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UE1055 - Géométries et phénoménologies du vivant : les relations plastiques et complexes entre épigénétique, morphogenèse et évolution


Lieu et planning


  • 105 bd Raspail
    105 bd Raspail 75006 Paris
    Salle 6
    2nd semestre / hebdomadaire, mercredi 17:00-19:00
    du 3 février 2021 au 5 mai 2021


Description


Dernière modification : 16 juin 2020 10:42

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Méthodes et techniques des sciences sociales
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Biologie et société Épistémologie Mathématiques et sciences sociales
Aires culturelles
Europe
Intervenant·e·s
  • Luciano Boi [référent·e]   maître de conférences, EHESS / Centre d'analyse et de mathématique sociales (CAMS)

En continuité avec le séminaire des années passées consacré à la « révolution » de l'épigénétique dans les sciences du vivant, le séminaire de cette année veut mettre en évidence les limites des diverses tentatives récentes pour mathématiser le vivant, que ce soit les phénomènes biologiques ou les processus neurocognitifs. Ces tentatives ont en commun de présupposer que les propriétés des systèmes vivants soient réductibles à celles qui caractérisent les phénomènes physiques. Ce qui a conduit beaucoup de scientifiques et aussi de philosophes à appliquer certaines méthodes mathématiques (en particulier de type analytique et statistique) et certains modèles physiques (de type atomique et énergétique) pour expliquer les propriétés fondamentales qui sous-tendent l’organisation des structures moléculaires et le fonctionnement des organismes vivants. Un tel réductionnisme méconnaît la spécificité et la singularité des systèmes vivants, notamment leur extrême plasticité et complexité. Les formes et les structures des organismes vivants se modifient et se remodèlent sans cesse suivant les contextes cellulaire, organismique et écosystémique spécifiques, essentiels pour l’acquisition de nouvelles fonctionnalités et l’émergence de nouveaux comportements, sans qu’on puisse leur assigner de principe unique ou de cause générale. Le séminaire entend proposer une réflexion sur quelques thèmes importants au croisement des sciences biologiques, des mathématiques et de la philosophie. Il cherchera à présenter quelques développements théoriques et expérimentaux récents et à débattre sur leur importance pour renouveler nos conceptions scientifiques et philosophiques concernant le vivant et ses différentes dimensions : tels que la multiplicité des niveaux d’organisation et de régulation, possédant chacun des propriétés spécifiques émergentes par rapport aux niveaux inférieurs; les comportements nouveaux à chaque fois qu’interviennent des changements significatifs dans la forme, au niveau par ex. des tissus et des organes lors de l’embryogenèse, ou que se mettent en place des fonctions de plus en plus complexes liées aux systèmes physiologiques et au métabolisme global de l’organisme.

Le programme détaillé n'est pas disponible.


Master


Cette UE n'est rattachée à aucune formation de master.


Renseignements


Contacts additionnels
lboi@ehess.fr
Informations pratiques

contacter Luciano Boi par courriel.

Direction de travaux des étudiants

sur rendez-vous à prendre avec Luciano Boi par courriel.

Réception des candidats

sur rendez-vous par courriel.

