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UE280 - Pragmatisme et conflictualité. La critique des pouvoirs en régime de controverse


Lieu et planning


  • 105 bd Raspail
    105 bd Raspail 75006 Paris
    Salle 13
    annuel / bimensuel (1re/3e), vendredi 11:00-13:00
    du 6 novembre 2020 au 18 juin 2021


Description


Dernière modification : 16 juillet 2020 08:29

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Sociologie
Page web
http://www.gspr-ehess.com/ 
Langues
français
Mots-clés
Action publique Argumentation Citoyenneté Collectifs Démocratie Domination Émotions Énergie Enquêtes Environnement État et politiques publiques Études des sciences contemporaines Institutions Milieu Mobilisation(s) Mouvements sociaux Perception Pragmatisme Risques Santé environnementale Sciences Sociologie Sociologie politique Temps/temporalité Violence
Aires culturelles
Amérique du Sud Europe France
Intervenant·e·s

La sociologie pragmatique des transformations étudie les processus critiques par lesquels des acteurs font surgir des causes dans l’espace politique. Résumée sous l’expression de balistique sociologique, cette approche a enrichi l’analyse des processus sociaux, conçus comme des échangeurs entre rapports de forces et formes de légitimités. Le cœur de cible de cette sociologie a longtemps été formé par les trajectoires des causes collectives, notamment dans les champs environnementaux, sanitaires ou technologiques. Qu’il s’agisse de changement climatique ou de biodiversité, d’énergie nucléaire ou de gaz de schiste, d’OGM ou de nanotechnologies, de  pesticides ou de pollution atmosphérique, ou enore de gestion des risques de pandémie, on voit s’affronter des porteurs de promesses technologiques, des lanceurs d’alerte, des milieux d'expertise et des mouvements critiques, capables d’étendre les registres de la contestation mais aussi de forger des alternatives. Au cœur des champs de forces qui se dessinent, on trouve des acteurs critiques mais aussi des régulateurs et des acceptologues qui puisent dans le répertoire constamment renouvelé des procédures de concertation ou de débat public. Certains processus font basculer dans un autre état du monde, marqué par de nouvelles formes d'emprise et de violence. C'est le cas lorsque des régimes autoritaires, issus de crises répétées, verrouillent la plupart des sphères publiques.

Les enquêtes pragmatiques changent de modalités lorsqu’on se situe en amont des figures classiques de controverse et de conflit. L'étude des relations d’emprise et de leur transformation graduelle, souvent silencieuse, oblige à affiner quelque peu les modèles sociologiques inspirés par le pragmatisme. A ce titre, le séminaire poursuivra l'exploration des formes d'influence et d’anticipation stratégique, ainsi que les bifurcations et les ruptures à partir desquelles s’élaborent et se transforment des jeux de pouvoirs. Pour fortifier leurs perceptions et leurs interprétations, les acteurs se nourrissent continûment des productions des sciences sociales, et en particulier des théories du pouvoir, des modèles de légitimité et d'action publique, ce qui a des effets en retour sur les joutes académiques – comme c’est souvent le cas à propos de l’« expertise », de la « démocratie participative », des formes de « prospective » ou de l’« acceptabilité sociale des risques ». Que les protagonistes s’opposent frontalement ou optent pour une logique de coopération, la dynamique des conflits rend visibles les opérations interprétatives et les agencements pratiques qui servent à ancrer les croyances et les représentations, et parfois à les réviser. Des épreuves marquantes rendent manifestes des tensions, des contradictions et des points de rupture qui contrarient bien souvent les propositions de monde commun. Comme tout processus critique se déploie sur de multiples scènes, inégalement accessibles à l’observation ou au dévoilement, il convient de doubler l’analyse des actes de protestation et des procédés argumentatifs par l’examen des façons de lier, ou de se lier, au coeur de milieux en interaction. Comment saisir à la fois la production de liens d’intérêts ou de jeux d'interdépendances élaborés au fil du temps, peu visibles dans les dispositifs publics, et les capacités de mobilisation, de coalition ou d’alliance, rarement réductibles à un modèle d’alignement fondé sur l’intérêt bien compris ou sur des valeurs universalisables ? 

