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UE1054 - Diagrammatique de l’espace et du temps : des mathématiques et la physique à l’architecture et la musique


Lieu et planning


  • 105 bd Raspail
    105 bd Raspail 75006 Paris
    Salle 6
    2nd semestre / hebdomadaire, mercredi 19:00-21:00
    du 3 février 2021 au 5 mai 2021


Description


Dernière modification : 17 juillet 2020 15:48

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Méthodes et techniques des sciences sociales
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Épistémologie Espace Mathématiques et sciences sociales
Aires culturelles
Europe
Intervenant·e·s
  • Luciano Boi [référent·e]   maître de conférences, EHESS / Centre d'analyse et de mathématique sociales (CAMS)

Pour la 5e année consécutive, dans ce séminaire on propose de réfléchir sur l’importance et la signification de la pensée diagrammatique. Il prend son point de départ et son argument dans les considérations suivantes. Quelques-uns des développements récents les plus intéressants et profonds des sciences contemporaines (en topologie, en géométrie, dans la théorie des systèmes dynamiques, dans les théories quantiques des champs ou encore dans la théorie des cordes) ont été possibles grâce à l’introduction de nouveaux types de diagrammes, qui, outre leur rôle essentiel pour la découverte de nouvelles classes d’espaces et de phénomènes, ont contribué à enrichir et à clarifier la signification des opérations, des structures et des propriétés qui sont au cœur de ces espaces et de ces phénomènes. Les diagrammes sont souvent apparentés aux images, dessins, figures et modèles, à une méthode de visualisation. Ils permettent en tous cas de dégager une pensée plus imaginative et picturale de la pratique scientifique et artistique, et de conjuguer gestualité, invention et signification. Ils montrent qu’on peut élaborer une théorie, un modèle, abstrait ou concret, comme une pensée en mouvement, prenant naissance dans un espace qui est lui-même à réinventer et qui se déploie dans des temps propres. Développer une pensée diagrammatique revient à essayer de comprendre les dynamiques de transformation et les processus d’émergence de nouvelles propriétés et qualités des espaces et des phénomènes. Cette multiplicité d’usages recouvre cependant une certaine polysémie qu’il convient aussi d’interroger. Nous proposons pour ce faire d’étudier différents cas de théories mathématiques et physiques dans lesquelles les diagrammes jouent un rôle important, des approches philosophiques et phénoménologiques de l’espace, du temps et de la perception, ainsi que des pratiques artistiques fortement inspirées de la pensée diagrammatique. Nous nous proposons d’examiner la portée et la nature des diagrammes en tant qu’élément constitutif de la pensée mathématique et physique, et ainsi que sa fonction dans le travail de création artistique, et d’évaluer en particulier l’importance qu’ont aujourd’hui les diagrammes de nœuds, de tresses, de champs, d’interactions, de cordes, etc., en topologie et en géométrie, en physique quantiques et en cosmologie, mais aussi dans les théories de la perception, en arts plastiques et en philosophie.

Le programme détaillé n'est pas disponible.


Master


Cette UE n'est rattachée à aucune formation de master.


Renseignements


Contacts additionnels
-
Informations pratiques

contacter Luciano Boi par courriel.

Direction de travaux des étudiants

contacter Luciano Boi par courriel.

Réception des candidats

contacter Luciano Boi par courriel.

Pré-requis
-

Compte rendu


Le séminaire de cette année avait comme objectif de montrer que les diagrammes jouent un rôle fondamental dans la visualisation mathématique et dans l’analyse philosophique des formes dans l’espace. Quelques développements récents, parmi les plus intéressants et profonds des sciences contemporaines, que ce soit en topologie, en géométrie, dans la théorie des systèmes dynamiques, dans les théories quantiques des champs ou encore dans la théorie des cordes, ont été possibles grâce à l’introduction de nouveaux types de diagrammes, qui, outre leur rôle essentiel pour la découverte de nouvelles classes d’espaces et de phénomènes, ont contribué à enrichir et à clarifier la signification des opérations, des structures et des propriétés qui sont au cœur de ces espaces et de ces phénomènes. Cette multiplicité d’usages recouvre une certaine polysémie conceptuelle et philosophique qu’il convient aussi d’interroger. Les diagrammes, sont souvent apparentés aux images, dessins, figures et modèles, mettent en œuvre une pensée plus imaginative et picturale de la pratique scientifique et artistique, et de conjuguer gestualité, invention et signification. Ils montrent qu’on peut élaborer une théorie, un modèle, abstrait ou concret, comme une pensée en mouvement, qui prend naissance dans un espace qui est lui-même à réinventer et se déploie dans des temps propres. Développer une pensée diagrammatique revient ainsi à essayer de comprendre les dynamiques de transformation et les processus d’émergence de nouvelles propriétés et qualités des espaces et des phénomènes.