Pré-requis
-

Compte rendu


Le séminaire visait à mettre en évidence les limites des tentatives récentes de mathématisation du vivant (phénomènes biologiques ou processus neurocognitifs). Ces tentatives ont en commun de présupposer que les propriétés des systèmes vivants sont réductibles à celles qui caractérisent les phénomènes physiques. De nombreux scientifiques mais aussi des philosophes ont été amenés à appliquer certaines méthodes mathématiques (notamment de type analytique et statistique) et certains modèles physiques (atomiques et énergétiques) pour expliquer les propriétés fondamentales qui sous-tendent l’organisation des structures moléculaires et le fonctionnement des organismes vivants. Un tel réductionnisme méconnaît la spécificité et la singularité des systèmes vivants, leur extrême plasticité et leur complexité. Les formes et les structures des organismes vivants se modifient et se remodèlent constamment en fonction du contexte cellulaire et organisationnel spécifique, indispensable à l’acquisition de nouvelles fonctionnalités et à l’émergence de nouveaux comportements, sans que l’on puisse leur attribuer un principe unique ou une cause générale. Le but du séminaire a été de réfléchir sur quelques thèmes importants au carrefour des sciences biologiques, des mathématiques et de la philosophie et de présenter quelques développements théoriques et expérimentaux récents en montrant leur importance pour renouveler nos conceptions scientifiques et philosophiques concernant le vivant et ses différentes dimensions. L’une de ces dimensions est constituée par la multiplicité des niveaux d’organisation et de régulation, chacun ayant des propriétés spécifiques émergentes par rapport aux niveaux inférieurs, ce qui signifie que de nouveaux comportements émergent à chaque fois que des changements significatifs de forme se produisent, par exemple au niveau des tissus et des organes pendant l’embryogenèse, ou que des fonctions de plus en plus complexes liées aux systèmes physiologiques et au métabolisme global du corps se mettent en place.

Les sciences du vivant sont de nos jours confrontées à des changements conceptuels inédits, en particulier à la transition d’une conception « gène-centrée » à une vision plus ouverte à prendre en compte les modifications épigénétiques et l’influence importante des milieux naturels (écosystèmes, micro-environnements, biodiversité, etc.) aussi bien sur les phénotypes que sur les génotypes. Il est devenu impérieux de développer une démarche théorique et empirique qui aille au-delà de l’approche centrée de manière exclusive sur le génome, et dominée par les métaphores réductionnistes du “code génétique” et du “programme génétique”. Cette nouvelle vision, pour être effective, doit s’allier à une pratique scientifique et à une philosophie de la vie profondément différentes par rapport à celle qui sous-tend la conception moléculaire de la biologie de la seconde moitié du XXe siècle. Nous vivons désormais dans une ère où les principaux enjeux scientifiques et sociétaux ne concernent plus le génome et ses bases moléculaires isolées du reste, mais bien davantage, eu sens large, les interactions complexes et variables entre les organismes biologiques complexes, les environnements naturels et les milieux humains. On admet à présent qu’il n’existe plus de barrière imperméable entre eux, et que, de plus, leurs relations doivent être repensées à partir d’un système multicausal d’actions et rétroactions non mécaniques et non linéaires et dont les effets exercent une influence sur les diverses échelles et les différents niveaux d’organisation et de régulation des systèmes vivants à la fois. Dans une approche post-génomique, épigénomique et intégrative des sciences biologiques (de la biologie moléculaire à celle cellulaire, de la physiologie des organismes à l’écologie), l’importance de l’interface entre organisation des types cellulaires, processus épigénétiques et facteurs environnementaux est très probablement l’un des enjeux majeurs des recherches actuelles dans les sciences du vivant et de l’homme, et ses effets sur la société et la santé peuvent être considérables. Cette inséparabilité entre l’échelle des micro-environnements biochimiques et celle des milieux naturels et culturels plus larges, ainsi qu’entre les niveaux d’organisation moléculaire, cellulaire et écosystémique, est au cœur du métabolisme et du fonctionnement global des organismes. En effet, au vu de la mise en place de leurs structures et fonctions, les génomes des organismes multicellulaires apparaissent comme des systèmes hautement complexes, dont la régulation se fait à au moins cinq niveaux organisés en réseaux de causalité multi-boucle, qui sont : 1) le génome lui-même ; 2) les complexes ADN-protéines formant la chromatine avec toutes les modifications structurales dont celle-ci est susceptible, modifications qui dans certains cas peuvent avoir une influence fondamentale sur l’activité cellulaire ; 3) la dynamique et l’organisation de l’espace morphofonctionnel du chromosome dans le noyau de la cellule ; 4) le contexte de l’activité et communication cellulaires ; 5) les interactions entre les processus morphogénétiques (responsables de l’ontogenèse) et les environnements co-évolutifs (qui prennent part à la phylogenèse). Parmi les processus morphogénétiques, il faut notamment prendre en compte le développement embryonnaire (tissus et organes) et la formation des morphologies globales des organismes dont la fonctionnalité dépend de systèmes physiologiques spécifiques. Et parmi les environnements co-évolutifs, il convient de considérer surtout les styles de vie (de la qualité de l’alimentation à l’activité sensori-motrice), les divers stress physiques et psychiques liés notamment à l’organisation du travail et des milieux naturels et anthropiques, les taux de pollution de l’air, des eaux et de la chaîne alimentaire, ainsi que l’état de dégradation de la biodiversité, et leurs possibles conséquences sur le métabolisme général et le fonctionnement physiologique des êtres vivants. Il est clair actuellement qu’une partie importante des maladies multifactorielles (non génétiques et multigéniques), comme certains types de diabètes et de tumeurs, ainsi que certaines maladies neurodégénératives (Alzheimer et Parkinson), sont directement liées à des facteurs épigénétiques et environnementaux complexes. C’est pourquoi aujourd’hui il est fondamental d’approfondir l’étude de l’interface entre ces divers milieux et facteurs, en développant une approche multi-échelle et intégrative.