Le fil des alertes, des crises et des catastrophes longtemps suivi par le séminaire a connu avec la méga crise du Sars-CoV-2 une bifurcation aussi radicale qu'irréversible. En tirant les leçons épistémiques et axiologiques de cette crise, on approfondira la fabrique des différentes scénarisations du futur, avec une attention particulière aux jeux d'échelle. Par-delà le jeu des utopies et des dystopies, la confection critique des visions du futur pèse sur la portée des processus de mobilisation, contribuant à l’ouverture ou à la fermeture des possibles. Si des versions téléologiques s'opposent en gagnant en puissance d'expression, les processus collectifs témoignent d'une profonde indétermination du sens de l’histoire, indétermination sur laquelle prend forme toute expérience démocratique. Comme l'ont montré aussi bien les catastrophes et les mouvements sociaux inédits de la dernière décennie, on ne peut jamais prédire ni clore par avance la portée d'un processus critique..Les controverses scientifiques ou technoscientifiques ne peuvent plus être seulement « cartographiées » ou « mises à plat » : elle doivent être pensées en rapport avec les formes de vie et les points de recoupement ou d'articulation avec le monde sensible. Comprendre les ouvertures d’avenir et les prises, individuelles ou collectives, sur ces processus, c’est faire du pragmatisme sociologique un programme fort, capable de saisir, dans leur multiplicité, les expériences dans leurs milieux, dont l’irréductibilité foncière ne cesse de s’imposer à l’enquête. La mise à distance des montées automatiques en généralité est ainsi une des conditions majeures de l'exploration des ouvertures d'avenir, créatrices d'alternatives et de reconfigurations, au plus près des pratiques.

Le programme détaillé n'est pas disponible.


Master


  • Séminaires de recherche – Sociologie – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel bi-mensuelle = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture

Renseignements


Contacts additionnels
-
Informations pratiques

pour tout renseignement sur le suivi du séminaire, contacter Stéphanie Taveneau par courriel : stephanie.taveneau(at)ehess.fr,

Direction de travaux des étudiants

direction de travaux d'étudiants : les 1er et 3e vendredis du mois sur rendez-vous entre 15 h et 19 h.

Réception des candidats

par courriel ou sur rendez-vous sur demande spécifique, les 1er et 3e vendredis du mois entre 15 h et 19 h.

Pré-requis
-

Compte rendu


Pour la première fois de sa déjà longue histoire, puisqu’il a été ouvert en 2005, ce séminaire, dédié à des travaux de sociologie fondamentale liant le pragmatisme et la sociologie du conflit, s’est déroulé intégralement « en distanciel », entre novembre 2020 et juin 2021. Malgré les limites du dispositif, surtout pour la partie la plus interactive, celle de la discussion ouverte après chaque communication, le séminaire a suivi une ligne aussi cohérente que vivante. Rien de tel pour s’en assurer que de revisionner l’ensemble des séances, qui ont donné lieu à un archivage systématique sur le site de l’EHESS, ce qui est aussi une première.

L’intégralité des 14 séances est accessible en suivant ce lien : http://gspr-ehess.com/seminaires/

