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UE411 - Le pragmatisme sociologique et les pouvoirs. Des controverses publiques aux relations d'emprise


Lieu et planning


  • Bâtiment EHESS-Condorcet
    EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
    Salle 25-A
    1er semestre / hebdomadaire, vendredi 10:30-12:30
    du 3 novembre 2023 au 16 février 2024
    Nombre de séances : 14


Description


Dernière modification : 5 mai 2023 16:30

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Sociologie
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Action publique Affects Argumentation Citoyenneté Corps Démocratie Domination Droit, normes et société Dynamiques sociales Émotions Énergie Environnement Études des sciences contemporaines Interactions Médecine Milieu Mobilisation(s) Mouvements sociaux Perception Politique Pollution Pragmatisme Pratiques Risques Santé Santé environnementale Savoirs Sciences Sociologie Temps/temporalité Violence
Aires culturelles
Europe
Intervenant·e·s
  • Francis Chateauraynaud [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, sociétés (CERMES3)

Poursuivant les enquêtes et les réflexions engagées en 2022-2023, le séminaire développera plusieurs dimensions fondamentales du pragmatisme sociologique : 1) les condtions de l'analyse sociologique des alertes et des controverses face à la complexité et la criticité des processus contemporains ; 2) les modalités de l'enquête ethnographique au cœur des milieux en interactions, lieux de saisie des affects et des percepts, des formes d'attention et des prises sur le monde ; 3) l’affinement des concepts et des méthodes visant la formation des asymétries de prises et des liens d'emprise dans les mondes sociaux les plus divers.

1) Après plusieurs décennies de sociologie des alertes et des controverses : l’épistémologie pragmatique face à la criticité des processus contemporains (séances 1 à 5)

Depuis plus de vingt ans la sociologie pragmatique des transformations, étudie les processus d’alertes et de controverses, à travers les formes de mobilisation et de régulation auxquelles ils donnent lieu. Les premières séances prendront appui sur la casuistique accumulée autour des enjeux sanitaires, environnementaux et technoscientiques (du nucléaire aux OGM, des pandémies aux pesticides, de la pollution de l'air au changement climatique, de la transition énergétique aux statuts controversés des artefacts numériques), tout en proposant un diagnostic sociopolitique de l’époque contemporaine marquée par des chocs et des crises aux multiples conséquences.

Comment des enquêtes d’inspiration pragmatiste peuvent-elles traiter des processus complexes, non-linéaires, multi-scalaires, riches en rebondissements et en rétroactions ? En pratiquant une forme de conséquentialisme ouvert, non-borné, on explorera des voix heuristiques pour relier l’enquête continue sur les processus critiques et la découverte graduelle de caractéristiques ignorées, invisibles ou incertaines. Il s'agit de rendre intelligibles les trajectoires suivies par les problèmes et les causes publiques et, dans le même mouvement, de penser les incommensurabilités ou les irréductibilités inhérentes aux jeux d’échelles. La convergence d’une sociologie pragmatique argumentative, d’une ethnographie des activités dans les milieux et d’une théorie ouverte des systèmes dynamiques, permet d’adapter les concepts et les outils issus du pragmatisme aux situations contemporaines et de réarmer les capacités critiques nécessaires à la pratique des sciences sociales.

2) Prises (hyper)sensibles : milieux en interaction, affects et percepts en transformation (séances 6 à 10)

L'expérience sensible est depuis longtemps au coeur des démarches pragmatistes. Loin de projeter l’ensemble des expériences dans un même un cadre rationaliste, la sociologie pragmatiste cherche à saisir au plus près les activités et les pratiques dans leurs milieux, à identifier les épreuves par lesquelles elles s'accordent ou entrent en conflit avec des normes et des dispositifs, et à rendre compte des tensions propres à l'expression du perceptible et de l'imperceptible, de la différence ou du différend, de l'émotion ou du (res)sentiment, de l'incommensurable ou de l'irréductible. Comment émergent les signes pertinents pour les personnes ou les groupes, et comment se forgent leur portée et leur sens ? Il faut parfois rappeler que c’est de l'attention aux micro-phénomènes dans le monde sensible qu'est né le concept de lanceur d'alerte - dans le mouvement-même de la sociologie de l'attention-vigilance et de la critique.