Dans la première partie du séminaire on a examiné l’importance qu’ont aujourd’hui les diagrammes de nœuds, de tresses, de champs, d’interactions, de cordes, etc., en topologie et en géométrie, en physique quantiques et en cosmologie, mais aussi dans les théories de la perception, en arts plastiques et en philosophie. Nous avons étudié différents cas de théories mathématiques et physiques dans lesquelles les diagrammes jouent un rôle important, des approches philosophiques et phénoménologiques de l’espace, du temps et de la perception, ainsi que des pratiques artistiques fortement inspirées de la pensée diagrammatique.

La deuxième partie du séminaire a porté sur la visualisation topologique, ou comment appréhender l’invisible. La représentation en topologie ne peut se passer d’un processus de « visualisation mathématique » (d’idéalisation ou d’imagination), qui fait appel à un nouveau type d’intuition, plus conceptuelle et en même temps plus picturale (diagrammatique), et résolument éloignée des sensations immédiates et de l’intuition empirique. En topologie, la figure, le dessin, le diagramme ou le graphe (dans ce contexte, nous attribuons à ces mots le même statut) ne sont plus l’image de quelque chose, d’un objet extérieur que l’image se chargerait de représenter, mais sont eux-mêmes l’objet qui représente un univers de relations et de propriétés « cachées » absentes de l’image. La « sémiotisation » du statut de l’image y est encore plus développée par rapport à d’autres sciences et elle a atteint un niveau très fin. La topologie permet une autre approche dans l’étude des objets qui ne se restreint pas aux relations quantitatives de grandeur et aux aspects visuels, mais considère davantage la forme (l’« image ») dans sa globalité, ainsi que le spectre des variations possibles (continues ou discrètes) de ses configurations. Elle a changé en profondeur notre pensée et culture scientifiques de l’image ; elle est le domaine par excellence des images (des figures, des dessins) au sens nouveau et particulier que nous venons de préciser. C’est la partie la plus abstraite (mais, dans un autre sens, la plus concrète) des mathématiques, qui se définit comme cette science des transformations d’objets étendus et d’espaces plus ou moins abstraits par déformations continues, c’est-à-dire sans coupures ni déchirures. Dans ce domaine des mathématiques, les notions de distance et de longueur ne jouent plus aucun rôle, et le concept de congruence (de coïncidence par superposition) se révèle impuissant à rendre compte de la similitude et des relations intrinsèques entre deux objets, deux figures, deux surfaces, ou, plus généralement, entre deux espaces abstraits. Dans aucun autre domaine des mathématiques, l’éloignement de la réalité visible et du modèle de la figuration n’est aussi important qu’il ne l’est en topologie, où un concept beaucoup plus subtil et proche de la structure intrinsèque des objets joue un rôle fondamental, il s’agit du concept qualitatif (au sens topologique, c’est-à-dire où n’interviennent pas de relations métriques) d’équivalence ou d’homéomorphisme.