Lors des séances 1 à 3, Francis Chateauraynaud a opéré un retour approfondi sur les concepts, méthodes et objets portés par le pragmatisme sociologique sous le double label de « pragmatique des transformations » et de « pragmatique de la complexité ». L’ensemble des enjeux théoriques et empiriques ont été développés, depuis l’approche multiscalaire des controverses et des mobilisations jusqu’aux différentes matrices des futurs, en passant par les apports croisés d’une conception formelle de la preuve et de son pendant phénoménologique. Le triangle de la tangibilité, qui démontre à lui seul la distance astronomique entre le pragmatisme et le relativisme, et qui n’est pas sans évoquer la sémiologie de Peirce, joue un rôle central dans le raisonnement sociologique face aux controverses et autres processus critiques. La question des prises individuelles et collectives face à des phénomènes conçus comme irréversibles, comme les conséquences des crises et des catastrophes, a servi de fil rouge pour relier l’imposante casuistique étudiée ces dernières années. Au-delà des cas spécifiques, il s’agit de prendre très au sérieux les annonces de ruptures et de catastrophes sans verser dans l’effondrisme. L’opération n’est pas facile dans un monde contemporain soumis à des chocs répétés sans ouvertures d’avenir partagées et où le cynisme fait figure de vertu dans des jeux de pouvoirs plus que jamais shakespeariens, à toutes les échelles. Un constat qui engage forcément le chercheur dans des considérations axiologiques et normatives, a fortiori en pleine pandémie. En s’efforçant malgré tout de construire la juste distance vis-à-vis des disputes idéologiques et morales, un nouveau cadre d’analyse, fondé sur l’agencement d’une pluralité de lignes de raisonnement et d’enquête, a été présenté et a suscité de stimulantes discussions.

Les séances 4 à 6 ont changé l’angle d’attaque des problèmes en ouvrant le débat avec des approches plus philosophiques des questions d’environnement : Catherine et Raphaël Larrère sont venus discuter de leur dernier opus, Le pire n’est pas certain : essai sur l’aveuglement catastrophiste (2020) ; la controverse a porté sur l’importance de la compréhension fine de la manière dont la collapsologie est saisie, réinterprétée, mise au service d’alternatives sur les terrains les plus divers. Frédéric Keck, philosophe et anthropologue, qui venait de publier Les sentinelles des pandémies (2020), est venu présenter ses pistes de recherche « pragmatique et sémiotique » autour des chasseurs de virus. Comme nous avions partagé un intérêt pour l’épisode de la grippe aviaire (2005-2006), il y avait de quoi dire et échanger. David Samson a quant à lui redéployé la « critique historique et philosophique des notions de conscience écologique et de rationalité instrumentale » qu’il avait développée dans sa thèse (2019) ; le débat a plus porté ici sur la place du conséquentialisme dans une pensée critique en quête de nouveaux fondements et constamment bousculée par des processus non-linéaires – avec comme ligne de convergence un certain retour à la pensée deleuzienne.

Les séances 7 à 10 ont renversé la logique d’enquête en partant des dispositifs et des milieux, des instruments et des réseaux d’acteurs aux prises avec des processus situés, exigeant des descriptions fines. Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz ont détaillé les éléments d’un article en cours de rédaction consacré aux « alternatives métrologiques ». On est ainsi reparti de la figure des capteurs-citoyens, saisie à propos de la pollution atmosphérique, pour parcourir ensuite tous les cas de figure depuis la critique des « solutions numériques » jusqu’à la fabrique d’instruments au service de prises collectives, visant les ingrédients d’une démocratie numérique capable de desserrer l’emprise de méga-pouvoirs (comme celui des GAFAM ou des agences de surveillance) ; dans le prolongement de la séance précédente, Jérôme Denis et David Pointille ont déployé quant à eux le fil des maintenance studies en s’appuyant sur leurs enquêtes sur les opérations les plus ordinaires et les plus invisibles, montrant à quel point les travaux du Centre de Sociologie de l’Innovation se sont éloignés de la figure de l’acteur-réseau ; on a vu au contraire toute la profondeur engagée par une sociologie de l’attention et des actes de réparation les plus modestes en apparence face à la vulnérabilité des dispositifs. Stéphane Tonnelat a présenté son ethnographie du conflit du triangle de Gonesse (EuropaCity) en confirmant combien l’immersion au plus près des acteurs sur les terrains de lutte permet de saisir la compositionnalité des agencements critiques, des formes de délibération et des répertoires d’action, loin des caricatures propulsées à distance sur les « activistes », les « écolos bobos » ou les « zadistes ». Clôturant cette série au plus près des expériences et des mondes sociaux en action, Christine Fassert, qui avait récemment défrayé la chronique par son conflit avec l’IRSN, a partagé ses observations menées au Japon dans les zones affectées par la catastrophe de Fukushima.