L’approche des systèmes complexes dans l’étude du vivant. La théorie des systèmes complexe peut contribuer à éclairer plusieurs aspects fondamentaux du monde vivant. Elle est d’abord associée à un changement important de paradigme. La science qui a cherché des siècles durant à décomposer le monde en partie de plus en plus simple (l’atomisme en physique, plus tard la génétique en biologie), commence à accepter le fait que la compréhension des parties peut être, dans bon nombre de situations, une chose bien différente de la compréhension du tout. En effet un système complexe, et un organisme vivant est un système complexe par excellence, n’est jamais une simple juxtaposition de parties simples, mais il est organisé par ses relations réciproques, qui en interagissant de plusieurs manières peuvent donner lieu à des propriétés nouvelles, émergentes et systémiques, irréductibles aux propriétés de ses composants. En fait le tout, non seulement peut être fondamentalement différent de ses parties, mais en plus il peut en déterminer le comportement en rétroagissant sur chacun d’entre eux et sur l’ensemble. Cela s’avère être particulièrement vrai pour les systèmes vivants. Pour comprendre les propriétés émergentes et collectives, qui se forment à partir d’un très grand nombre d’éléments (molécules, cellules) qui se mettent à interagir de manière coopérative, de manière à la fois aléatoire et ordonnée, il faut étudier les interactions et rétroactions, et c’est ainsi que l’on peut arriver à mettre en évidence des propriétés systémiques, propre au tout et non pas aux parties, d’un quelconque phénomène biologique. À cela s’ajoute une autre caractéristique fondamentale des systèmes complexes, que l’on observe tout particulièrement chez les systèmes vivants, à savoir que les propriétés systémiques émergentes sont à même de reconfigurer complètement, aussi bien d’un point de vue morphologique que fonctionnel, les éléments particuliers. Or, l’étude de ces propriétés peut se révéler décisive pour comprendre leur fonctionnement multi-échelle, ainsi que les propriétés spécifiques que présente chacun de ses niveaux d’organisation. La théorie des systèmes complexe a aussi comme but d’étudier ces phénomènes biologique et comportements humains qui ne sont pas (ou pas complètement) prédéterminés et partant difficilement prédictibles, notamment parce qu’ils sont essentiellement contingents et évolutifs (sujets donc à varier). La grande variabilité, l’irrégularité et la versatilité sont parmi les propriétés les plus significatives des systèmes biologiques, que la théorie des systèmes complexes peut contribuer à mettre à évidence. Il est important de souligner que ces propriétés concernent surtout les interactions entre des composants et qu’elles se manifestent à plusieurs échelles et à différents niveaux d’organisation du monde biologique. Par exemple, de celui supramoléculaire avec les réseaux fonctionnels de protéines à celui physiologique avec les interactions cellulaires responsables de la croissance mais aussi de la maladie, à celui neurocognitif avec les réseaux de neurones contextuellement variables, à celui social avec les organisations des communautés humaines, et encore à celui des écosystèmes où notre espèce se constitue sous la forme d’un nœud d’interconnexions complexes. L’approche des systèmes complexes offre plusieurs clés de lecture commune aux phénomènes naturels biologiques et humains, et en même temps elle permet de mettre en évidence l’importance de prendre en compte les différents processus de discontinuité qualitative et de singularisation qui ont marqué le développement et l’évolution des organismes vivants complexes. La théorie des systèmes complexes peut également aider à surmonter certains clivages épistémologiques qui se sont figés au fil des siècles entre sciences de la nature, de la vie et de l’homme.

