes passés à un nouveau type de musée dont la mission n’est plus la préservation du passé, mais la production active et consciente de l’avenir. Ces types de musées et de fondations – du MoMA au Centre Georges-Pompidou, de la Hamburger Bahnhof au Walker Art Center, de la Fondation Cartier à la Biennale de Venise – ont pour mission de deviner l’avenir et, grâce à ce travail de divination, de créer le temps. Leurs expositions, pour lesquelles des œuvres sont souvent commandées à de très jeunes artistes, ne nous rappellent pas l’histoire, mais nous aident à nous orienter dans la culture contemporaine.

Nous devrions envisager quelque chose de similaire pour les paysages naturels. La nature aussi est, par définition, capable de contemporanéité : elle possède une temporalité historique qui relève de l’arbitraire et du hasard, exactement comme l’art. Chaque paysage est déjà une peinture, il est déjà une installation éphémère, artificielle, provisoirement construite par l’ensemencement de ses habitants non humains. Tout écosystème est aussi et surtout une sorte de biennale de la nature contemporaine.

  • Séminaires de recherche – Arts, littératures et langages-Images, cultures visuelles, histoire de l'art – M1/S1-M2/S3
    Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
    MCC – Production d'un book (15/20 pages) qui inclut texte et images. Le soin de la mise en page et le choix des images seront déterminants pour la détermination de la note finale.
  • Séminaires de recherche – Savoirs en sociétés-Études environnementales – M1/S2-M2/S4
    Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
    MCC – Production d'un book (15/20 pages) qui inclut texte et images. Le soin de la mise en page et le choix des images seront déterminants pour la détermination de la note finale.
Contacts additionnels
-
Informations pratiques

par courriel.

Direction de travaux des étudiants

par courriel.

Réception des candidats

par courriel.

Pré-requis

aucun.

  • INHA
    2 rue Vivienne 75002 Paris
    1er semestre / hebdomadaire, mercredi 11:00-13:00
    du 4 novembre 2020 au 10 février 2021

Le cours a tenté de parcourir en parallèle l’histoire de l’écologie et l’histoire du paysage. Les premières sessions ont montré comment, pour affirmer le lien entre tous les êtres, l’écologie a utilisé une imagerie patriarcale qui présupposait une idéologie de la domination. Son nom même en témoigne – « écologie » signifie littéralement « science de la maison », et toute l’écologie est dominée par cette métaphore. C’est d’ailleurs le choix de ce cadre épistémologique qui a rendu impossible toute ambition politique de l’écologie.

C’est l’un des élèves de Linné, le biologiste suédois à qui nous devons le système de classification biologique des êtres vivants, qui l’a proposé en 1749 dans ce qui est souvent considéré comme le premier grand traité d’écologie (De economia naturae). Les raisons de cette orientation étaient, à l’époque, de nature théologique. À l’époque, la plupart des biologistes ne croyaient pas à la transformation ou à l’évolution des espèces : on pensait que toutes les espèces étaient immuables dans le temps. Dans un tel contexte, la seule façon de comprendre s’il existe une relation entre un bison d’Arizona et une mouche d’Australie (et de comprendre cette relation) était de prendre le point de vue de celui qui avait imaginé, conçu et créé les deux : Dieu. Étant responsable de l’existence des deux, il doit avoir conçu et établi une relation entre ces deux espèces, ainsi qu’entre toutes les espèces vivantes. Dans l’univers chrétien, Dieu entre en relation avec le monde non pas comme un simple gouverneur ou un dirigeant politique entretient des relations avec son peuple, mais plutôt comme un père entretient des relations avec sa famille et son foyer : il exerce un pouvoir sur le monde uniquement parce qu’il l’a créé. En revanche, le monde n’entretient pas avec Dieu le même rapport qu’un sujet avec son chef, mais plutôt le même rapport qu’un fils avec son père. Toute la vie sur terre est donc une seule maison et une seule famille de l’unique Dieu-Père. C’est pourquoi Biberg et Linné ont appelé cette science l’« économie de la nature ».

Le séminaire a ensuite retracé l’histoire du concept d’écosystème, en montrant à quel point ce concept présuppose l’imagerie économique et économiste d’un équilibre spontané des êtres vivants.

Une autre session a été consacrée à l’histoire critique du concept d’espèces indigènes et envahissantes, montrant comment il s’agit d’une projection indue de concepts liés au droit anglais du XIXe siècle.

Outre la critique de la tradition écologique, le séminaire a cherché à retracer l’histoire des notions contemporaines de paysage et de pratique paysagère, en indiquant cette tradition comme une voie possible vers une réforme écologique. Lorsqu’on parle de paysage, il est impossible de considérer l’opposition entre l’humain et le non-humain qu’une grande partie de l’écologie est forcée de supposer. D’autre part, en radicalisant la perspective de l’architecte paysagiste français Gilles Clément, une tentative a été faite de présenter une image de la nature dans laquelle chaque espèce est un paysage. Ce que nous appelons la nature n’est qu’une énorme population de sujets qui ne cessent pas de penser, parler, agir en fonction de ce qu’ils pensent et se disent. Cela veut dire que la nature – l’ensemble des écureuils, des champignons, des chênes, des papillons, des streptocoques – est en fait une culture, ou mieux, un ensemble de cultures. Avec une grande différence : pour les cultures humaines nous avons presque toujours eu la possibilité de comprendre ce que ces sujets se disent et pensent. Pour les cultures non-humaines nous n’allons presque jamais au-delà du simple constat que « ça parle » ou « ça pense » en elles. Elles sont des cultures encore très ésotériques, beaucoup plus que celles dont on n’arrive pas à déchiffrer la langue ou dont nous n’avons pas de documents « lisibles ».

À partir de Lamarck et de Rober Hazen on a montré que la planète Terre elle-même, dans sa dimension hydrogéologique, est un artefact produit par les vivants, leur propre œuvre d’art. Tout sur Gaia est artificiel, tout a été fait, fabriqué par d’autres êtres vivants pour d’autres êtres vivants. De ce point de vue, rien sur cette planète n’est un simple environnement « naturel », intact, non contaminé. Tout a été produit, manipulé, ciselé, refait par les vivants.

En utilisant les travaux de Darwin et de Richard Prum, nous avons finalement montré que cette capacité de penser et d’imaginer le monde définit en réalité même les formes anatomiques des vivants. Le visage de chaque espèce est un artefact, au sens littéral du terme : c’est quelque chose qui se construit au fil du temps, à travers les matériaux les plus variés et les plus disparates. Chaque espèce s’est construite elle-même, en suivant une série de choix arbitraires et pas nécessairement liés aux besoins imposés par l’environnement. L’écologie devrait cesser d’imiter l’économie et de rechercher une forme de « durabilité » – une catégorie clairement économique. Elle devrait plutôt comprendre que tous les problèmes écologiques sont des problèmes esthétiques au sens que, depuis Schiller, nous sommes habitués à donner à ce terme : la sphère dans laquelle la nécessité et l’arbitraire se mélangent dans l’alchimie que nous appelons jeu.

Publications
  • Philosophie de la maison, Payot Rivages, 2021.
  • « La nature est design », dans Critique, n° 891-892, sous la dir. de Claire Brunet, Paris, Les éditions de Minuit, septembre 2021, p. 741-750.