Les séances 11 à 13 ont encore changé de logique de raisonnement et d’enquête. On s’est intéressé aux formes d’emprise et aux procédés utilisés par les acteurs pour les dévoiler, les démonter et les soumettre à des épreuves de justice ou de réparation, tout en essayant de comprendre les mécanismes ou les processus par lesquels se créent des relations de pouvoir, difficile à saisir de l’extérieur. Sous le titre de « “Mafieux”, “repentis”, “sorciers”. Les enjeux politiques d’un malentendu culturel », Deborah Puccio-Den a développé l’imposant travail qu’elle a réalisé sur la mafia sicilienne, notamment à partir des repentis et des stratégies des juges italiens pour pénétrer cette « mafia qui n’existe pas », enrichissant considérablement les outils d’analyse des phénomènes d’emprise contemporains. Les deux séances suivantes ont permis à Francis Chateauraynaud de faire le point sur la figure de l’empreneur, avec de nouveaux éléments versés au service d’une pragmatique du pouvoir remise sur le chantier après les textes sur l’emprise mis en circulation en 1999, 2006 et 2015, et en voie de synthèse pour un prochain ouvrage.

Enfin, la séance 14 a été l’occasion d’un retour critique et réflexif sur la pandémie de Sars-CoV-2, avec la présentation collective du groupe de travail « Covid » du GSPR : fort dense, cette dernière séance a donné lieu à des exposés de Jérôme Gaillaguet, Mathieu Noël, Josquin Debaz, Robin Dianoux, Hernando Salcedo Fidalgo et Francis Chateauraynaud. On peut voir sur l’archive vidéo à quel point il est décisif de raisonner et d’enquêter sur différentes échelles, de se donner du temps en retenant la pulsion interprétative du chercheur sidéré par l’ampleur de ruptures et de révélations, et surtout de ne jamais pronostiquer la fin d’une crise sans faire retour vers les expériences dans les milieux et les dispositifs. Cette triple leçon épistémologique infligée par le covid nous a renvoyés aux premières séances du séminaire et aux arts de faire avec l’indétermination, l’irréductibilité et l’incomplétude des modèles et des outils de totalisation savante.

 

Publications
  • Alertes et lanceurs d’alerte, Paris, Humensis, Que sais-je?, 2020.
  • Avec Fabricio Cardoso de Mello et alii, Sociologia Pragmática das Transformações em Diálog : Riscos e Desastres no Brasil Contemporâneo, Vitoria (Brasil), Editora Milfontes, 2020 (291 pages).
  • Avec Josquin Debaz, Martin Denoun, et alii, « Au-delà du « monde d’après » ou comment penser la crise dans la durée avec le pragmatisme sociologique », SocioInformatique et Argumentation, 31 mai 2020.
  • Avec Josquin Debaz, « Plurality of Temporalities, Complexity and Contingency in Repairing after Dam Failures in Minas Gerais », dans Repairing Environments, sous la dir. de P. Burgess, L. Centemeri et S. Topçu, Routledge, à paraître en 2021.
  • Avec Josquin Debaz, « Alternatives métrologiques. La critique des “solutions” numériques et la fabrique de prises collectives », dans Écologies mobiles, sous la dir. de L. Allard, à paraître en 2021.
  • Avec Mathieu Noël, « Le coronavirus, un agent de révision des croyances ? À propos des confrontations pratiques avec la pandémie », revue Sesame, INRAE, 2e trimestre 2021.
  • « Expérimentations démocratiques en tension. L’œuvre des citoyens dans le travail politique des bifurcations », Les Cahiers du GRM, n°18, septembre 2021.