Publications
  • Avec U. Curi, L. Maffei et L. Miraglia, In Difesa dell’Umano – Problemi e Prospettive, Frascati/Napoli, Edizioni Accademia Vivarium Novum, coll. “Patmos”, 2021.
  • « A Reappraisal of the form-function problem. Theory and phenomenology », Theory in Biosciences, 140, 2021, p. 39-68.
  • « A topological and dynamical approach to the study of complex living systems », dans Recent Developments in Complexity, From Mathematics to the Social Sciences, sous la dir. de S. Albeverio et S. Ugolini, Heidelberg/Berlin, Springer, 2021.
  • « Plasticité topologique et morphologies fonctionnelles du vivant : quelques remarques », dans Biomorphisme – Approches sensibles et conceptuelles des formes vivantes, sous la dir. de J. Arnaud et B. Julien, 2021.
  • « Imagination de la nature et complexité des formes végétales », dans L’intelligence des plantes en question, sous la dir. de M.-W. Debono, Paris, Hermann, 2020, p. 33-64.

Dernière modification : 16 juin 2020 10:42

Type d'UE
Séminaires DE/MC
Disciplines
Méthodes et techniques des sciences sociales
Page web
-
Langues
français
Mots-clés
Biologie et société Épistémologie Mathématiques et sciences sociales
Aires culturelles
Europe
Intervenant·e·s
  • Luciano Boi [référent·e]   maître de conférences, EHESS / Centre d'analyse et de mathématique sociales (CAMS)

En continuité avec le séminaire des années passées consacré à la « révolution » de l'épigénétique dans les sciences du vivant, le séminaire de cette année veut mettre en évidence les limites des diverses tentatives récentes pour mathématiser le vivant, que ce soit les phénomènes biologiques ou les processus neurocognitifs. Ces tentatives ont en commun de présupposer que les propriétés des systèmes vivants soient réductibles à celles qui caractérisent les phénomènes physiques. Ce qui a conduit beaucoup de scientifiques et aussi de philosophes à appliquer certaines méthodes mathématiques (en particulier de type analytique et statistique) et certains modèles physiques (de type atomique et énergétique) pour expliquer les propriétés fondamentales qui sous-tendent l’organisation des structures moléculaires et le fonctionnement des organismes vivants. Un tel réductionnisme méconnaît la spécificité et la singularité des systèmes vivants, notamment leur extrême plasticité et complexité. Les formes et les structures des organismes vivants se modifient et se remodèlent sans cesse suivant les contextes cellulaire, organismique et écosystémique spécifiques, essentiels pour l’acquisition de nouvelles fonctionnalités et l’émergence de nouveaux comportements, sans qu’on puisse leur assigner de principe unique ou de cause générale. Le séminaire entend proposer une réflexion sur quelques thèmes importants au croisement des sciences biologiques, des mathématiques et de la philosophie. Il cherchera à présenter quelques développements théoriques et expérimentaux récents et à débattre sur leur importance pour renouveler nos conceptions scientifiques et philosophiques concernant le vivant et ses différentes dimensions : tels que la multiplicité des niveaux d’organisation et de régulation, possédant chacun des propriétés spécifiques émergentes par rapport aux niveaux inférieurs; les comportements nouveaux à chaque fois qu’interviennent des changements significatifs dans la forme, au niveau par ex. des tissus et des organes lors de l’embryogenèse, ou que se mettent en place des fonctions de plus en plus complexes liées aux systèmes physiologiques et au métabolisme global de l’organisme.

