UE450 - Histoire et littérature, 1800-1950

Intervenant·e·s

• Judith Lyon-Caen [référent·e]   directrice d'études, EHESS / Groupe de recherches interdisciplinaires sur l'histoire du littéraire (CRH-GRIHL)

Comment faire de l’histoire avec de la littérature ? Que fait-on, en histoire et plus largement en sciences sociales, quand on prend pour objet cette réalité du monde social, aux contours instables et constamment discutés, qui est désignée comme « littérature » ? Ce séminaire s’intéresse aux formes de présence et de dissémination de la littérature dans le monde social depuis l’époque romantique jusqu’aux années 1950. Il explore, depuis trois ans, les voies d'une possible anthropologie historique du littéraire qui, en 2023-2024, privilégiera deux terrains emboîtés.

D'une part, on poursuivra le travail sur l'histoire de la transmission de la littérature. Parce que les textes reçus comme littéraires ne traversent pas le temps du fait de leur force intrinsèque, la transmission implique toute une palette de pratiques, d’institutions et d’acteurs: l’histoire de la transmission de la littérature ne peut se réduire à une histoire de l'appréciation, du jugement, de la réception  des œuvres, ni même à l’étude des processus de classicisation ou de patrimonialisation. On s'intéresse ici aux aspects les plus implicites, les plus ordinaires, les plus quotidiens, les moins institutionnels de la transmission et on cherche à documenter des formes d'appropriation, de partage, de circulation hétérogènes, feuilletées, disséminées dans le monde social. On cherche ensuite à comprendre ce qui se joue du rapport au passé dans ces transmissions, en s’intéressant particulièrement aux conjonctures d’intensification de leurs enjeux politiques, ainsi qu'aux effets de modernité ou de désuétude. Par effet de retour, et parce qu’il s’agit toujours de faire de l’histoire avec la littérature, on réfléchit donc à ce que la transmission d’une littérature du passé fait apparaître des partages et des fractures socio-politiques d’un présent : en l’occurrence, aux enjeux socio-politiques de la transmission de la littérature du XIX^e siècle dans les décennies centrales du XX^e siècle, en particulier dans les années 1930, et dans une possible perspective transnationale (« 1830 en 1930 »).

D'une part, on engagera cette année une réflexion spécifique sur les « initiations » littéraires et leurs mises en récit et en circulation : sur les récits de passage, de premier contact avec ce qui fait littérature (premières expériences de lecture et d'écriture, découverte de l'archive ou de la trace, lieux investis par la littérature), et sur ce qui s'y noue de la sacralité (affirmée, manifestée, instituée, discutée, dénoncée) et de la matérialité de littérature.

Sur ces deux terrains – transmissions et initiations –, l'anthropologie historique s'articule à une histoire socio-politique.  Sur ces deux terrains, il sera aussi bien question de textes, de gestes, de pratiques de lecture et d'écriture, d’histoire et de critique littéraires, de collections et d’érudition, d’histoire de l’édition, de la bibliophilie, des archives littéraires, et de l’inscription de la littérature dans le monde matériel – dans des objets, des monuments, des paysages ; on cherche toujours à comprendre comment se construit, – et pour qui, et pour quoi faire –, ce rapport aux textes littéraires qu’on nomme « intimité », « familiarité » ou « connivence ».

On lancera parallèlement un atelier de recherche collective, avec celles et ceux qui le souhaitent et en dialogue avec d'autres collègues, autour de roman de Jean Malaquais, Les Javanais (Denoël, 1939, prix Renaudot), en croisant les formes possibles de contextualisation et de lecture de ce récit de l'émigration et du travail, à la fois francophone et polyglotte.