Dernière modification : 16 juillet 2020 08:29

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Sociologie
Page web
http://www.gspr-ehess.com/ 
Langues
français
Mots-clés
Action publique Argumentation Citoyenneté Collectifs Démocratie Domination Émotions Énergie Enquêtes Environnement État et politiques publiques Études des sciences contemporaines Institutions Milieu Mobilisation(s) Mouvements sociaux Perception Pragmatisme Risques Santé environnementale Sciences Sociologie Sociologie politique Temps/temporalité Violence
Aires culturelles
Amérique du Sud Europe France
Intervenant·e·s

La sociologie pragmatique des transformations étudie les processus critiques par lesquels des acteurs font surgir des causes dans l’espace politique. Résumée sous l’expression de balistique sociologique, cette approche a enrichi l’analyse des processus sociaux, conçus comme des échangeurs entre rapports de forces et formes de légitimités. Le cœur de cible de cette sociologie a longtemps été formé par les trajectoires des causes collectives, notamment dans les champs environnementaux, sanitaires ou technologiques. Qu’il s’agisse de changement climatique ou de biodiversité, d’énergie nucléaire ou de gaz de schiste, d’OGM ou de nanotechnologies, de  pesticides ou de pollution atmosphérique, ou enore de gestion des risques de pandémie, on voit s’affronter des porteurs de promesses technologiques, des lanceurs d’alerte, des milieux d'expertise et des mouvements critiques, capables d’étendre les registres de la contestation mais aussi de forger des alternatives. Au cœur des champs de forces qui se dessinent, on trouve des acteurs critiques mais aussi des régulateurs et des acceptologues qui puisent dans le répertoire constamment renouvelé des procédures de concertation ou de débat public. Certains processus font basculer dans un autre état du monde, marqué par de nouvelles formes d'emprise et de violence. C'est le cas lorsque des régimes autoritaires, issus de crises répétées, verrouillent la plupart des sphères publiques.

Les enquêtes pragmatiques changent de modalités lorsqu’on se situe en amont des figures classiques de controverse et de conflit. L'étude des relations d’emprise et de leur transformation graduelle, souvent silencieuse, oblige à affiner quelque peu les modèles sociologiques inspirés par le pragmatisme. A ce titre, le séminaire poursuivra l'exploration des formes d'influence et d’anticipation stratégique, ainsi que les bifurcations et les ruptures à partir desquelles s’élaborent et se transforment des jeux de pouvoirs. Pour fortifier leurs perceptions et leurs interprétations, les acteurs se nourrissent continûment des productions des sciences sociales, et en particulier des théories du pouvoir, des modèles de légitimité et d'action publique, ce qui a des effets en retour sur les joutes académiques – comme c’est souvent le cas à propos de l’« expertise », de la « démocratie participative », des formes de « prospective » ou de l’« acceptabilité sociale des risques ». Que les protagonistes s’opposent frontalement ou optent pour une logique de coopération, la dynamique des conflits rend visibles les opérations interprétatives et les agencements pratiques qui servent à ancrer les croyances et les représentations, et parfois à les réviser. Des épreuves marquantes rendent manifestes des tensions, des contradictions et des points de rupture qui contrarient bien souvent les propositions de monde commun. Comme tout processus critique se déploie sur de multiples scènes, inégalement accessibles à l’observation ou au dévoilement, il convient de doubler l’analyse des actes de protestation et des procédés argumentatifs par l’examen des façons de lier, ou de se lier, au coeur de milieux en interaction. Comment saisir à la fois la production de liens d’intérêts ou de jeux d'interdépendances élaborés au fil du temps, peu visibles dans les dispositifs publics, et les capacités de mobilisation, de coalition ou d’alliance, rarement réductibles à un modèle d’alignement fondé sur l’intérêt bien compris ou sur des valeurs universalisables ? 