Le programme détaillé n'est pas disponible.

Cette UE n'est rattachée à aucune formation de master.

Contacts additionnels
lboi@ehess.fr
Informations pratiques

contacter Luciano Boi par courriel.

Direction de travaux des étudiants

sur rendez-vous à prendre avec Luciano Boi par courriel.

Réception des candidats

sur rendez-vous par courriel.

Pré-requis
-
  • 105 bd Raspail
    105 bd Raspail 75006 Paris
    Salle 6
    2nd semestre / hebdomadaire, mercredi 17:00-19:00
    du 3 février 2021 au 5 mai 2021

Le séminaire visait à mettre en évidence les limites des tentatives récentes de mathématisation du vivant (phénomènes biologiques ou processus neurocognitifs). Ces tentatives ont en commun de présupposer que les propriétés des systèmes vivants sont réductibles à celles qui caractérisent les phénomènes physiques. De nombreux scientifiques mais aussi des philosophes ont été amenés à appliquer certaines méthodes mathématiques (notamment de type analytique et statistique) et certains modèles physiques (atomiques et énergétiques) pour expliquer les propriétés fondamentales qui sous-tendent l’organisation des structures moléculaires et le fonctionnement des organismes vivants. Un tel réductionnisme méconnaît la spécificité et la singularité des systèmes vivants, leur extrême plasticité et leur complexité. Les formes et les structures des organismes vivants se modifient et se remodèlent constamment en fonction du contexte cellulaire et organisationnel spécifique, indispensable à l’acquisition de nouvelles fonctionnalités et à l’émergence de nouveaux comportements, sans que l’on puisse leur attribuer un principe unique ou une cause générale. Le but du séminaire a été de réfléchir sur quelques thèmes importants au carrefour des sciences biologiques, des mathématiques et de la philosophie et de présenter quelques développements théoriques et expérimentaux récents en montrant leur importance pour renouveler nos conceptions scientifiques et philosophiques concernant le vivant et ses différentes dimensions. L’une de ces dimensions est constituée par la multiplicité des niveaux d’organisation et de régulation, chacun ayant des propriétés spécifiques émergentes par rapport aux niveaux inférieurs, ce qui signifie que de nouveaux comportements émergent à chaque fois que des changements significatifs de forme se produisent, par exemple au niveau des tissus et des organes pendant l’embryogenèse, ou que des fonctions de plus en plus complexes liées aux systèmes physiologiques et au métabolisme global du corps se mettent en place.