La troisième partie a été consacrée aux diagrammes de Feynman et à la nouvelle perspective qui depuis a été développée en physique théorique. Les diagrammes de Feynman en constituent un magnifique exemple. En effet, il est un mode de pensée parmi les plus significatifs de la physique du XXe siècle. On peut le voir comme une sorte de grammaire générative douée d’un pouvoir de création de modèles théoriques et d’interactions possibles entre des particules physiques mais immatérielles. Ces modèles théoriques, symbolisés par des diagrammes se générant les uns à la suite des autres grâce à une méthode d’invention, représentent un processus en devenir. Celui-ci permet, en effet, d’appréhender le sens d’un monde physique (celui des champs et des particules subatomiques) invisible et inaccessible à notre perception, d’abord à travers la construction dynamique d’un espace à un nombre n très grand de dimensions (où n est inconnu), puis en projetant cet espace sur une simple surface bidimensionnelle, mais qui n’en recèle pas moins des possibilités cachées. Une partie fondamentale de la pensée physique au vingtième siècle est étroitement liée à l’invention de la méthode diagrammatique, due en grande partie au génie du physicien Richard Feynman, à qui l’on doit (avec Tomonaga, Schwinger et Dyson) la création en 1948 de l’électrodynamique quantique relativiste (Quantum Electrodynamics – QED). C’est une théorie quantique des champs ayant pour but de concilier l’électromagnétisme avec la mécanique quantique. Le concept de champ désigne une structure qui permet de rendre compte de la création ou l’annihilation de particules en tout point « de l’espace ». Mathématiquement, il s’agit d’un groupe abélien avec un groupe de jauge U(1). Le champ de jauge qui intervient dans l’interaction entre deux charges représentées par des champs de spin 1⁄2 entiers est le champ électromagnétique. Physiquement, cela se traduit dans le fait que les particules chargées interagissent par l’échange de photons. Les photons, qui jouent un rôle fondamental dans les atomes, sont comme des cordes qui lient les électrons au noyau. L’électrodynamique quantique fut la première théorie quantique des champs dans laquelle les difficultés pour élaborer un formalisme purement quantique autorisant la création et l’annihilation de particules ont été résolues de façon satisfaisante, grâce à la méthode dite de re-normalisation, conçue afin de s’affranchir de quantités infinies indésirables rencontrées en théorie quantique des champs.

Une quatrième partie du séminaire a concerné de manière spécifique la diagrammatique en théorie des nœuds et des tresses. Il s’agit d’un champ de recherche transversal à plusieurs domaines fondamentaux des mathématiques, de la physique et de la philosophie de la connaissance. Les diagrammes de nœuds et de tresses comptent parmi les objets les plus fascinants des recherches actuelles qui se situent au croisement de la topologie algébrique et géométrique et des théories des champs quantiques. L’information sur les « nœuds-surfaces » (c’est-à-dire les nœuds qui admettent une projection plane) dans l’espace tridimensionnel conçu mathématiquement, résulte d’une structure appelée diagramme du nœud. Pour l’étude mathématique des nœuds, la question fondamentale est de savoir si deux nœuds sont-ils équivalents. S’ils ne le sont pas, on peut alors les distinguer, généralement au moyen d’invariants topologiques ou algébriques : l’un de ces invariants est le groupe du nœud. La plupart de ces invariants peuvent s’obtenir à partir de diagrammes de nœuds. Si au moins deux nœuds sont équivalents, nous pouvons alors définir une isotopie qui établit une relation d’équivalence entre des variétés ou des sous-ensembles de Rn.

La dernière partie du séminaire a discuté les enjeux épistémologiques et philosophiques. 1) D’une manière générale, et plus particulièrement dans le cas des diagrammes de nœuds et des diagrammes de Feynman en électrodynamique quantique, les diagrammes n’ont pas été utilisés pour simplement « illustrer » quelque chose (objets et événements), mais plutôt comme des opérations symboliques ou des opérateurs de nature algébrique et topologique. De plus, les diagrammes permettent de montrer et connaître des propriétés topologiques de l’objet nœud concernant notamment leurs possibles transformations dans l’espace et leurs caractéristiques invariantes. Une fois connues, ces propriétés topologiques peuvent conduire à la découverte de nouveaux invariants algébriques des nœuds. 2) Les diagrammes ne se limitent pas à offrir une image du monde tel qu’il nous apparaît. Un diagramme est une construction symbolique et conceptuelle puissante, une clé de lecture et de réécriture des processus de la formation du monde « réel », une sorte de sémio-dynamique ouverte de son devenir. De ce point de vue, le diagramme traduit la forme d’une manière de penser (d’une stratégie conceptuelle) que le physicien-géomètre est capable de donner à la matière, au monde physique. Ensemble de qualités plastiques d’une pensée en train de se former comme modèle effectif, comme forme, le diagramme tend à s’objectiver dans des processus réels. Les diagrammes ont trois fonctions à la fois : a) élucider des concepts en en déployant les articulations au sein d’une forme possible ; b) introduire de nouveaux concepts ; c) créer de nouvelles propriétés des objets que les diagrammes (graphes, arbres) modélisent. 3) La pensée diagrammatique a ouvert la voie à de nouvelles méthodes et techniques de visualisation d’objets et phénomènes inaccessibles à la perception ordinaire, et aussi aux expériences qu’on peut réaliser par des appareils même très sophistiqués. Cette visualisation présente un pouvoir explicatif supplémentaire par rapport à d’autres méthodes classiques utilisées dans les sciences mathématiques et physiques. Par la création d’images mentales des objets et des équations, certaines techniques de visualisation, notamment les diagrammes, se constituent, dont on peut distinguer deux niveaux : le premier correspond à des modèles d’objets réels en tant qu’ils sont imaginés et non pas (directement) observés ; le second concerne les éléments qui forment les modèles eux-mêmes, c’est-à-dire les aspects graphique, dénotatif et connotatif, qui donnent à « voir » ce qui n’est pas visible, par la création d’objets et de nouvelles articulations de sens.