Le fil des alertes, des crises et des catastrophes longtemps suivi par le séminaire a connu avec la méga crise du Sars-CoV-2 une bifurcation aussi radicale qu'irréversible. En tirant les leçons épistémiques et axiologiques de cette crise, on approfondira la fabrique des différentes scénarisations du futur, avec une attention particulière aux jeux d'échelle. Par-delà le jeu des utopies et des dystopies, la confection critique des visions du futur pèse sur la portée des processus de mobilisation, contribuant à l’ouverture ou à la fermeture des possibles. Si des versions téléologiques s'opposent en gagnant en puissance d'expression, les processus collectifs témoignent d'une profonde indétermination du sens de l’histoire, indétermination sur laquelle prend forme toute expérience démocratique. Comme l'ont montré aussi bien les catastrophes et les mouvements sociaux inédits de la dernière décennie, on ne peut jamais prédire ni clore par avance la portée d'un processus critique..Les controverses scientifiques ou technoscientifiques ne peuvent plus être seulement « cartographiées » ou « mises à plat » : elle doivent être pensées en rapport avec les formes de vie et les points de recoupement ou d'articulation avec le monde sensible. Comprendre les ouvertures d’avenir et les prises, individuelles ou collectives, sur ces processus, c’est faire du pragmatisme sociologique un programme fort, capable de saisir, dans leur multiplicité, les expériences dans leurs milieux, dont l’irréductibilité foncière ne cesse de s’imposer à l’enquête. La mise à distance des montées automatiques en généralité est ainsi une des conditions majeures de l'exploration des ouvertures d'avenir, créatrices d'alternatives et de reconfigurations, au plus près des pratiques.

Le programme détaillé n'est pas disponible.

  • Séminaires de recherche – Sociologie – M1/S1-S2-M2/S3-S4
    Suivi et validation – annuel bi-mensuelle = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture
Contacts additionnels
-
Informations pratiques

pour tout renseignement sur le suivi du séminaire, contacter Stéphanie Taveneau par courriel : stephanie.taveneau(at)ehess.fr,

Direction de travaux des étudiants

direction de travaux d'étudiants : les 1er et 3e vendredis du mois sur rendez-vous entre 15 h et 19 h.

Réception des candidats

par courriel ou sur rendez-vous sur demande spécifique, les 1er et 3e vendredis du mois entre 15 h et 19 h.

Pré-requis
-
  • 105 bd Raspail
    105 bd Raspail 75006 Paris
    Salle 13
    annuel / bimensuel (1re/3e), vendredi 11:00-13:00
    du 6 novembre 2020 au 18 juin 2021

Pour la première fois de sa déjà longue histoire, puisqu’il a été ouvert en 2005, ce séminaire, dédié à des travaux de sociologie fondamentale liant le pragmatisme et la sociologie du conflit, s’est déroulé intégralement « en distanciel », entre novembre 2020 et juin 2021. Malgré les limites du dispositif, surtout pour la partie la plus interactive, celle de la discussion ouverte après chaque communication, le séminaire a suivi une ligne aussi cohérente que vivante. Rien de tel pour s’en assurer que de revisionner l’ensemble des séances, qui ont donné lieu à un archivage systématique sur le site de l’EHESS, ce qui est aussi une première.

L’intégralité des 14 séances est accessible en suivant ce lien : http://gspr-ehess.com/seminaires/