En réactualisant les travaux sur la perception publiés dans Experts et faussaires (1995, réédité en 2014), on montrera comment le partage des expériences change de sens selon les prises élaborées par les personnes et les groupes. Par contraste, en contrepoint des raisonnements sur la complexité développés dans la première partie du séminaire, on se placera au coeur de la fabrique des affects et des percepts, des attentions et des émotions, saisies dans leurs logique sociales, temporelles et spatiales propres. En entrant par les milieux en interaction, on évite de prétendre accéder sans médiation au monde vécu d'entités hétérogènes, humaines, artefactuelles ou non-humaines, tout en renouant avec les processus fondamentaux mis en évidence par Gilbert Simondon et compatibles avec le pragmatisme : individuation et transindividualité.

Liées à des engagements ethnographiques de longue durée, comme lors des terrains menés au Brésil, en Angleterre, dans l'estuaire de la Gironde ou plus récemment dans les zones forestières du Périgord, les enquêtes ou contre-enquêtes autour de sites et de zones sensibles, en milieux urbains, industriels ou ruraux, se tiennent à distance des grandes cartographies et des stratégies d’affectation à des catégories ou des variables généralement hors sol. La balistique des causes individuelles ou collectives qui traversent les arènes publiques engage souvent des opérateurs de mise en équivalence dont le premier effet est de tordre ou distordre l'expression des prises sensibles, poussant les protagonistes à ré-affirmer la singularité de formes de vie, dont le mode d'existence ne se réduit pas à l'opposition du local et du global.

3) Tyrannies, dominations, influences ou emprises : le pragmatisme et les pouvoirs dans un monde en réseaux (séances 11 à 14)

Les travaux sur les formes contemporaines de l'emprise ont beaucoup évolué ces dernières années. À partir du renouvellement de la figure de l'empreneur, ce troisième moment du séminaire cherchera à comprendre les processus par lesquels se tissent, s'étendent ou se perpétuent des relations de pouvoir, dont les ressorts multiples seront explorés, et démontés, à partir d'une vaste collection de cas cliniques – dont une partie seulement a donné lieu à des affaires publiques. Ce volet de l'enquête pragmatiste part du réexamen des théories du pouvoir et de la domination, en commençant par la servitude volontaire de La Boétie ou la thèse de Hannah Arendt sur la banalité du mal, pour aller jusqu'aux approches contemporaines, depuis les recherches marquantes de Jeanne Favret sur la sorcellerie dans le bocage jusqu'à l'anthropologie du silence développée par Deborah Puccio-Den, en passant par la sociologie de la domination de Pierre Bourdieu ou encore les travaux d'histoire contemporaine, comme ceux menés par Yves Cohen sur le commandement et l'influence. Ce fil de raisonnement et d'enquête permet d'examiner les modes de résistance et les techniques de défense opératoires en régime d'emprise. S'ouvre ici tout un espace de réflexion sur les relations dialectiques entre for interne et for externe, les formes d'emprise étant l'occasion de développer une pragmatique de l'intériorité, dont les ressorts pourraient bien se révéler vitaux face à la montée de nouvelles formes d'autoritarisme dotées de puissantes technologies de surveillance.


Master


  • Séminaires de recherche – Sociologie – M1/S1-M2/S3
    Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture

Renseignements


Contacts additionnels
-
Informations pratiques

inscription via la plateforme des séminaires ou par courriel.

Direction de travaux des étudiants

demi-journée avant ou après le séminaire (à définir selon choix final du planning...). Si l'horaire retenu est le vendredi matin, comme par le passé, alors les étudiant·e·s seront reçu·e·s les vendredis après-midis sur rendez-vous.

Réception des candidats

contact par courriel uniquement : chateau@ehess.fr

Pré-requis

connaissance basique de la littérature en sciences sociales contemporaines et/ou simple désir de mieux comprendre sociologiquement ce qui se trame dans ce monde.

Dernière modification : 5 mai 2023 16:30

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Sociologie
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Action publique Affects Argumentation Citoyenneté Corps Démocratie Domination Droit, normes et société Dynamiques sociales Émotions Énergie Environnement Études des sciences contemporaines Interactions Médecine Milieu Mobilisation(s) Mouvements sociaux Perception Politique Pollution Pragmatisme Pratiques Risques Santé Santé environnementale Savoirs Sciences Sociologie Temps/temporalité Violence
Aires culturelles
Europe
Intervenant·e·s
  • Francis Chateauraynaud [référent·e]   directeur d'études, EHESS / Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, sociétés (CERMES3)

Poursuivant les enquêtes et les réflexions engagées en 2022-2023, le séminaire développera plusieurs dimensions fondamentales du pragmatisme sociologique : 1) les condtions de l'analyse sociologique des alertes et des controverses face à la complexité et la criticité des processus contemporains ; 2) les modalités de l'enquête ethnographique au cœur des milieux en interactions, lieux de saisie des affects et des percepts, des formes d'attention et des prises sur le monde ; 3) l’affinement des concepts et des méthodes visant la formation des asymétries de prises et des liens d'emprise dans les mondes sociaux les plus divers.