Publications
  • Avec C. Lobo, When Form Become Substance. Diagrams, Knots and Spaces, Basel, Birkhäuser, 2021, en cours de publication.
  • « Knots, Diagrams and Kids’ Shoelaces. On Spaces and their Forms », dans When Form Become Substance. Diagrams, Knots and Spaces, op. cit.
  • « La Géométrie est plus que ses axiomes : philosophie des mathématiques et ontogenèse de la nature », Revista de Filosofia Moderna e Contemporânea, Brasilia, 8(1), 2020, p. 139-173.
  • « De nouvelles géométries et dynamiques au cœur de la nature et du vivant ? Vers un renouveau de la philosophie de la nature », Rue Descartes, 99 (1), 2021, p. 76-97.
  • « Emergenza dello spazio-tempo nelle teorie fisiche contemporanee », Complessità, 15(2), 2020, p. 90-119.
  • « Entrevista con Luciano Boi ¿Qué es la topología ? Matemáticas, ciencia, filosofía y arte », par A. R. Contreras, Revista de Semiótica, Tópicos del Seminario, BUAP, Avatares de la forma II, 43(1), 2020, p. 213-265.

Dernière modification : 17 juillet 2020 15:48

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Méthodes et techniques des sciences sociales
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Épistémologie Espace Mathématiques et sciences sociales
Aires culturelles
Europe
Intervenant·e·s
  • Luciano Boi [référent·e]   maître de conférences, EHESS / Centre d'analyse et de mathématique sociales (CAMS)

Pour la 5e année consécutive, dans ce séminaire on propose de réfléchir sur l’importance et la signification de la pensée diagrammatique. Il prend son point de départ et son argument dans les considérations suivantes. Quelques-uns des développements récents les plus intéressants et profonds des sciences contemporaines (en topologie, en géométrie, dans la théorie des systèmes dynamiques, dans les théories quantiques des champs ou encore dans la théorie des cordes) ont été possibles grâce à l’introduction de nouveaux types de diagrammes, qui, outre leur rôle essentiel pour la découverte de nouvelles classes d’espaces et de phénomènes, ont contribué à enrichir et à clarifier la signification des opérations, des structures et des propriétés qui sont au cœur de ces espaces et de ces phénomènes. Les diagrammes sont souvent apparentés aux images, dessins, figures et modèles, à une méthode de visualisation. Ils permettent en tous cas de dégager une pensée plus imaginative et picturale de la pratique scientifique et artistique, et de conjuguer gestualité, invention et signification. Ils montrent qu’on peut élaborer une théorie, un modèle, abstrait ou concret, comme une pensée en mouvement, prenant naissance dans un espace qui est lui-même à réinventer et qui se déploie dans des temps propres. Développer une pensée diagrammatique revient à essayer de comprendre les dynamiques de transformation et les processus d’émergence de nouvelles propriétés et qualités des espaces et des phénomènes. Cette multiplicité d’usages recouvre cependant une certaine polysémie qu’il convient aussi d’interroger. Nous proposons pour ce faire d’étudier différents cas de théories mathématiques et physiques dans lesquelles les diagrammes jouent un rôle important, des approches philosophiques et phénoménologiques de l’espace, du temps et de la perception, ainsi que des pratiques artistiques fortement inspirées de la pensée diagrammatique. Nous nous proposons d’examiner la portée et la nature des diagrammes en tant qu’élément constitutif de la pensée mathématique et physique, et ainsi que sa fonction dans le travail de création artistique, et d’évaluer en particulier l’importance qu’ont aujourd’hui les diagrammes de nœuds, de tresses, de champs, d’interactions, de cordes, etc., en topologie et en géométrie, en physique quantiques et en cosmologie, mais aussi dans les théories de la perception, en arts plastiques et en philosophie.