Les sciences du vivant sont de nos jours confrontées à des changements conceptuels inédits, en particulier à la transition d’une conception « gène-centrée » à une vision plus ouverte à prendre en compte les modifications épigénétiques et l’influence importante des milieux naturels (écosystèmes, micro-environnements, biodiversité, etc.) aussi bien sur les phénotypes que sur les génotypes. Il est devenu impérieux de développer une démarche théorique et empirique qui aille au-delà de l’approche centrée de manière exclusive sur le génome, et dominée par les métaphores réductionnistes du “code génétique” et du “programme génétique”. Cette nouvelle vision, pour être effective, doit s’allier à une pratique scientifique et à une philosophie de la vie profondément différentes par rapport à celle qui sous-tend la conception moléculaire de la biologie de la seconde moitié du XXe siècle. Nous vivons désormais dans une ère où les principaux enjeux scientifiques et sociétaux ne concernent plus le génome et ses bases moléculaires isolées du reste, mais bien davantage, eu sens large, les interactions complexes et variables entre les organismes biologiques complexes, les environnements naturels et les milieux humains. On admet à présent qu’il n’existe plus de barrière imperméable entre eux, et que, de plus, leurs relations doivent être repensées à partir d’un système multicausal d’actions et rétroactions non mécaniques et non linéaires et dont les effets exercent une influence sur les diverses échelles et les différents niveaux d’organisation et de régulation des systèmes vivants à la fois. Dans une approche post-génomique, épigénomique et intégrative des sciences biologiques (de la biologie moléculaire à celle cellulaire, de la physiologie des organismes à l’écologie), l’importance de l’interface entre organisation des types cellulaires, processus épigénétiques et facteurs environnementaux est très probablement l’un des enjeux majeurs des recherches actuelles dans les sciences du vivant et de l’homme, et ses effets sur la société et la santé peuvent être considérables. Cette inséparabilité entre l’échelle des micro-environnements biochimiques et celle des milieux naturels et culturels plus larges, ainsi qu’entre les niveaux d’organisation moléculaire, cellulaire et écosystémique, est au cœur du métabolisme et du fonctionnement global des organismes. En effet, au vu de la mise en place de leurs structures et fonctions, les génomes des organismes multicellulaires apparaissent comme des systèmes hautement complexes, dont la régulation se fait à au moins cinq niveaux organisés en réseaux de causalité multi-boucle, qui sont : 1) le génome lui-même ; 2) les complexes ADN-protéines formant la chromatine avec toutes les modifications structurales dont celle-ci est susceptible, modifications qui dans certains cas peuvent avoir une influence fondamentale sur l’activité cellulaire ; 3) la dynamique et l’organisation de l’espace morphofonctionnel du chromosome dans le noyau de la cellule ; 4) le contexte de l’activité et communication cellulaires ; 5) les interactions entre les processus morphogénétiques (responsables de l’ontogenèse) et les environnements co-évolutifs (qui prennent part à la phylogenèse). Parmi les processus morphogénétiques, il faut notamment prendre en compte le développement embryonnaire (tissus et organes) et la formation des morphologies globales des organismes dont la fonctionnalité dépend de systèmes physiologiques spécifiques. Et parmi les environnements co-évolutifs, il convient de considérer surtout les styles de vie (de la qualité de l’alimentation à l’activité sensori-motrice), les divers stress physiques et psychiques liés notamment à l’organisation du travail et des milieux naturels et anthropiques, les taux de pollution de l’air, des eaux et de la chaîne alimentaire, ainsi que l’état de dégradation de la biodiversité, et leurs possibles conséquences sur le métabolisme général et le fonctionnement physiologique des êtres vivants. Il est clair actuellement qu’une partie importante des maladies multifactorielles (non génétiques et multigéniques), comme certains types de diabètes et de tumeurs, ainsi que certaines maladies neurodégénératives (Alzheimer et Parkinson), sont directement liées à des facteurs épigénétiques et environnementaux complexes. C’est pourquoi aujourd’hui il est fondamental d’approfondir l’étude de l’interface entre ces divers milieux et facteurs, en développant une approche multi-échelle et intégrative.