1) Après plusieurs décennies de sociologie des alertes et des controverses : l’épistémologie pragmatique face à la criticité des processus contemporains (séances 1 à 5)

Depuis plus de vingt ans la sociologie pragmatique des transformations, étudie les processus d’alertes et de controverses, à travers les formes de mobilisation et de régulation auxquelles ils donnent lieu. Les premières séances prendront appui sur la casuistique accumulée autour des enjeux sanitaires, environnementaux et technoscientiques (du nucléaire aux OGM, des pandémies aux pesticides, de la pollution de l'air au changement climatique, de la transition énergétique aux statuts controversés des artefacts numériques), tout en proposant un diagnostic sociopolitique de l’époque contemporaine marquée par des chocs et des crises aux multiples conséquences.

Comment des enquêtes d’inspiration pragmatiste peuvent-elles traiter des processus complexes, non-linéaires, multi-scalaires, riches en rebondissements et en rétroactions ? En pratiquant une forme de conséquentialisme ouvert, non-borné, on explorera des voix heuristiques pour relier l’enquête continue sur les processus critiques et la découverte graduelle de caractéristiques ignorées, invisibles ou incertaines. Il s'agit de rendre intelligibles les trajectoires suivies par les problèmes et les causes publiques et, dans le même mouvement, de penser les incommensurabilités ou les irréductibilités inhérentes aux jeux d’échelles. La convergence d’une sociologie pragmatique argumentative, d’une ethnographie des activités dans les milieux et d’une théorie ouverte des systèmes dynamiques, permet d’adapter les concepts et les outils issus du pragmatisme aux situations contemporaines et de réarmer les capacités critiques nécessaires à la pratique des sciences sociales.

2) Prises (hyper)sensibles : milieux en interaction, affects et percepts en transformation (séances 6 à 10)

L'expérience sensible est depuis longtemps au coeur des démarches pragmatistes. Loin de projeter l’ensemble des expériences dans un même un cadre rationaliste, la sociologie pragmatiste cherche à saisir au plus près les activités et les pratiques dans leurs milieux, à identifier les épreuves par lesquelles elles s'accordent ou entrent en conflit avec des normes et des dispositifs, et à rendre compte des tensions propres à l'expression du perceptible et de l'imperceptible, de la différence ou du différend, de l'émotion ou du (res)sentiment, de l'incommensurable ou de l'irréductible. Comment émergent les signes pertinents pour les personnes ou les groupes, et comment se forgent leur portée et leur sens ? Il faut parfois rappeler que c’est de l'attention aux micro-phénomènes dans le monde sensible qu'est né le concept de lanceur d'alerte - dans le mouvement-même de la sociologie de l'attention-vigilance et de la critique.

En réactualisant les travaux sur la perception publiés dans Experts et faussaires (1995, réédité en 2014), on montrera comment le partage des expériences change de sens selon les prises élaborées par les personnes et les groupes. Par contraste, en contrepoint des raisonnements sur la complexité développés dans la première partie du séminaire, on se placera au coeur de la fabrique des affects et des percepts, des attentions et des émotions, saisies dans leurs logique sociales, temporelles et spatiales propres. En entrant par les milieux en interaction, on évite de prétendre accéder sans médiation au monde vécu d'entités hétérogènes, humaines, artefactuelles ou non-humaines, tout en renouant avec les processus fondamentaux mis en évidence par Gilbert Simondon et compatibles avec le pragmatisme : individuation et transindividualité.

Liées à des engagements ethnographiques de longue durée, comme lors des terrains menés au Brésil, en Angleterre, dans l'estuaire de la Gironde ou plus récemment dans les zones forestières du Périgord, les enquêtes ou contre-enquêtes autour de sites et de zones sensibles, en milieux urbains, industriels ou ruraux, se tiennent à distance des grandes cartographies et des stratégies d’affectation à des catégories ou des variables généralement hors sol. La balistique des causes individuelles ou collectives qui traversent les arènes publiques engage souvent des opérateurs de mise en équivalence dont le premier effet est de tordre ou distordre l'expression des prises sensibles, poussant les protagonistes à ré-affirmer la singularité de formes de vie, dont le mode d'existence ne se réduit pas à l'opposition du local et du global.