Le programme détaillé n'est pas disponible.

Cette UE n'est rattachée à aucune formation de master.

Contacts additionnels
-
Informations pratiques

contacter Luciano Boi par courriel.

Direction de travaux des étudiants

contacter Luciano Boi par courriel.

Réception des candidats

contacter Luciano Boi par courriel.

Pré-requis
-
  • 105 bd Raspail
    105 bd Raspail 75006 Paris
    Salle 6
    2nd semestre / hebdomadaire, mercredi 19:00-21:00
    du 3 février 2021 au 5 mai 2021

Le séminaire de cette année avait comme objectif de montrer que les diagrammes jouent un rôle fondamental dans la visualisation mathématique et dans l’analyse philosophique des formes dans l’espace. Quelques développements récents, parmi les plus intéressants et profonds des sciences contemporaines, que ce soit en topologie, en géométrie, dans la théorie des systèmes dynamiques, dans les théories quantiques des champs ou encore dans la théorie des cordes, ont été possibles grâce à l’introduction de nouveaux types de diagrammes, qui, outre leur rôle essentiel pour la découverte de nouvelles classes d’espaces et de phénomènes, ont contribué à enrichir et à clarifier la signification des opérations, des structures et des propriétés qui sont au cœur de ces espaces et de ces phénomènes. Cette multiplicité d’usages recouvre une certaine polysémie conceptuelle et philosophique qu’il convient aussi d’interroger. Les diagrammes, sont souvent apparentés aux images, dessins, figures et modèles, mettent en œuvre une pensée plus imaginative et picturale de la pratique scientifique et artistique, et de conjuguer gestualité, invention et signification. Ils montrent qu’on peut élaborer une théorie, un modèle, abstrait ou concret, comme une pensée en mouvement, qui prend naissance dans un espace qui est lui-même à réinventer et se déploie dans des temps propres. Développer une pensée diagrammatique revient ainsi à essayer de comprendre les dynamiques de transformation et les processus d’émergence de nouvelles propriétés et qualités des espaces et des phénomènes.

Dans la première partie du séminaire on a examiné l’importance qu’ont aujourd’hui les diagrammes de nœuds, de tresses, de champs, d’interactions, de cordes, etc., en topologie et en géométrie, en physique quantiques et en cosmologie, mais aussi dans les théories de la perception, en arts plastiques et en philosophie. Nous avons étudié différents cas de théories mathématiques et physiques dans lesquelles les diagrammes jouent un rôle important, des approches philosophiques et phénoménologiques de l’espace, du temps et de la perception, ainsi que des pratiques artistiques fortement inspirées de la pensée diagrammatique.