L’approche des systèmes complexes dans l’étude du vivant. La théorie des systèmes complexe peut contribuer à éclairer plusieurs aspects fondamentaux du monde vivant. Elle est d’abord associée à un changement important de paradigme. La science qui a cherché des siècles durant à décomposer le monde en partie de plus en plus simple (l’atomisme en physique, plus tard la génétique en biologie), commence à accepter le fait que la compréhension des parties peut être, dans bon nombre de situations, une chose bien différente de la compréhension du tout. En effet un système complexe, et un organisme vivant est un système complexe par excellence, n’est jamais une simple juxtaposition de parties simples, mais il est organisé par ses relations réciproques, qui en interagissant de plusieurs manières peuvent donner lieu à des propriétés nouvelles, émergentes et systémiques, irréductibles aux propriétés de ses composants. En fait le tout, non seulement peut être fondamentalement différent de ses parties, mais en plus il peut en déterminer le comportement en rétroagissant sur chacun d’entre eux et sur l’ensemble. Cela s’avère être particulièrement vrai pour les systèmes vivants. Pour comprendre les propriétés émergentes et collectives, qui se forment à partir d’un très grand nombre d’éléments (molécules, cellules) qui se mettent à interagir de manière coopérative, de manière à la fois aléatoire et ordonnée, il faut étudier les interactions et rétroactions, et c’est ainsi que l’on peut arriver à mettre en évidence des propriétés systémiques, propre au tout et non pas aux parties, d’un quelconque phénomène biologique. À cela s’ajoute une autre caractéristique fondamentale des systèmes complexes, que l’on observe tout particulièrement chez les systèmes vivants, à savoir que les propriétés systémiques émergentes sont à même de reconfigurer complètement, aussi bien d’un point de vue morphologique que fonctionnel, les éléments particuliers. Or, l’étude de ces propriétés peut se révéler décisive pour comprendre leur fonctionnement multi-échelle, ainsi que les propriétés spécifiques que présente chacun de ses niveaux d’organisation. La théorie des systèmes complexe a aussi comme but d’étudier ces phénomènes biologique et comportements humains qui ne sont pas (ou pas complètement) prédéterminés et partant difficilement prédictibles, notamment parce qu’ils sont essentiellement contingents et évolutifs (sujets donc à varier). La grande variabilité, l’irrégularité et la versatilité sont parmi les propriétés les plus significatives des systèmes biologiques, que la théorie des systèmes complexes peut contribuer à mettre à évidence. Il est important de souligner que ces propriétés concernent surtout les interactions entre des composants et qu’elles se manifestent à plusieurs échelles et à différents niveaux d’organisation du monde biologique. Par exemple, de celui supramoléculaire avec les réseaux fonctionnels de protéines à celui physiologique avec les interactions cellulaires responsables de la croissance mais aussi de la maladie, à celui neurocognitif avec les réseaux de neurones contextuellement variables, à celui social avec les organisations des communautés humaines, et encore à celui des écosystèmes où notre espèce se constitue sous la forme d’un nœud d’interconnexions complexes. L’approche des systèmes complexes offre plusieurs clés de lecture commune aux phénomènes naturels biologiques et humains, et en même temps elle permet de mettre en évidence l’importance de prendre en compte les différents processus de discontinuité qualitative et de singularisation qui ont marqué le développement et l’évolution des organismes vivants complexes. La théorie des systèmes complexes peut également aider à surmonter certains clivages épistémologiques qui se sont figés au fil des siècles entre sciences de la nature, de la vie et de l’homme.

Publications
  • Avec U. Curi, L. Maffei et L. Miraglia, In Difesa dell’Umano – Problemi e Prospettive, Frascati/Napoli, Edizioni Accademia Vivarium Novum, coll. “Patmos”, 2021.
  • « A Reappraisal of the form-function problem. Theory and phenomenology », Theory in Biosciences, 140, 2021, p. 39-68.
  • « A topological and dynamical approach to the study of complex living systems », dans Recent Developments in Complexity, From Mathematics to the Social Sciences, sous la dir. de S. Albeverio et S. Ugolini, Heidelberg/Berlin, Springer, 2021.
  • « Plasticité topologique et morphologies fonctionnelles du vivant : quelques remarques », dans Biomorphisme – Approches sensibles et conceptuelles des formes vivantes, sous la dir. de J. Arnaud et B. Julien, 2021.
  • « Imagination de la nature et complexité des formes végétales », dans L’intelligence des plantes en question, sous la dir. de M.-W. Debono, Paris, Hermann, 2020, p. 33-64.