3) Tyrannies, dominations, influences ou emprises : le pragmatisme et les pouvoirs dans un monde en réseaux (séances 11 à 14)

Les travaux sur les formes contemporaines de l'emprise ont beaucoup évolué ces dernières années. À partir du renouvellement de la figure de l'empreneur, ce troisième moment du séminaire cherchera à comprendre les processus par lesquels se tissent, s'étendent ou se perpétuent des relations de pouvoir, dont les ressorts multiples seront explorés, et démontés, à partir d'une vaste collection de cas cliniques – dont une partie seulement a donné lieu à des affaires publiques. Ce volet de l'enquête pragmatiste part du réexamen des théories du pouvoir et de la domination, en commençant par la servitude volontaire de La Boétie ou la thèse de Hannah Arendt sur la banalité du mal, pour aller jusqu'aux approches contemporaines, depuis les recherches marquantes de Jeanne Favret sur la sorcellerie dans le bocage jusqu'à l'anthropologie du silence développée par Deborah Puccio-Den, en passant par la sociologie de la domination de Pierre Bourdieu ou encore les travaux d'histoire contemporaine, comme ceux menés par Yves Cohen sur le commandement et l'influence. Ce fil de raisonnement et d'enquête permet d'examiner les modes de résistance et les techniques de défense opératoires en régime d'emprise. S'ouvre ici tout un espace de réflexion sur les relations dialectiques entre for interne et for externe, les formes d'emprise étant l'occasion de développer une pragmatique de l'intériorité, dont les ressorts pourraient bien se révéler vitaux face à la montée de nouvelles formes d'autoritarisme dotées de puissantes technologies de surveillance.

  • Séminaires de recherche – Sociologie – M1/S1-M2/S3
    Suivi et validation – semestriel hebdomadaire = 6 ECTS
    MCC – fiche de lecture
Contacts additionnels
-
Informations pratiques

inscription via la plateforme des séminaires ou par courriel.

Direction de travaux des étudiants

demi-journée avant ou après le séminaire (à définir selon choix final du planning...). Si l'horaire retenu est le vendredi matin, comme par le passé, alors les étudiant·e·s seront reçu·e·s les vendredis après-midis sur rendez-vous.

Réception des candidats

contact par courriel uniquement : chateau@ehess.fr

Pré-requis

connaissance basique de la littérature en sciences sociales contemporaines et/ou simple désir de mieux comprendre sociologiquement ce qui se trame dans ce monde.

  • Bâtiment EHESS-Condorcet
    EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers
    Salle 25-A
    1er semestre / hebdomadaire, vendredi 10:30-12:30
    du 3 novembre 2023 au 16 février 2024
    Nombre de séances : 14

Compte-rendu du séminaire Le pragmatisme sociologique et les pouvoirs 2023-2024

Francis Chateauraynaud, Directeur d’études, CERMES3, EHESS

Le séminaire s’est déroulé en 14 séances de novembre 2023 à février 2024. Douze séances ont concerné le redéploiement du pragmatisme sociologique, dont le programme a connu de multiples inflexions depuis les années 2010. Si la participation d’interlocuteurs de longue date aux séminaires favorise l’expérimentation de nouvelles questions et pistes de recherche, le choix a été fait, pour l’année 2023-2024, de privilégier l’explicitation pas à pas des concepts, méthodes et terrains accumulés depuis une quinzaine d’années. Une pause s'imposait dans le renouvellement continu des problématiques, des lectures et des hypothèses de travail afin de rendre intelligible au public d’étudiant-e-s la trajectoire suivie, tant au plan épistémique qu'axiologique. C’est pourquoi l’organisateur du séminaire a assuré 12 séances, menant des préalables épistémologiques concernant les rapports entre sociologie et pragmatisme jusqu'aux derniers développements de la sociologie de l’emprise. Une séance a été consacrée aux enquêtes menées avec Mathieu Noël, médecin et chercheur associé (au GSPR puis au CERMES3) et une autre aux travaux de Fabien Milanovic, engagé dans la rédaction de ses mémoires d’HDR.