La deuxième partie du séminaire a porté sur la visualisation topologique, ou comment appréhender l’invisible. La représentation en topologie ne peut se passer d’un processus de « visualisation mathématique » (d’idéalisation ou d’imagination), qui fait appel à un nouveau type d’intuition, plus conceptuelle et en même temps plus picturale (diagrammatique), et résolument éloignée des sensations immédiates et de l’intuition empirique. En topologie, la figure, le dessin, le diagramme ou le graphe (dans ce contexte, nous attribuons à ces mots le même statut) ne sont plus l’image de quelque chose, d’un objet extérieur que l’image se chargerait de représenter, mais sont eux-mêmes l’objet qui représente un univers de relations et de propriétés « cachées » absentes de l’image. La « sémiotisation » du statut de l’image y est encore plus développée par rapport à d’autres sciences et elle a atteint un niveau très fin. La topologie permet une autre approche dans l’étude des objets qui ne se restreint pas aux relations quantitatives de grandeur et aux aspects visuels, mais considère davantage la forme (l’« image ») dans sa globalité, ainsi que le spectre des variations possibles (continues ou discrètes) de ses configurations. Elle a changé en profondeur notre pensée et culture scientifiques de l’image ; elle est le domaine par excellence des images (des figures, des dessins) au sens nouveau et particulier que nous venons de préciser. C’est la partie la plus abstraite (mais, dans un autre sens, la plus concrète) des mathématiques, qui se définit comme cette science des transformations d’objets étendus et d’espaces plus ou moins abstraits par déformations continues, c’est-à-dire sans coupures ni déchirures. Dans ce domaine des mathématiques, les notions de distance et de longueur ne jouent plus aucun rôle, et le concept de congruence (de coïncidence par superposition) se révèle impuissant à rendre compte de la similitude et des relations intrinsèques entre deux objets, deux figures, deux surfaces, ou, plus généralement, entre deux espaces abstraits. Dans aucun autre domaine des mathématiques, l’éloignement de la réalité visible et du modèle de la figuration n’est aussi important qu’il ne l’est en topologie, où un concept beaucoup plus subtil et proche de la structure intrinsèque des objets joue un rôle fondamental, il s’agit du concept qualitatif (au sens topologique, c’est-à-dire où n’interviennent pas de relations métriques) d’équivalence ou d’homéomorphisme.

La troisième partie a été consacrée aux diagrammes de Feynman et à la nouvelle perspective qui depuis a été développée en physique théorique. Les diagrammes de Feynman en constituent un magnifique exemple. En effet, il est un mode de pensée parmi les plus significatifs de la physique du XXe siècle. On peut le voir comme une sorte de grammaire générative douée d’un pouvoir de création de modèles théoriques et d’interactions possibles entre des particules physiques mais immatérielles. Ces modèles théoriques, symbolisés par des diagrammes se générant les uns à la suite des autres grâce à une méthode d’invention, représentent un processus en devenir. Celui-ci permet, en effet, d’appréhender le sens d’un monde physique (celui des champs et des particules subatomiques) invisible et inaccessible à notre perception, d’abord à travers la construction dynamique d’un espace à un nombre n très grand de dimensions (où n est inconnu), puis en projetant cet espace sur une simple surface bidimensionnelle, mais qui n’en recèle pas moins des possibilités cachées. Une partie fondamentale de la pensée physique au vingtième siècle est étroitement liée à l’invention de la méthode diagrammatique, due en grande partie au génie du physicien Richard Feynman, à qui l’on doit (avec Tomonaga, Schwinger et Dyson) la création en 1948 de l’électrodynamique quantique relativiste (Quantum Electrodynamics – QED). C’est une théorie quantique des champs ayant pour but de concilier l’électromagnétisme avec la mécanique quantique. Le concept de champ désigne une structure qui permet de rendre compte de la création ou l’annihilation de particules en tout point « de l’espace ». Mathématiquement, il s’agit d’un groupe abélien avec un groupe de jauge U(1). Le champ de jauge qui intervient dans l’interaction entre deux charges représentées par des champs de spin 1⁄2 entiers est le champ électromagnétique. Physiquement, cela se traduit dans le fait que les particules chargées interagissent par l’échange de photons. Les photons, qui jouent un rôle fondamental dans les atomes, sont comme des cordes qui lient les électrons au noyau. L’électrodynamique quantique fut la première théorie quantique des champs dans laquelle les difficultés pour élaborer un formalisme purement quantique autorisant la création et l’annihilation de particules ont été résolues de façon satisfaisante, grâce à la méthode dite de re-normalisation, conçue afin de s’affranchir de quantités infinies indésirables rencontrées en théorie quantique des champs.

Une quatrième partie du séminaire a concerné de manière spécifique la diagrammatique en théorie des nœuds et des tresses. Il s’agit d’un champ de recherche transversal à plusieurs domaines fondamentaux des mathématiques, de la physique et de la philosophie de la connaissance. Les diagrammes de nœuds et de tresses comptent parmi les objets les plus fascinants des recherches actuelles qui se situent au croisement de la topologie algébrique et géométrique et des théories des champs quantiques. L’information sur les « nœuds-surfaces » (c’est-à-dire les nœuds qui admettent une projection plane) dans l’espace tridimensionnel conçu mathématiquement, résulte d’une structure appelée diagramme du nœud. Pour l’étude mathématique des nœuds, la question fondamentale est de savoir si deux nœuds sont-ils équivalents. S’ils ne le sont pas, on peut alors les distinguer, généralement au moyen d’invariants topologiques ou algébriques : l’un de ces invariants est le groupe du nœud. La plupart de ces invariants peuvent s’obtenir à partir de diagrammes de nœuds. Si au moins deux nœuds sont équivalents, nous pouvons alors définir une isotopie qui établit une relation d’équivalence entre des variétés ou des sous-ensembles de Rn.