Lors des séances 1 à 3, Francis Chateauraynaud a opéré un retour approfondi sur les concepts, méthodes et objets portés par le pragmatisme sociologique sous le double label de « pragmatique des transformations » et de « pragmatique de la complexité ». L’ensemble des enjeux théoriques et empiriques ont été développés, depuis l’approche multiscalaire des controverses et des mobilisations jusqu’aux différentes matrices des futurs, en passant par les apports croisés d’une conception formelle de la preuve et de son pendant phénoménologique. Le triangle de la tangibilité, qui démontre à lui seul la distance astronomique entre le pragmatisme et le relativisme, et qui n’est pas sans évoquer la sémiologie de Peirce, joue un rôle central dans le raisonnement sociologique face aux controverses et autres processus critiques. La question des prises individuelles et collectives face à des phénomènes conçus comme irréversibles, comme les conséquences des crises et des catastrophes, a servi de fil rouge pour relier l’imposante casuistique étudiée ces dernières années. Au-delà des cas spécifiques, il s’agit de prendre très au sérieux les annonces de ruptures et de catastrophes sans verser dans l’effondrisme. L’opération n’est pas facile dans un monde contemporain soumis à des chocs répétés sans ouvertures d’avenir partagées et où le cynisme fait figure de vertu dans des jeux de pouvoirs plus que jamais shakespeariens, à toutes les échelles. Un constat qui engage forcément le chercheur dans des considérations axiologiques et normatives, a fortiori en pleine pandémie. En s’efforçant malgré tout de construire la juste distance vis-à-vis des disputes idéologiques et morales, un nouveau cadre d’analyse, fondé sur l’agencement d’une pluralité de lignes de raisonnement et d’enquête, a été présenté et a suscité de stimulantes discussions.

Les séances 4 à 6 ont changé l’angle d’attaque des problèmes en ouvrant le débat avec des approches plus philosophiques des questions d’environnement : Catherine et Raphaël Larrère sont venus discuter de leur dernier opus, Le pire n’est pas certain : essai sur l’aveuglement catastrophiste (2020) ; la controverse a porté sur l’importance de la compréhension fine de la manière dont la collapsologie est saisie, réinterprétée, mise au service d’alternatives sur les terrains les plus divers. Frédéric Keck, philosophe et anthropologue, qui venait de publier Les sentinelles des pandémies (2020), est venu présenter ses pistes de recherche « pragmatique et sémiotique » autour des chasseurs de virus. Comme nous avions partagé un intérêt pour l’épisode de la grippe aviaire (2005-2006), il y avait de quoi dire et échanger. David Samson a quant à lui redéployé la « critique historique et philosophique des notions de conscience écologique et de rationalité instrumentale » qu’il avait développée dans sa thèse (2019) ; le débat a plus porté ici sur la place du conséquentialisme dans une pensée critique en quête de nouveaux fondements et constamment bousculée par des processus non-linéaires – avec comme ligne de convergence un certain retour à la pensée deleuzienne.

Les séances 7 à 10 ont renversé la logique d’enquête en partant des dispositifs et des milieux, des instruments et des réseaux d’acteurs aux prises avec des processus situés, exigeant des descriptions fines. Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz ont détaillé les éléments d’un article en cours de rédaction consacré aux « alternatives métrologiques ». On est ainsi reparti de la figure des capteurs-citoyens, saisie à propos de la pollution atmosphérique, pour parcourir ensuite tous les cas de figure depuis la critique des « solutions numériques » jusqu’à la fabrique d’instruments au service de prises collectives, visant les ingrédients d’une démocratie numérique capable de desserrer l’emprise de méga-pouvoirs (comme celui des GAFAM ou des agences de surveillance) ; dans le prolongement de la séance précédente, Jérôme Denis et David Pointille ont déployé quant à eux le fil des maintenance studies en s’appuyant sur leurs enquêtes sur les opérations les plus ordinaires et les plus invisibles, montrant à quel point les travaux du Centre de Sociologie de l’Innovation se sont éloignés de la figure de l’acteur-réseau ; on a vu au contraire toute la profondeur engagée par une sociologie de l’attention et des actes de réparation les plus modestes en apparence face à la vulnérabilité des dispositifs. Stéphane Tonnelat a présenté son ethnographie du conflit du triangle de Gonesse (EuropaCity) en confirmant combien l’immersion au plus près des acteurs sur les terrains de lutte permet de saisir la compositionnalité des agencements critiques, des formes de délibération et des répertoires d’action, loin des caricatures propulsées à distance sur les « activistes », les « écolos bobos » ou les « zadistes ». Clôturant cette série au plus près des expériences et des mondes sociaux en action, Christine Fassert, qui avait récemment défrayé la chronique par son conflit avec l’IRSN, a partagé ses observations menées au Japon dans les zones affectées par la catastrophe de Fukushima.