Après une introduction générale partant du croisement des textes fondateurs du pragmatisme et des différentes sociologies pragmatiques, deux séances sont revenues sur les concepts utilisés par la sociologie des alertes et des controverses, depuis la « sociologie argumentative » du début des années 2000 jusqu’à la « pragmatique de la complexité » des dernières années, en passant par la « balistique sociologique » (2011). Trois séances ont ensuite montré l'application de différentes dimensions théoriques (perceptions dans le monde sensible, épreuves de tangibilité, milieux en interaction, criticité, changements d’échelle et bifurcations, visions du futur etc) sur plusieurs dossiers et terrains - le cas du nucléaire, celui des pesticides, les ruptures de barrage au Brésil et, à partir d’enquêtes en cours, les conflits autour d'enjeux forestiers en Périgord. A l’issue de ce parcours, la notion d’hypercriticité a été proposée pour penser l’enchevêtrement de processus critiques sur lesquels aucun acteur n’a de prise et qui sont générateurs de fortes incertitudes quant aux ruptures ou transformations à venir. La multiplication des conflits, des catastrophes et des crises, dont les guerres, appelle une inflexion supplémentaire du programme de sociologie pragmatique des transformations. Deux séances ont conclu l’explicitation des modes de raisonnement et d’enquête en revenant sur une problématique majeure du pragmatisme depuis Peirce : l’interprétation des signes. Comment saisir, décrire et analyser les formes d’interprétation des signes précurseurs, des signes équivoques ou contradictoires ? C'était l'occasion de revenir sur la notion de prise conçue pour penser les rapports entre perception et jugement (voir Experts et faussaires, 1995/2014).

Le séminaire a repris en janvier 2024 avec une séance dédiée à la présentation, en duo avec Mathieu Noël, d’une recherche en cours, et au long cours, sur les évolutions de la clinique médicale saisie au plus près des pratiques et des interactions soignants/soignés. Intitulée « La relation médicale comme processus d’enquête » la présentation a exploré la question des prises sensibles et celle de l‘interprétation des signes en situation d’incertitude. Une sociologie de l’expérience médicale peut aussi examiner différentes échelles, du fait de l’enchevêtrement de tensions cognitives et normatives – dont les moindres ne furent pas celles associées à la pandémie de Covid-19 dont les conséquences, et la clôture même, sont encore incertaines.

Quatre séances ont porté sur la sociologie de l’emprise. Sous le titre « De l’empreneur au désempreneur », on a revisité et complété les arguments théoriques et la casuistique d'un ouvrage en préparation, que le séminaire a permis de finaliser. L’enjeu est d’enrichir les conceptions du pouvoir et de la domination les plus routinisées en sociologie, en opérant un déplacement vers la fabrique des liens d’emprise. Comment intégrer dans le pragmatisme les dimensions agonistiques et machiavéliques de l’action ? En concevant une « agentivité shakespearienne », on peut suivre les acteurs dans des configurations critiques bien plus troublantes que celles de la logique d'enquête inspirée de John Dewey.

Au cours de la dernière séance, rebondissant sur l'agentivité, Fabien Milanovic, enseignant-chercheur à SupBiotech, a présenté ses travaux sous le titre « Bricoler le vivant. Ontologies, agentivité et travail politique dans les innovations biotechnologiques »


 

Publications

Publications et communications marquantes

Francis Chateauraynaud, « Des opérations critiques à la criticité des processus. Le pragmatisme sociologique face aux crises contemporaines », Colloque Les scènes de la dénonciation publique. Médias, langages et sociétés, Paris, Université Paris Panthéon Assas & Université de Lausanne, 20 mars 2024.

Francis Chateauraynaud, « Luttes écologiques et logiques d'emprise. La rébellion des milieux fait-elle bouger le monde des organisations ? », Colloque Les Temps de l’urgence écologique – actions institutionnelles et résistance(s) citoyenne(s), MRSH, Caen, 8 avril 2024.

Francis Chateauraynaud, « Logiques d'enquête et figures de la preuve dans le pragmatisme sociologique. Par-delà rationalisme, relativisme et 'post-vérité' », Espace des sciences sociales, Université de Toulouse – Jean Jaurès, 29 avril 2024.

Francis Chateauraynaud, « De l’empreneur au désempreneur, une sociologie de l’emprise », Journée de la Société de Psychiatrie de l’Est, « L’emprise », Nancy, 24 mai 2024.

Francis Chateauraynaud, « La sociologie, le pragmatisme et la contre-intelligence artificielle. Un regard critique sur les enjeux numériques après le tournant des IA génératives », Entretien pour la revue Horizon, mai-septembre 2024.

Francis Chateauraynaud et Jérôme Lamy, « Les algorithmes et leurs écologies. Une sociologie du numérique attentive aux dispositifs matériels dont dépendent les boucles computationnelles », Sociologie, 2024 (article à paraître)

Francis Chateauraynaud, L’empreneur et son double. Pragmatique du pouvoir et sociologie de l’emprise (500 p.), Manuscrit soumis aux Editions du Croquant, à paraître début 2025.