La dernière partie du séminaire a discuté les enjeux épistémologiques et philosophiques. 1) D’une manière générale, et plus particulièrement dans le cas des diagrammes de nœuds et des diagrammes de Feynman en électrodynamique quantique, les diagrammes n’ont pas été utilisés pour simplement « illustrer » quelque chose (objets et événements), mais plutôt comme des opérations symboliques ou des opérateurs de nature algébrique et topologique. De plus, les diagrammes permettent de montrer et connaître des propriétés topologiques de l’objet nœud concernant notamment leurs possibles transformations dans l’espace et leurs caractéristiques invariantes. Une fois connues, ces propriétés topologiques peuvent conduire à la découverte de nouveaux invariants algébriques des nœuds. 2) Les diagrammes ne se limitent pas à offrir une image du monde tel qu’il nous apparaît. Un diagramme est une construction symbolique et conceptuelle puissante, une clé de lecture et de réécriture des processus de la formation du monde « réel », une sorte de sémio-dynamique ouverte de son devenir. De ce point de vue, le diagramme traduit la forme d’une manière de penser (d’une stratégie conceptuelle) que le physicien-géomètre est capable de donner à la matière, au monde physique. Ensemble de qualités plastiques d’une pensée en train de se former comme modèle effectif, comme forme, le diagramme tend à s’objectiver dans des processus réels. Les diagrammes ont trois fonctions à la fois : a) élucider des concepts en en déployant les articulations au sein d’une forme possible ; b) introduire de nouveaux concepts ; c) créer de nouvelles propriétés des objets que les diagrammes (graphes, arbres) modélisent. 3) La pensée diagrammatique a ouvert la voie à de nouvelles méthodes et techniques de visualisation d’objets et phénomènes inaccessibles à la perception ordinaire, et aussi aux expériences qu’on peut réaliser par des appareils même très sophistiqués. Cette visualisation présente un pouvoir explicatif supplémentaire par rapport à d’autres méthodes classiques utilisées dans les sciences mathématiques et physiques. Par la création d’images mentales des objets et des équations, certaines techniques de visualisation, notamment les diagrammes, se constituent, dont on peut distinguer deux niveaux : le premier correspond à des modèles d’objets réels en tant qu’ils sont imaginés et non pas (directement) observés ; le second concerne les éléments qui forment les modèles eux-mêmes, c’est-à-dire les aspects graphique, dénotatif et connotatif, qui donnent à « voir » ce qui n’est pas visible, par la création d’objets et de nouvelles articulations de sens.

Publications
  • Avec C. Lobo, When Form Become Substance. Diagrams, Knots and Spaces, Basel, Birkhäuser, 2021, en cours de publication.
  • « Knots, Diagrams and Kids’ Shoelaces. On Spaces and their Forms », dans When Form Become Substance. Diagrams, Knots and Spaces, op. cit.
  • « La Géométrie est plus que ses axiomes : philosophie des mathématiques et ontogenèse de la nature », Revista de Filosofia Moderna e Contemporânea, Brasilia, 8(1), 2020, p. 139-173.
  • « De nouvelles géométries et dynamiques au cœur de la nature et du vivant ? Vers un renouveau de la philosophie de la nature », Rue Descartes, 99 (1), 2021, p. 76-97.
  • « Emergenza dello spazio-tempo nelle teorie fisiche contemporanee », Complessità, 15(2), 2020, p. 90-119.
  • « Entrevista con Luciano Boi ¿Qué es la topología ? Matemáticas, ciencia, filosofía y arte », par A. R. Contreras, Revista de Semiótica, Tópicos del Seminario, BUAP, Avatares de la forma II, 43(1), 2020, p. 213-265.