Les séances 11 à 13 ont encore changé de logique de raisonnement et d’enquête. On s’est intéressé aux formes d’emprise et aux procédés utilisés par les acteurs pour les dévoiler, les démonter et les soumettre à des épreuves de justice ou de réparation, tout en essayant de comprendre les mécanismes ou les processus par lesquels se créent des relations de pouvoir, difficile à saisir de l’extérieur. Sous le titre de « “Mafieux”, “repentis”, “sorciers”. Les enjeux politiques d’un malentendu culturel », Deborah Puccio-Den a développé l’imposant travail qu’elle a réalisé sur la mafia sicilienne, notamment à partir des repentis et des stratégies des juges italiens pour pénétrer cette « mafia qui n’existe pas », enrichissant considérablement les outils d’analyse des phénomènes d’emprise contemporains. Les deux séances suivantes ont permis à Francis Chateauraynaud de faire le point sur la figure de l’empreneur, avec de nouveaux éléments versés au service d’une pragmatique du pouvoir remise sur le chantier après les textes sur l’emprise mis en circulation en 1999, 2006 et 2015, et en voie de synthèse pour un prochain ouvrage.

Enfin, la séance 14 a été l’occasion d’un retour critique et réflexif sur la pandémie de Sars-CoV-2, avec la présentation collective du groupe de travail « Covid » du GSPR : fort dense, cette dernière séance a donné lieu à des exposés de Jérôme Gaillaguet, Mathieu Noël, Josquin Debaz, Robin Dianoux, Hernando Salcedo Fidalgo et Francis Chateauraynaud. On peut voir sur l’archive vidéo à quel point il est décisif de raisonner et d’enquêter sur différentes échelles, de se donner du temps en retenant la pulsion interprétative du chercheur sidéré par l’ampleur de ruptures et de révélations, et surtout de ne jamais pronostiquer la fin d’une crise sans faire retour vers les expériences dans les milieux et les dispositifs. Cette triple leçon épistémologique infligée par le covid nous a renvoyés aux premières séances du séminaire et aux arts de faire avec l’indétermination, l’irréductibilité et l’incomplétude des modèles et des outils de totalisation savante.

 

Publications
  • Alertes et lanceurs d’alerte, Paris, Humensis, Que sais-je?, 2020.
  • Avec Fabricio Cardoso de Mello et alii, Sociologia Pragmática das Transformações em Diálog : Riscos e Desastres no Brasil Contemporâneo, Vitoria (Brasil), Editora Milfontes, 2020 (291 pages).
  • Avec Josquin Debaz, Martin Denoun, et alii, « Au-delà du « monde d’après » ou comment penser la crise dans la durée avec le pragmatisme sociologique », SocioInformatique et Argumentation, 31 mai 2020.
  • Avec Josquin Debaz, « Plurality of Temporalities, Complexity and Contingency in Repairing after Dam Failures in Minas Gerais », dans Repairing Environments, sous la dir. de P. Burgess, L. Centemeri et S. Topçu, Routledge, à paraître en 2021.
  • Avec Josquin Debaz, « Alternatives métrologiques. La critique des “solutions” numériques et la fabrique de prises collectives », dans Écologies mobiles, sous la dir. de L. Allard, à paraître en 2021.
  • Avec Mathieu Noël, « Le coronavirus, un agent de révision des croyances ? À propos des confrontations pratiques avec la pandémie », revue Sesame, INRAE, 2e trimestre 2021.
  • « Expérimentations démocratiques en tension. L’œuvre des citoyens dans le travail politique des bifurcations », Les Cahiers du GRM, n°18, septembre 2021.